AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de art-bsurde


Au moment de la création de la République démocratique allemande en 1949, les récits de viols cessèrent d'être racontés en public – et furent passés sous silence pendant un demi-siècle. En revanche, dans l'Allemagne de l'Ouest post-1949, les histoires de viols étaient parfois racontées pour justifier les attitudes et les politiques anti-soviétiques du début de la guerre froide. Mais, à la fin des années 1960, les Allemands de l'Ouest étaient davantage préoccupés par la reconnaissance de leur responsabilité dans l'extermination des Juifs d'Europe, les meurtres de masse de prisonniers de guerre soviétiques et autres actions à caractère génocidaire du Troisième Reich. La mémoire de la Seconde Guerre mondiale, hautement politique et générationnelle, devint une question de politique étrangère. Ainsi, pendant l'Ostpolitik et la détente, et alors que l'Allemagne cherchait à créer de nouvelles relations et à améliorer les relations existantes avec ses voisins de l'Est, il devint quasiment impossible d'évoquer les victimes allemandes sans être accusé de revanchisme. La question du viol ne fut donc exploitée que par l'aile droite de l'échiquier politique et par les apologistes de la guerre nazie à l'Est.
Parallèlement, du fait du caractère hautement personnel et ostensiblement sexuel du viol, une chape de silence s'établit qui tomba sur sa perpétration. Les hommes n'aiment pas parler du viol lorsqu'il s'agit de leurs femmes ou de leurs filles, à cause de la prétendue « honte » qu'il fait tomber sur eux-mêmes et sur leurs familles. Les femmes évitent le sujet pour les mêmes raisons. Dans certaines cultures, le viol est une désacralisation de l'honneur et de la pureté de la femme. Le mot allemand Schändung, qui rappelle la honte – par opposition à Vergewaltigung – illustre bien ce sentiment. Néanmoins, au fil des années, de nombreuses femmes allemandes racontèrent leurs expériences d'une façon remarquablement directe et objective, et purent ainsi la partager avec d'autres femmes.
« Tabou » est un mot trop fort pour décrire la négligence dont ont souffert les victimes allemandes entre la fin des années 1960 et le début des années 1990. La fin du communisme en Europe de l'Est, l'effondrement de l'Union Soviétique, la réunification de l'Allemagne pendant la période 1989-1990, et le besoin évident des Allemands de normaliser leur compréhension de la Seconde Guerre mondiale permirent toutefois de dépasser les inhibitions, lorsque cela était possible. Les questions liées au bombardement des Alliés, à la destruction des villes allemandes, à la Vertreibung (déportation forcée des Allemands de l'Est) et au problème du viol furent tardivement réintroduites dans le débat public allemand sur la guerre. Insistons bien : le débat autour de ces aspects de la guerre ne doit et ne peut en aucun cas relativiser la culpabilité centrale du Troisième Reich et sa responsabilité dans la guerre génocidaire qu'il a menée en détruisant le continent européen. La Seconde Guerre mondiale a aussi anéanti la vie de millions d'Allemands et a crée toute une génération de victimes de viol. Aujourd'hui encore, les Allemands ont toujours du mal à atteindre cet équilibre difficile et délicat entre, d'une part, la compréhension et l'acceptation de leur responsabilité fondamentale dans les horreurs commises pendant la Seconde Guerre mondiale et, d'autre part, leur besoin de parler et de reconnaître publiquement les problèmes liés à leur expérience de victime.

« Russes et Allemands : mémoires postsoviétiques »
Commenter  J’apprécie          30





Ont apprécié cette citation (2)voir plus




{* *}