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Citations de Fernando Clemot (15)


La salive comme l’urine et la sueur vieillissent avec nous, nos jus s’encrassent et fermentent. Le temps y dépose tous nos malheurs et nos vices, c’est la sentine du navire, les nuits blanches et les cauchemars s’y déposent aussi. Or ces baisers de María Aparecida étaient tout le contraire, ils avaient le goût de mes premiers baisers, goût de savon et de collège, de carrelage propre, de fêtes de nos enfances : et d’espérance. La jeunesse, c’est toujours l’avenir, la puissance au-dessus de la lourdeur de l’immanence que nous confèrent les années. Nous avons dû rester sous ce porche presque jusqu’à l’aube. Je lui ai juré que je reviendrais sans tarder pour qu’elle devienne ma femme, je ne sais pas si elle m’a cru, mais elle avait toujours ce rire effréné qu’elle avait déjà le matin de cette rencontre. J’ai insisté, je ne l’oublierais jamais, je l’ai embrassée encore plus fort, je crois que nous avons pleuré tous les deux en nous séparant.
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La mer nous rend plus réservés, peut-être qu’alors l’homme est plus homme que jamais, voilà pourquoi c’est insupportable. Adieu l’empathie, les bonnes manières, et tous les attributs qui font de nous un être social. Tout le monde ne pense pas comme vous, docteur. Un bateau est un lieu où l’on travaille coude à coude, il y a des grades et des codes, un monde à l’intérieur d’un monde qui vous est étranger. Il y a aussi de la souffrance, mais c’est un lieu propice à l’amitié et à la camaraderie. Je ne le vois pas sous cet angle.
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Pourquoi aimez-vous tellement les cartes, docteur ? Elles nous permettent d’anticiper ce que nous allons voir, de même que le portrait d’une personne nous permet de la reconnaître ensuite avec plus de profondeur. Sur une carte, tout y est : elle imite la surface du territoire de la même façon que la peau irrite notre contour. Les plans ont des rides et des cicatrices, ils ont du caractère, ils montrent les profondeurs et les tiédeurs d’un lieu. Cette représentation a la même vie que l’objet représenté : elle tremble avec le froid, avec l’incertitude. Je suis médecin, et quand j’étudie une radio, je ne vois pas seulement des ombres. Je peux y voir la personne ; je reconnais sa douleur, ses limites, comment ses souffrances sont représentées sur cette image. Le plan a la même fonction. Il n’est pas seulement l’imitation d’un territoire, c’est l’imitation de l’homme, des formes de l’univers entier, sa synchronie et le chaos, tous les extrêmes de ce que nous connaissons se reproduisent dans les couleurs et les courbes de niveau.
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J’avais lu les premières en diagonale et un détail m’était resté. Je l’ai retrouvé, en bas de la première page : en 1917 et en 1920 deux tempêtes rasèrent l’île et tuèrent cent vingt-cinq pêcheurs qui travaillaient sur ces côtes. J’imaginai un instant cette terrible tempête d’antan, et les derniers pêcheurs enfermés dans leurs abris, serrés les uns contre les autres comme du bétail, dans le noir, morts de peur. Je tremblais, j’en avais la chair de poule, j’avais ma dose. Ce que je lisais ne m’aidait pas à me lever, bien au contraire, je n’avais aucune envie d’aller dans un lieu plus perdu que Fugloy ou que ce pré de Crête, ou plus perdu que n’importe quel endroit où la mort était déjà, car le lieu importe peu, le lieu le plus solitaire du monde se remplit de mort si l’homme y débarque. Il suffit de voir ce qui s’est passé sur cette île maudite, sur ce bateau. Nous transportons notre ruine sur le dos.
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Le disque, plus abrasif qu’une meule, grinçait de vieillesse dans l’émission, parfois on oubliait que la radio était allumée, mais il suffisait de penser à elle ou de tendre l’oreille et la mélodie revenait, comme un chien fidèle, comme le ronflement d’un moteur, comme un cœur en ébullition au milieu du silence. La radio était un nid de guêpes qui servait à nous rappeler que nous étions vivants, que nous avions eu une vie antérieure, que nous avions entrevu le bonheur à un certain moment. Je me recouvris et me retournai, je me sentais fatigué, mais j’avais aussi l’impression qu’il ne serait pas facile pour moi de m’endormir.
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Il fallait que j’oublie cette histoire, mais en remettant les mains dans les poches, je retrouvai le contact de la lettre. Elle était là. C’était l’objet qui reliait cette folie à la réalité. Je respirai un grand coup. Le mieux était peut-être de la prendre pour un délire, de la réduire à un souvenir confus, de la tuer pour vivre avec. Ce n’était pas très difficile, je me sentais souvent perdu, mais je savais que la foi m’en donnerait la force, elle me viendrait, comme cela m’était déjà arrivé dans des situations extrêmes.
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L’horreur peut aussi bien apparaître sur un îlot désolé que sur un bateau. La peur aussi, et cette peur engendre la cruauté.
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La cruauté est la douane de l’intelligence. L’homme porte la douleur et le délire comme une plaie, il peut les développer dans un lieu aussi anodin que celui-là, un lieu qui ne transmettait que solitude et ennui.
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Toute vie est pleine d’îles d’horreur : la douleur, nous la trouvons partout, en toutes circonstances, même la plus anodine contient quelque chose qui nous y mène. La mémoire elle-même semble toujours davantage braquée sur la douleur que sur le plaisir. Le souvenir le plus doux, filtré par le temps, produit de la nostalgie, cette version allégée de la douleur. Le souvenir est un loup sous le pelage d’un agneau. Le lieu le plus banal de la terre cache une tragédie.
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Les voisins avaient une fille dont j’étais amoureux. Elle devait avoir deux ans de plus que moi, elle s’appelait Kristine, sentait le savon, et son sexe devait être roux, comme ses cheveux.
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Les ordres, on n’a pas à y réfléchir, à les discuter : on leur obéit.
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Depuis quarante ans que je sillonne les mers, j’ai vu beaucoup de bagarres, mais rarement à coups de couteau. Cela pose un précédent terrible, mais ma main ne va pas trembler pour châtier cette racaille. Comme je l’ai déjà signifié à M. Strand, l’un sera placé dans la cellule de détention préventive, et l’autre dans une cabine de l’entrepont inférieur. Il vaut mieux les séparer, ils pourraient recommencer. Il est clair que nous ne pouvons pas les traiter comme des personnes : ce sont des fauves, de la vermine.
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Ce que je n’aime pas chez les Américains, ce sont leur arrogance et leur manque d’éducation, c’est tout.
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Le mieux que l’on puisse faire à Fugloy, c’est d’en partir ; il y a un bateau tous les trois jours qui assure la liaison avec Klaksvik, d’où il est aisé de rejoindre Tórshavn et de prendre un bateau pour Copenhague. Je ne vois pas ce qu’on peut faire d’autre. Je vous comprends, vous êtes embarqués depuis des semaines, mais si vous cherchez un peu d’animation, vous vous êtes trompés d’île.
Nos têtes ne lui revenaient pas, mais personne ne semblait s’en formaliser, car toute le monde resta jusqu’à la fermeture, l’heure de retourner au bateau. Ce fut le meilleur moment de toutes ces semaines. Nous discutions entre nous sans souci du grade, de la condition ou de la nationalité, certains se lancèrent même dans une partie de cartes. On resta environ trois heures dans cet endroit, mais c’est le plus beau souvenir de cette maudite traversée, rien à voir avec les longs silences du bateau, avec cette foutue radio et ses chansons qui ont l’air d’une autre époque, d’avant la guerre. Nous ne nous doutions pas, dans ce bar, de tout ce qui surviendrait par la suite, ce fut un bon moment, on aurait dit que le contact avec la terre nous transformait pendant quelques heures en êtres sociaux. J’ai toujours considéré qu’un bateau n’est pas le milieu naturel de l’homme. Pourquoi dites-vous cela, docteur Christian ? Ce n’était pas la première fois que j’avais cette pensée. Oui, j’en suis convaincu, il est antinaturel d’être en mer pendant si longtemps. La mer nous rend plus réservés, peut-être qu’alors l’homme est plus homme qua jamais, voilà pourquoi c’est insupportable. Adieu l’empathie, les bonnes manières, et tous les attributs qui font de nous un être social. Tout le monde ne pense pas comme vous, docteur. Un bateau est un lieu où l’on travaille coude à coude, il y a des grades et des codes, un monde à l’intérieur d’un monde qui vous est étranger. Il y a aussi de la souffrance, mais c’est un lieu propice à l’amitié et à la camaraderie. Je ne le vois pas sous cet angle. En ce cas, il est difficile de comprendre comment vous pouvez travailler pour nous, mais poursuivez, je vous prie.
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Les voix se taisent et sur le pont les bruits s’estompent : je peux enfin méditer sur la nature de la pièce où je suis enfermé. Seule lumière : la petite lampe sur la table qui éclaire à peine les angles de la cabine. Justement celle que Kalendzis occupait : c’est là que je l’ai soigné il y a quelques jours, on y respire encore des relents de viscères.
Nous sommes dans l’entrepont inférieur, sous la ligne de flottaison, et bien que nous soyons très proches d’elle, la chaleur des moteurs qui ne fonctionnent pas depuis des jours ne nous réchauffe plus. Nous sommes au mouilage et on ne perçoit pas davantage les vibrations habituelles de la coque ou du pont. On n’entend plus aucune voix en profondeur de la salle des machines et personne ne semble circuler aux étages supérieurs. On dirait que le bateau est mort, pétrifié, je sens ses fluides qui ruissellent derrière les cloisons. Toutes les humeurs descendent, comme dans un cadavre : l’eau, l’urine des latrines, la graisse. Tout cela s’écoule vers les profondeurs du bateau, converge paisiblement vers sa propre sentine. J’imagine la glissade de chaque grumeau, de chaque goutte, la vapeur, le trop-plein des tuyauteries, des joints et des pompes. Toute cette pourriture doit se condenser sous mes pieds, dans un vaste cloaque, comme le ventre d’un animal, comme la vessie d’un immense corps assoupi : tel est l’Eridanus : un cadavre flottant en décomposition, oublié de Dieu et de la loi des hommes.
Sur le visage de Vatne, pas une once d’humanité non plus. Je le regarde. Il pourrait être l’image d’un démon aux traits crispés, narquois, avec un regard de bas en haut, un peu biaisé, les yeux saillants, presque rongés par des rides qui assiègent ses paupières. Les latrines de Vatne, ce sont ses cernes boursouflés : c’est là que convergent ses fluides, la fatigue rancie de tabac qui suinte de ses poumons noirs, des raisins secs ; la ruine d’une vie qui se dégrade comme l’huile de friture, comme la semence caduque qu’on a épongée dans sa chaussette. De l’autre type, Dodt, je ne distingue que les jambes croisées et les chaussures. Pendant tout ce temps, je n’ai jamais vu son visage : il se cache dans un triangle d’obscurité, entre le coin et la porte. Vatne fume cigarette sur cigarette avec calme et suffisance.
Croyez-vous que c’est à ce moment-là que tout a commencé, docteur Christian ?
En effet. C’était bien à ce moment-là.
Qu’avez-vous fait quand le capitaine vous a lu la lettre de mission ? Qu’avez-vous ressenti ?
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