Titres de la collection La brune de l'année 2021
Des tas de gars continuent d'avancer dans la vie, même s'ils ont du gravier dans leurs godasses. Ce n'est pas comme d'avoir des fers aux pieds, je suppose. Il y a toujours moyen de composer.
Le voyageur continuait de recevoir la visite des membres de la communauté. Ceux-ci défilaient comme pour lui rendre un dernier hommage. Certains hésitaient à se signer. Ils esquissaient le début d’un signe de croix et s’arrêtaient net, conscients de commettre une bêtise, plutôt un genre d’infraction au code du village. Un sacrilège. Ils ne creusaient pas leur intuition, ils n’essayer pas de se formuler distinctement les conséquences que pouvait déclencher un geste aussi symbolique
Il vient souvent ici des hommes comme toi.L’homme n’est pas étonné. Il sait, évidemment il sait, que la mer attire ce genre d’hommes. On peut alors en ramasser sur la jetée, en ramener avec soi pour les longues nuits d’hiver. Marie en trouvera toujours amarrés à un quai, comme suspendus à leur dernier rêve de pierre. Elle les décrochera, coupant un à un les fils de la marionnette piégée par le miroir aux alouettes. Une main passée sur leur front, elle les enlèvera à leur torpeur, balayant une mèche qu’ils ont cessé depuis longtemps d’amadouer. Elle leur donnera l’espace d’une nuit, d’un week-end, le goût d’une petite mer plus facile d’approche. Elle leur offrira un mouillage en zone paisible, et un pull ou deux de son frère après.
Sans doute qu’ils repartiront, car ils repartaient toujours, plus mordus qu’avant, bardés de rêves de coraux, la bouche pleine de sel.
Ève Eckert les appelait les Hommes Sirènes.
- Mais un jour, des soldats sont venus à l'école. Le maître a laissé faire. Nous, les gamins, on n'a rien dit non plus. Personne ne pleurait, personne n'a crié. Un camion bâché les attendait dehors.
- Les soldats, c'est le Mal alors? avait demandé l'enfant.
- Le Mal, c'est notre silence à tous.
Atteindre le Ciel, c'est mourir à soi-même. C'est être définitivement privé de tous les sens et des prochains printemps. La femme ne l'ignore pas. Pas de miracle possible. Pas de sauvetage ni d'amplitude du destin. Ordre de l'univers. Même les étoiles meurent.
En attendant, il triture l’aventurine, machinalement . Il se dit qu’il n’a plus rien à en tirer, qu’il serait inutile de la faire rouler sur le sable, elle s’y enliserait. Cristal de roche rendu au sable des origines. Tout ce chemin pour ça. Me voilà au bout du rouleau, il pense. Pourtant, lui, vivant, il ne peut s’empêcher d’espérer un signe. Et ce signe est juste à côté de ses pieds. Cette bouteille de lait que l’homme ne voit toujours pas , par exemple. Depuis le temps qu’il est cet homme qui marche,, il devrait pourtant savoir où il met les pieds
Elle a raison la Mère, c'est plus pareil. Y a pas que le temps qui se détraque, y a la terre qu'on respecte plus. Des parcelles transformées en lotissements. Des puits qu'on bouche, les lavoirs aussi. Et puis les quotas imposés par des bureaucrates, le cul vissé à leur fauteuil en cuir ceux-là. En peau de vachette si ça se trouve, le fauteuil, hein! Et c'est qui qui paye tout ça, hein, c'est qui? C'est Bibi. Ben tiens.
Chacun se débrouille comme il peut avec sa mémoire.
L’eau attire l’homme. Elle lui renvoie son image fragile, chahutée par les frisures de l’onde que parcourent les grandes pates fébriles des araignées d’eau. Sa course lui a asséché la gorge. Du sable roule contre l’émail de ses dents. L’homme s’accroupit, lorsque le puma saute sur la berge et lui adresse la parole…
Parce que le Sorcier n’ignorait pas qu’il suffisait de quelques convulsions du cerveau pour que le tracé s’arrondisse, se délie, que des boucles se forment,que les lignes se verticalisent. Il savait le sillon de l’enfant sécable.Quand l’enfant eut noirci une page entière, les premiers mots avaient commencé à vouloir naître, reliés encore au cordon ombilical de la ligne brute. Cela parlait d’épis de maïs, de tiges oubliées parles machines d’octobre. Plantées à l’oblique dans le sol meuble, elles ressemblaient à des lances d’Indiens