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Citation de enkidu_


91. Parler de Dieu aujourd’hui trouve sa juste mesure dans cet adage des théologiens d’autrefois : Gloria non tollet naturam, la gloire ne détruit pas la nature, mais elle la surélève et l’accomplit. Comment dire cela ? Il s’agit de parler des fins dernières (parce que nous ne voyons plus de radieux avenir), mais de parler des fins dernières comme de ce qui sauve les choses premières. De montrer que la sainteté et la simplicité coïncident (notre divinisation est aussi notre humanisation la plus profonde), que le pain surnaturel ne s’oppose pas au pain quotidien, que l’éternité ne rejette pas, mais rachète le temps (Ep 5, 16). L’Église est de plus en plus dans cette position : elle affirme la Toute-Puissance divine pour défendre la liberté humaine ; elle nous élève au plus haut des Cieux pour garantir la différence sexuelle au-dessous de nos ceintures ; elle parle des entrailles divines de la Trinité pour rappeler cette chose élémentaire que l’utérus de la femme est le sanctuaire de la vie ; elle invoque l’Infini pour confirmer la dignité de mon voisin malade.

Là encore, la position est inconfortable : c’est le grand écart. En vérité, c’est la grande proximité (ce qui, du reste, n’est pas moins embarrassant). C’est le simple commandement, pas facile du tout, de l’amour de Dieu et du prochain comme soi-même… Ce qui signifie, par exemple, que le visage de Mme Grolley, qui habite en face, est appelé à devenir céleste, et que je dois le lui faire admettre, et que je dois l’admettre moi-même… Oui, avec sa fine moustache, avec sa bouche renfermée, avec son dentier trop éclatant et ses chairs très flasques, c’est d’elle aussi que Dieu veut faire le temple de sa gloire…

Vous comprenez, dans le discours sur la catastrophe, les faux prophètes disent : « Après nous, le déluge. » Les vrais prophètes bâtissent l’arche, et ils y logent toute la faune qui les entoure. Ils ne méprisent pas la vie la plus ordinaire et la plus humble, parce qu’ils savent que le Christ n’est pas seulement le Chemin et la Vérité : il est la Vie, et toute vie tire de lui son origine mystérieuse. Qu’auraient-ils de mieux à faire, pour ne pas être complices de la mort, que non seulement de célébrer la vie, mais aussi d’appeler toute vie à cette célébration ? Que tout ce qui respire loue le Seigneur (Ps 150, 6). Voilà pourquoi, même au bord du gouffre, même à la veille d’une déflagration mondiale, ils invitent le voisinage, inventent des chansons, fêtent des noces, accueillent des enfants. Même rejetés dans une étable ou un wagon à bestiaux, même condamnés à l’exil dans la maison de servitude, même à l’approche du massacre annoncé, ils accueillent des enfants, non parce qu’ils visent leur réussite mondaine, ou la propagation de l’espèce, ou le triomphe du Parti, mais parce qu’ils savent que chaque visage est fait pour resplendir à jamais. Jésus l’a dit clairement : Quiconque reçoit en mon nom ce petit enfant, me reçoit moi-même ; et quiconque me reçoit, reçoit celui qui m’a envoyé, c’est-à-dire reçoit l’Éternel lui-même (Lc 9, 48). On interprète généralement cette parole de manière mystique : derrière tout enfant se cache le Christ. Mais elle possède aussi un sens très concret : on ne peut recevoir un enfant, si l’on ne reçoit pas le Messie qui le sauve, car, sans ce Sauveur, pourquoi le recevoir, puisqu’il devra souffrir pour rien, pourquoi ne pas l’empêcher de naître, puisqu’il devra régaler la poussière ?
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