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Citations de Ferenc Karinthy (67)


Il essaye une fois de plus de repenser toute cette invraisemblable affaire, se fie à sa logique, à cette faculté de raisonner qu'il a développée au fil de ses travaux scientifiques, et également, et ce n'est pas le moins, à son expérience de voyageur, puisqu'en effet depuis ses années d'études il a beaucoup roulé sa bosse à l'étranger. Mais rien à faire, il a beau tourner et retourner les événements des dernières vingts-quatre heures, il ne trouve pas où réside le "hic", ce qu'il aurait dû faire autrement, s'adresser où, à qui, qu'aurait-il dû faire d'autre ou de mieux. Et s'il n'a pas le moindre doute que le malentendu qui l'a conduit ici va tôt ou tard se dissiper, et qu'à ce moment-là il pourra immédiatement poursuivre son voyage vers son but, il se sent à cet instant passablement désemparé : sans amis, sans connaissances et même sans documents, et apparemment complètement abandonné dans une ville absolument inconnue dont il ignore jusqu'au nom, où il ne peut communiquer avec personne, lui, rompu à tant de langues ; tout au moins il n'a pas trouvé jusqu'à présent un seul être avec qui échanger deux mots dans cet inextricable fouillis envahissant de peuple en perpétuel mouvement et perpétuellement accéléré.
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À son réveil le temps est tout aussi triste et grisâtre que la veille. Sa tête est de nouveau embrumée et vaseuse, pleine de de remords et de dégoût, pourquoi a-t-il encore tant bu ; il s'en veut comme d'avoir failli à une résolution. Il n'ose pas repenser à ses deux dernières journées, tout son être est assailli d'un sentiment de culpabilité, la seule chose qu'il voit maintenant avec une clarté parfaite et cruelle, très nettement, c'est que cela ne peut plus durer. Sous la douche il ouvre seulement le robinet d'eau froide, s'ébroue en frissonnant sous le jet. Il faut impérativement se réveiller, échapper à ce cauchemar, à cette folie : cela ne peut pas continuer ! non, cela ne peut pas continuer !
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Tiens, à propos, jusqu'ici il n'a vu que des bagages arriver dans l'hôtel mais jamais de bagages au départ ; où peuvent se trouver les bagages des clients qui s'en vont ? Il pourrait peut-être les suivre... Sortent-ils par une autre porte ? Où est-elle ? Ou alors ici on ne fait qu'arriver, arriver, et jamais personne ne repart ?
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Je mis la radio plus fort, un communiqué annonçait justement : "...Le rétablissement de l'ordre dans la capitale avance à un bon rythme, toutefois certains éléments irresponsables n'hésitent pas à semer le trouble et à tirer des coups de feu, c'est pourquoi la population est invitée à ne pas sortir dans la rue, sauf si cela est absolument nécessaire..." A cette dernière phrase Olga sursauta :
- Bien sûr que nous sortons dans la rue ! C'est absolument nécessaire !
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Il ne doit surtout pas perdre la tête, c'est le principal, isolé dans cette fourmilière il ne doit pas s'abandonner à cette confusion indistincte. Par moment la panique le prend, de crainte que son esprit n'abandonne ce combat perdu d'avance, ne s'enfonce dans le chaos qui l'entoure, ne s'adonne à une mélancolie grisâtre, recroquevillée. Or il n'a pas d'autre arme que la clarté de sa conscience, c'est l'unique projecteur qu'il peut pointer sur ce cauchemar éveillé.
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"Mon chéri! donne-moi encore un baiser..."
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Budaï a eu l’impression étrange que les autres aussi ne faisaient que proférer des expressions sonores complètement dénuées de sens, clairement personne n’écoutait personne. Devrait-on envisager que les gens eux-mêmes ne se comprennent pas tous les uns les autres ? Que les habitants s’expriment dans des dialectes divers, éventuellement dans des langages variés ? Un moment une idée saugrenue a même surgi dans son esprit surchauffé : autant de personnes, autant de langages ?
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Dans cette place une autre rue débouche tout aussi mouvementée, le torrent des voitures glisse sous un large portique surmonté de tours superposées, un parapet en hauteur, des meurtrières et par-dessus une coupole. Cela lui paraît connu, mais il ne sait pas d'où; il va l'observer de tous cotés et cela lui revient : c'est dans le hall de son hôtel, dans la boutique de souvenirs, sur les porte-clés, qu'il a vu une image de ce monument. Quand, à quelle époque a-t-il été construit, dans quel style, il serait assez difficile de le dire, la partie inférieure, les fenêtres ogivales paraissent peut-être gothiques, tandis que le globe de la coupole présente plutôt un caractère oriental, mauresque. Cette tour devait servir autrefois de défense militaire, et ce genre d'édifice, tout au moins aux yeux de profanes comme Budaï, se ressemblent tous plus ou moins avec leur masse imposante, leurs pierres brutes et difformes, leur vocation implacable : les burgus romains, les tours de garde médiévales et même la grande muraille de Chine.
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A l'intérieur, une foule de gens attendant à la réception, il faut faire la queue, et lorsque enfin il parvient face à un concierge grisonnant à uniforme sombre, il est talonné par une famille bruyante arrivée avec de nombreux paquets et valises - père, mère e trois jeunes enfants turbulents et incontrôlables - qui le poussent vers l'avant, le pressent avec une impatience mal dissimulée ; tout se passe ensuite très vite, quasiment sans sa participation. Il parle au concierge en finnois, celui-ci ne le comprend pas, alors en anglais, en français, en allemand, en russe, visiblement sans plus de succès : il lui répond dans une autre langue mais c'est Budaï qui ne la connaît pas. Il présente son passeport, le concierge le prend, sans doute pour noter son état civil, et il lui tend une clé de chambre munie d'une boule de cuivre. Un chèque de voyage est glissé dans le passeport de Budaï, ce sont les indemnités journalières qui lui ont été versées pour son séjour à l'étranger, le concierge le prend aussi, manipule rapidement sa calculatrice, lit l'écran, remplit un imprimé tamponné, un mandat en monnaie locale qu'il lui tend accompagné d'un discours volubile. Budaï tente de protester, il n'avait pas l'intention de changer son chèque à cet endroit, mais on ne le comprend pas, dans son dos il est de plus en plus poussé par la famille nombreuse impatiente d'accéder au comptoir et par les piaillements des enfants. Le concierge lui désigne le guichet de caisse voisin : jugeant tout effort supplémentaire inutile, il cède sa place et passe au guichet indiqué.
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Alors il demande le deux, puis le trois, puis le quatre et ainsi de suite et il note phonétiquement chacune des réponses. Il arrive jusqu'à dix, cependant la sonnerie se met à retentir, il doit y avoir un monde infernal à l'ascenseur. Avant de se séparer, en guise de contrôles, il lui redemande le "un", mais la fille prononce cette fois tout à fait différemment : chumulukada.
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Mais lui que peut-il faire avec l'écriture inconnue d'une langue inconnue, seul, sans aucune aide extérieure ? De quelle hypothèse partir, compiler quoi avec quoi, sans référence, tout au moins pour le moment : quelle ligne de caractères rattacher à quel mot et quel sens attribuer à n'importe quel mot ? Où subsister quoi? (P. 53)
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(...) Il ne regrette pas d'être venu. Il se sent tellement seul, et plus longtemps dure son séjour, et plus peuplée lui apparaît la ville, plus sa solitude lui pèse ; le simple fait d'être revenu quelque part où il est déjà passé noue une relation, un minuscule point de repère au milieu de cet océan étranger.
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Les alphabets en général contiennent moins de voyelles que de consonnes, les voyelles doivent donc apparaître plus souvent.
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A proprement parler, n’importe quel habitant de la ville serait en mesure de lui enseigner sa langue, les mots, les règles au fur et à mesure, à condition de lui consacrer suffisamment de temps et de patience. Mais c’est précisément cela qui manque le plus chez les gens d’ici, un peu de courtoisie, de serviabilité, de disponibilité dans leur hâte immodérée et leur éternelle bousculade, quelqu’un qui l’écouterait demander ce dont il a besoin, qui une fois au moins daignerait témoigner de l’intérêt pour ses gesticulations de sourd-muet. Jamais personne n’a pris le temps pour cela depuis son arrivée, personne ne lui a permis de nouer une quelconque relation humaine.
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Au self-service il va prendre un thé.

Pendant qu'il ingurgite la boisson un peu trop sucrée,
il prend conscience avec frayeur qu'à l'instant,
en commandant son petit déjeuner
il s'est à peine aperçu qu'il devait faire la queue pour tout,
il en a pour ainsi dire pris l'habitude.

Pourtant c'est précisément l'aspect des choses
auquel il ne doit absolument pas s'habituer,
il le ressent très fortement et très fermement,
il en a des palpitations.

L'enregistrer, ne serait-ce que machinalement, dans ses neurones,
c'est déjà une façon de l'accepter, d'abandonner le combat,
autrement dit de quitter son unique espérance :
il est différent des gens de cet endroit,
un étranger venu d'ailleurs ne faisant pas partie de ce monde,
on ne pourra de toute évidence pas le retenir ici.
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Il recommence donc, comme les autres fois, à essayer de communiquer en diverses langues, allemand, hollandais, polonais, portugais, et même turc et perse, et aussi en grec ancien, mais l’autre n’accroche pas, il l’interrompt :
— Chérédérébé todidi hodové guruburu pratch… Antapratch, vara lédébédimé karitchaprati…
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Selon l’estimation des scientifiques le nombre de langues parlées sur la terre s’élève à près de trois mille.
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Toute sa vie Budaï a habité des villes, c'est pour lui l'unique cadre supportable de l'existence, du travail, de ses habitudes, de ses loisirs, les grandes métropoles du monde l'ont toujours attiré. Bien que les dimensions, ici, lui fassent horreur et constituent pratiquement une prison pour lui, il ne peut pas nier l'immense beauté de cette ville. De là, d'en haut, il peut presque dire qu'il l'aime.
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Le soir tombe ;
le ciel se teint presque perceptiblement de couleurs d'encre.

Il est pourtant difficile de déterminer s'il s'agit de nuages
pollués de fumée et de suie
ou d'une pesante menace de pluie par-dessus les toits.

La ville s'étale sur un terrain plat et ses limites dépassent l'horizon,
où qu'il se tourne, il n'en voit pas les bords.

Des maisons, des pâtés de maisons,
des rues, des places, des tours, des quartiers anciens et modernes,
des immeubles vérolés et battus par les tempêtes et les orages
et des gratte-ciel de marbre flambant neufs,
des avenues et des ruelles,
des usines, des ateliers alignés, des gazomètres,
et la bâtisse large et difforme des abattoirs, il la reconnaît de loin.

Et des cheminées, des cheminées partout où porte son regard,
autant de longs cous de l'hydre ainsi érigés,
elles vomissent vers le ciel des fumées blanches, noires, jaunes ou mauves.

Le vent les accroche, les mixe en noeuds malpropres,
en pourchasse également les lambeaux autour de son poste de garde ;
c'est un vent froid et agressif,
il assiège la coupole en grondant à en faire soupirer et craquer la structure,
le sommet oscille de façon sensible.

Le vent arrive à traverser la cage vitrée qui abrite Budaï,
il grelotte de froid mais il reste,
il n'arrive pas à se libérer de cette image envoûtante.
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Tant qu’il n’arrivera pas à vaincre sa modestie pusillanime, sa crainte d’importuner, il n’arrivera jamais à partir d’ici, ni même à donner de ses nouvelles afin que quelqu’un puisse lui porter secours. Il doit livrer combat lui-même, il n’y a pas d’autre issue. Il doit se transformer des pieds à la tête, c’est l’unique façon de recouvrer son ancienne, sa véritable vie, sa personnalité.
Dans son emportement il donne un tel coup de poing sur la table de nuit que la vitre se fend et le blesse à la main. Le saignement est assez fort, il se panse d’abord avec son mouchoir, puis avec une serviette, mais le sang traverse encore : il hait, il hait, il hait cette ville qui le blesse et le fait saigner partout, qui le contraint à se violer lui-même, qui s’accroche à lui, qui le harponne, qui ne le lâche pas, qui le retient prisonnier.
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