Sur le lit, j'aperçois d'abord une débauche de couleurs. Les tatouages explosaient au milieu de tout ce blanc. J'aurais voulu arrêter la scène pour pouvoir la regarder, encore et encore.
"Retrouver la mémoire, c'est comme un marathon: c'est long, difficile, décourageant. Au final, on ne sait pas dans quel état on va franchir la ligne d'arrivée. Ni si on va la franchir. Mais on va y travailler ensemble." Dixit le Doc. Connard de sportif. Il croit savoir de quoi il parle parce qu'il a fait le marathon de New-York avec ses petites gambettes de toubib et son pote kiné. Il se trompe. Moi, je sais de quoi il parle.
Cette boîte de Pandore a ouvert en grand la porte de mes souvenirs. Je ferme les yeux et les laisse me submerger. Maintenant que je ne lutte plus pour les refouler, ils prennent leur revanche et se déversent avec force.
J'ai l'impression de sortir de cure de désintox et de prendre mon premier shoot. C'est douloureux, profondément dangereux, mais tellement bon.
Je devais être tout blanc parce que l'infirmière m'a proposé un café, en attendant le médecin de Chiara. Une toute petite pointe me piqua quand je le vis arriver, un éclair de jalousie, tout aussi bref qu'intense. C'était loin d'être un Apollon, ni un jeune premier prétentieux. Mais, c'est un fait, je déteste qu'un homme dégage plus de charisme que moi et là, dans sa blouse blanche de spécialiste, il attirait toute la lumière.
Il fait froid. C'est comme si je venais de découvrir la douleur pour le première fois. Et la haine.
L'espoir est une maladie étrange et, comme toutes les maladies, c'est quelque chose de vicieux et d'invisible. Il se cache, nous laisse avancer, et c'est quand on croit l'avoir semé qu'il décide de donner une petite pression sur la chaîne.
Il ne nous aime pas, il nous garde en vie pour ne pas disparaître.
L'espoir nous fait vivre attachés à une chaîne et nous, pauvres fous, nous préférons mourir que vivre sans lui.
Belle à en mourir, garce à vous faire pâlir...
Cette idée va avec le mot, c'est son parasite. Elle est inscrite dans la carapace du crabe, tatouée à l'encre bleue sur un fond orange, quatre lettres au trait épais, qui en imposent et qui le savent.
L'idée s'en fout d'être moche.
L'idée s'en fout d'être moche. Tout ce qu'elle veut, c'est rester et s'incruster avec le crabe, tout au fond du corps de l'homme. Pour le voir pourrir. Et mourir.
Avec elle, vient le cri. Un déchirement. Tout sort avec ce cri. Les larmes, le vomi, la chiasse, le reste d'oxygène, les tripes. La peur. Un cri violent, qui finit de déchirer le corps et de le vider.
Un temps, il ne reste rien. Tout est balayé. C'est le temps du vide, où plus rien n'existe. Ce temps, infiniment court, où l'infiniment petit arrête tout, comme si le souffle du monde s'était suspendu avec le mot.