On pourrait dire de Slake qu'il avait passé toute sa vie sous terre. Maintenant et pour la première fois il se rendait clairement compte qu'il était sur, et plus sous. Et pourtant il n'avait aucune envie de rester dans ces rues. Son instinct le poussa vers l'entrée du métro la plus proche. Mais en l'atteignant et alors qu'il descendait déjà les escaliers, Slake s'arrêta, se retourna et regarda le ciel. Comme cet oiseau était heureux d'avoir pu s'envoler dans le ciel !
Pour la commodité de cette chronique, il est plus simple et plus pratique de considérer que Slake était né orphelin à l'âge de treize ans et il suffit de savoir qu'il était petit, myope, rêveur, amoché en permanence, vivant comme un étranger dans sa ville natale (qui est New York) et dans ce monde, un garçon méfiant, silencieux et solitaire, avec un ticket de métro en poche. Autrement dit, pas tellement différent des innombrables garçons qui poussent librement dans les rues encombrées d'immondices et qui portent autour du cou, pendue à une ficelle, la clé leur permettant de rentrer à la maison où les parents ne sont jamais.
Qui peut se rappeler le premier jour de sa vie où il a vu la lumière ? Certains, peut-être, mais particulièrement et certainement Arémis Slake. Il était maintenant sur le point de naître.
Plus tard dans la journée, son estomac vide et froid lui rappelait ce que ses yeux myopes pouvaient à peine distinguer à l'horloge de la classe : l'heure du déjeuner. Quand la cloche de l'école venait confirmer cette impression de son estomac, Slake pêchait au fond de ses poches divers débris, miettes et rogatons sans aucun rapport les uns avec les autres ni avec un repas véritable, et il appelait ça son déjeuner.
Il regarda ce visage couleur de cendre, ces paupières fermées, et Willis Joe Whinny se mit à trembler, parce qu'il voyait que ce mouton qu'il avait failli écraser n'était pas un mouton.
Toujours écouter son cœur