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Critiques de Fernando Pessoa (317)
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Le livre de l'intranquillité

On m'a souvent demandé quel était mon livre de chevet. Je n'ai jamais vraiment été capable de répondre car pour cela, encore faudrait-il savoir ce qu'est un livre de chevet. Alors je pose la question sans malice : Qu'est-ce qu'un livre de chevet ? Un livre qu'on a dévoré et qui vous a captivé ? Un livre que vous auriez envie de relire à tout moment ? Le livre que vous avez déjà relu le plus de fois ? Le livre que vous avez le plus conseillé ? Un livre qui vous touche dans ce que vous avez de plus profond et dont vous avez la sensation qu'il vous comprend mieux que toutes les personnes que vous avez rencontrées jusqu'à présent ?



On pourrait de la sorte poursuivre longtemps, j'imagine, mais l'on comprend assez vite qu'un livre qui vous a bouleversé, vous, dans ce que vous avez de plus intime et secret, n'est pas forcément le livre que vous conseillez le plus autour de vous et réciproquement pour à peu près toutes les définitions que j'ai proposées. Alors, je vais vous le dire, le livre de chevet, pour moi, selon l'acception que je décide d'y donner aujourd'hui, c'est précisément un livre comme le Livre de l'intranquillité.



Ce n'est pas un livre facile, docile. J'ai mis des années à le lire, tout comme lui à l'écrire. C'est un peu comme Les Essais de Montaigne : il faut laisser le temps au texte de nous parler. C'est même le lire d'une seule traite qui serait absurde. La composante temps m'apparaît essentielle pour ce genre d'ouvrage. On lit un texte, on n'y touche plus pendant un mois, deux mois, six mois, un an, dix ans, qu'importe, c'est égal parce qu'il n'y a pas d'histoire. On y revient quand le moment est venu, quand on est prêt. On lit à nouveau quelques pages et l'on ferme les yeux pour laisser les mots infuser en nous. Voilà, pour moi, ce qu'est un livre de chevet.



Une grande poésie anime Fernando Pessoa. Une grande déprime aussi. C'est un esprit alerte, lucide, mais tellement noir et désillusionné… Il nous confie ses grandes questions, ou plutôt, devrais-je écrire, SA grande question : Pourquoi je vis ?



Tout le livre est une profonde introspection, minutieuse, récurrente, tenace, implacable sur lui, sur le monde comme il le voit. Une analyse, je dirais même une autopsychanalyse au long cours. Bref, une véritable expérience psychologico-littéraire. Imaginez que vous deviez être le psychologue de quelqu'un qui viendrait se confier à vous régulièrement et que vous teniez par écrit tout ce qu'il vous raconte sur des années. Eh bien c'est un peu ça le Livre de L'Intranquillité. Bien évidemment, c'est d'autant plus intéressant que le patient qui vient se confier est loin d'être la première truffe venue.



De même, je considère que cela peut être éprouvant de recueillir toute cette matière, toute cette intériorité dévoilée page après page malgré l'extraordinaire pudeur dont il fait preuve à chaque instant, malgré l'incroyable délicatesse qu'il déploie. Bref, je ne sais si l'on peut lire ce livre d'une seule traite. Je ne sais si c'est même souhaitable. Je pense plutôt que non.



En ce qui me concerne, très, très grande expérience littéraire, poursuivie sur des années et qui, je pense, peut se prolonger sur tout le restant de ma vie, bien à sa place sur ma table de chevet — son emplacement est attitré ! de toute façon, si ce livre ne vous convient pas, vous le saurez très vite, s'il vous convient également. Grand(e)s dépressif(ve)s s'abstenir pour les autres, je le conseille très volontiers mais souvenez-vous : ceci n'est qu'un avis, instable, renversable, falsifiable — intranquille par nature — c'est-à-dire bien peu de chose, croyez-moi.



P. S. : voici un extrait qui correspond au texte n° 442 de l'édition que je possède, et qui me semble être un bon reflet de l'œuvre dans son entier :



« Je relis — plongé dans une de ces somnolences sans sommeil où l'on s'amuse intelligemment sans l'intelligence — certaines des pages qui formeront, rassemblées, mon livre d'impressions décousues. Et voici qu'il monte de ces pages, telle l'odeur de quelque chose de bien connu, une impression désertique de monotonie. Je sens que, même en disant que je suis toujours différent, j'ai répété sans cesse la même chose ; que je suis plus semblable à moi-même que je ne voudrais l'avouer ; et qu'en fin de compte, je n'ai eu ni la joie de gagner, ni l'émotion de perdre. Je suis une absence de bilan de moi-même, un manque d'équilibre spontané, qui me consterne et m'affaiblit.

Tout ce que j'ai écrit est grisâtre. On dirait que ma vie entière, et jusqu'à ma vie mentale, n'est qu'un long jour de pluie, où tout est non-événement et pénombre, privilège vide et raison d'être oubliée. Je me désole en haillons de soie. Je m'ignore moi-même, en lumière d'ennui.

Mon humble effort, pour dire au moins qui je suis, pour enregistrer, comme une machine de nerfs, les impressions les plus minimes de ma vie subjective et suraiguë — tout cela s'est vidé soudain comme un seau d'eau qu'on renverse, et qui a trempé le sol comme l'eau de toute chose. Je me suis fabriqué à coups de couleurs fausses — et le résultat, c'est mon empire d'arrière-cour. Ce cœur, auquel j'avais confié les grands événements d'une prose vécue, me semble aujourd'hui, écrit dans le lointain de ces pages que je relis d'une âme différente, la vieille pompe d'un jardin de province, montée par instinct, actionnée par nécessité. J'ai fait naufrage sans la moindre tempête, dans une mer où j'avais pied.

Et je demande à ce qui me reste de conscient, dans cette suite confuse d'intervalles entre des choses qui n'existent pas, à quoi cela m'a servi de remplir tant de pages avec des phrases auxquelles j'ai cru, les croyant miennes, des émotions que j'ai ressenties comme pensées, des drapeaux et des oriflammes d'armées qui n'étaient, en fin de compte, que des bouts de papier collés avec la salive par la fille d'un mendiant s'abritant sous le rebord des toits.

Je demande à ce qui reste de moi à quoi riment ces pages inutiles, consacrées aux déchets et aux ordures, perdues avant même d'exister parmi les lambeaux de papier du Destin.

Je m'interroge, et je poursuis. J'écris ma question, je l'emballe dans de nouvelles phrases, la désenchevêtre de nouvelles émotions. Et je recommencerai demain à écrire, poursuivant ainsi mon livre stupide, les impressions journalières de mon inconviction, en toute froideur.

Qu'elles se poursuivent donc, telles qu'elles sont. Une fois achevée la partie de dominos — et qu'on l'ait gagnée ou perdue —, on retourne toutes les pièces, et tout le jeu est noir. »
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Le livre de l'intranquillité

Un ouvrage qui mérite bien son titre. Je referme à peine ce livre et me voici confrontée à l'intranquillité! Comment digérer une telle oeuvre? Avec ses questionnements et ses théories Fernando Pessoa nous bouscule. Nous ressentons son malaise, son angoisse. Nous vivons ses contradictions, sa solitude, son absence de bonheur, nous comprenons ses tortures morales.

Je regrette d'avoir emprunté ce livre, car il me faudrait en lire régulièrement des passages pour tenter de comprendre l'auteur, de digérer ses raisonnements. Ce livre de l'intranquillité n'est pas une oeuvre facile. Elle demande de la reflexion de la concentration. Et à moins d'être un grand intellectuel ou un esprit très supérieur, je pense que ce livre ne peut pas être compris dès sa première lecture. Il faut y revenir, s'attarder sur certains passages. Ce livre de l'intranquillité demande a être apprivoisé. Fernando Pessoa est un auteur dont on peut savourer la plume mais qui se mérite. Un texte surprenant qui déstabilise, un texte qui nous confronte à notre propre intranquillité. Je ne regrette pas d'avoir franchis le pas avec ce très grand écrivain portugais et je recommande ce livre à tous les lecteurs qui ne recherchent pas exclusivement les textes faciles. Pessoa nous oblige à penser à nous remettre en cause à revoir nos théories parfois... Un oeuvre qui nous conduit plus loin.
Lien : http://araucaria20six.fr/
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Le livre de l'intranquillité

Bernardo Soares est un rêve. Il n’existe pas : s’il existait, comme tout ce qui a pu devenir, il serait un écrivain déchu et un être humain médiocre.





Fernando Pessoa n’est pas mort : il n’a même pas été vivant. Il n’est pas mort car il nous parle toujours ; il n’a pas été vivant car il a vécu ; il était déjà vivant avant de l’être puisque le temps se superpose, les mélancoliques le savent.





Sombre parce la vie et la mort ne peuvent jamais exister en même temps, mourant d’ennui parce que la réalité n’est qu’une parcelle amoindrie du rêve, Fernando Pessoa n’est pas pessimiste : « je suis triste » -si triste qu’il s’invente des jeux d’enfant, à commencer par l’invention de son double Bernardo Soares, et s’en va jusqu’à imaginer les conversations et les mondes exotiques qui évoluent à son insu, loin de sa compréhension, à travers les motifs qui recouvrent les tapis ou les tasses chinoises de ses services en porcelaine. Comment vivre parmi les autres en étant si loin d’eux ? Qui pourrait accepter de passer du temps en compagnie de cette facette pessoienne appelée Bernardo Soares ne supportant pas la compagnie d’autrui plus de trente minutes, désirant l’effusion profonde mais seulement en rêve, préférant voyager sans bouger, lire sans livre et aimer sans personne ? Cruel aussi bien avec lui-même qu’avec les autres parce qu’il ne veut réduire personne ni lui-même à l’apathie d’un quotidien apaisé. La tristesse n’a jamais été aussi apaisante. Elle est la force de ceux qui trouvent désormais plaisir à ne vivre qu'à moitié.
Lien : https://colimasson.blogspot...
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Le Banquier anarchiste

Question existentielle du jour : peut-on être banquier et anarchiste ?



Le plus grand poète lusophone du XXème siècle nous lègue une courte nouvelle au titre polémique. Maïeutique socratique ou humour sophiste ? Ce tour de force d’éloquence, le plaidoyer d’un banquier libertaire à la logique implacable, à l’aplomb inébranlable serait-il un formidable brûlot contre la mauvaise foi, comme le prétend la Préface ?



***



“Qu’est-ce qu’un anarchiste ? C’est un homme révolté contre l’injustice qui rend les hommes, dès la naissance, inégaux socialement - au fond c’est ça tout simplement.”



A priori pas vraiment votre conseiller clientèle à la caisse d’épargne et pourtant…N’a-t-on pas récemment connu un ancien associé gérant de banque d’affaires (entre temps devenu premier serviteur de l’Etat) sortir un livre-manifeste « Révolution » ?



Tous les systèmes sont des fictions sociales, pour faire triompher la liberté il faut abolir les fictions : “Et quelle est la fiction la plus naturelle ? (...) celle à laquelle nous serons déjà habitués.”



Une fiction est comme une cigarette, fumer n’a rien de naturel et pourtant ça peut être ressenti comme un besoin par le fumeur. Pareil avec l’argent et le système bourgeois.



Mais remplacer le capitalisme bourgeois et conservateur par le communisme n’est pas la solution, l’immense auteur portugais, dans sa seule œuvre publiée de son vivant, en 1922, se montre déjà lucide sur la révolution d’octobre en faisant dire à son personnage qu’elle va retarder de plusieurs décennies l’avènement d’une société libre.



Je trouve intéressant ce que Jérôme Bonnemaison, sur son blog littéraire (mesmillesetunesnuits), retient de la démonstration rhétorique du banquier : la formidable capacité du capitalisme à se réinventer, à s’adapter, à absorber la contestation, en l’occurrence libertaire, Pessoa visionnaire décrivant le même mécanisme qui présidera à la récupération mercantile et publicitaire des mouvement libertaires de mai 68 ou de la mouvance punk.



Tant que la démocratie n’arrivera pas à produire les anticorps suffisants, toutes les tentatives seront-elles vaines car récupérées par les dominants ?



***



Toujours est-il que l’interlocuteur du banquier (sans doute sous xanax) n’est pas d’un répondant très percutant… Ce livre n’est-il qu’un exercice d’auto-défense rhétorique ? Pessoa ne nous invitant qu’à démasquer les sophismes du banquier ?



Pas si sûr…Au-delà de l’ironie subversive, les propos du banquier semblent pouvoir être pris au premier degré dans une certaine mesure. L’anarchisme, traditionnellement compris comme un mouvement de gauche, est en réalité « transpartisan », notre banquier ne serait il pas anarchiste mais « de droite » (l’égalité en moins), poussant l’individualisme jusqu’à son ultime limite ?



“Nous devons tous travailler dans le même but, certes...mais séparément”. Pessoa appuie là où ça fait mal, l’anarchisme organisé reproduisant les structures qu’il est censé combattre “certains tendaient insensiblement à devenir des chefs, et les autres des subordonnés”.



Le banquier fustige également « la tyrannie de l’entraide », c’est la grande théorie de l’anarchisme, portée par Kropotkine, selon laquelle ce n’est pas la compétition darwinienne mais l’entraide qui joue le plus grand rôle dans l’évolution des espèces, sorte de jus naturales économique, pour notre banquier au contraire avec l’entraide on méprise l’autre et on le juge « incapable d’être libre ».



***



“J’ai libéré un homme : moi”. Le banquier anarchiste nous dit deux choses qui résonnent étrangement un siècle après.



La première est que l’argent rend libre. N’était ce pas ce que défendait Virginia Woolf a la même époque, dans « Une chambre à soi », reléguant les droits politiques, comme le droit de vote, derrière l’indépendance financière des femmes (sous-entendu faut pas se tromper de combat), véritable clé de la liberté et source d’émancipation vis-à-vis des hommes ?



La seconde, qui découle de la première est que ceux qui ont l’argent ont le pouvoir. En effet, ils sont libres, aucun pouvoir ne s’exerce sur eux, du fait de leur argent et, en retour, ils peuvent imposer aux décideurs politiques et aux autres individus, citoyens, leurs volontés par l’argent. Après tout, le banquier n’est-il pas « sans dieux, ni maitres » ?



Certes, on rit avec « Le banquier anarchiste », mais on rit jaune.



Qu’en pensez-vous ?
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Le livre de l'intranquillité

Critique de l'intranquillité (autocritique sans événement)

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* L'éditeur de cette critique précise qu'il publie en l'état le contenu d'un petit carnet noir trouvé sur la table d'un bar. Oublié ? Laissé ? Il a choisi de publier ces notes sans correction, avec leurs imperfections et telles qu'elles sont sorties de l'imagination, certainement fertile, de son auteure.*

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C.I. 19 mars 2024, 16h05

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C'est assise paisiblement à la terrasse ensoleillée d'un café, situé en face d'une librairie institutionnelle de ma ville, que je referme ce livre magistral de l'intranquillité. Quelle fluidité dans le le texte et les idées, quels propos passionnants, quelle plume éblouissante ! Dévoré d'une traite tellement il parlait à mon âme, les meilleurs moments m'ont été ceux de la relecture, chaque matin avant de poursuivre où je m'étais arrêtée, des passages que j'avais coché la veille.

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Si j'étais une femme d'action, je me redresserais, prendrais ce livre et mon ordinateur à bras le corps et rédigerais activement une critique structurée résumant la pensée de cet auteur pluriel, le plus fascinant qu'il m'a été donné de lire jusqu'à présent.

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Mais je ne suis qu'une Rêveuse. Une Penseuse, rectifierait mon praticien en Shiatsu qui s'occupe à panser les maux de mon âme en manipulant ceux de mon corps (et inversement), m'incitant à la Contemplation. Alors en refermant ce livre, je demeure un instant les jambes croisées nonchalamment devant mon reste de café froid, adossée à ma chaise en paille confortable. La tête inclinée vers la lumière, j'aspire la chaleur bienveillante que me procure le roi des astres en cette fin d'après-midi printanière, et je ne fais que penser encore à ce que je viens de lire, je rêvasse avec tendresse à ma propre vie intérieure, ma propre façon de fuir ce que je perçois parfois comme des agressions extérieures et qui me permet de comprendre ce mode d'être, bien que poussé à l'extrême, de l'auteur.

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« Comme la pensée, lorsqu'elle héberge l'émotion, devient plus exigeante qu'elle, ce régime de la conscience, où j'ai opté de vivre ce que je ressentais, a rendu ma manière de sentir plus quotidienne, plus titillante et plus épidermique. »

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J'ai erré tout mon saoul et en ivresse totale parmi les diverses voix publiques de Fernando Pessoa, durant ces 570 pages de pensées égrenées, « Alcool de mots superbes, de longues phrases se déroulant par vagues dont la respiration se soulève à leur rythme, et qui se défont en souriant dans l'ironie de leurs serpents d'écume, dans la triste magnificence de leurs pénombres. »

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Il y a la poésie des mots bien sûr, et la réflexion qu'ils peuvent susciter ; la beauté intrinsèque des phrases que cet esthète fomente à coup de métaphores joliment filées, tissées de ses paroles d'or et de ses rêves ; de ses silences angoissés, aussi. Mais je sais que nous sommes nombreux à y avoir trouvé plus que cela, une vraie résonance en nous et donc une certaine justesse. Les lecteurs que nous sommes seraient-ils tous plus ou moins enclins à l'empathie et surtout à la rêverie ? Il me semble que oui si l'on raisonne avec Pessoa, puisque nous choisissons la littérature comme passion et que « La littérature est encore la manière la plus agréable d'oublier la vie ». Et, à part la mort, quel autre meilleur moyen d'oublier la vie que de rêver ?

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C'est donc complètement désinhibée que je me suis accordée, entre deux plages de lecture, le temps pour mes propres rêves et rêveries ; le temps de faire vivre, en moi, mes propres personnalités multiples mais aussi mes personnages secondaires, ces amis si chers à Pessoa, ceux qui rapprochent encore, je le pense, nos vies intérieures de la littérature et dont il dira : « j'aligne maintenant dans mon imagination, tout à mon aise, comme on se chauffe en hiver au coin de la cheminée, des créatures qui habitent, de façon constante et parfaitement vivante, ma vie intérieure. »

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Il sera l'une des miennes désormais, cet auteur portugais qui, même pour écrire, dédoublait ses identités pour mieux les penser et s'inventera mille pseudos qu'il nommera « hétéronymes ».

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En réalité, et en écrivant ce qui suit je m'approprie encore une phrase de l'auteur tirée de ce livre : « j'ai senti une allusion directe à mon âme » à chaque page de lecture que je m'offrais. C'est pourquoi j'ai si bien compris l'auteur, me suis sentie proche de lui. En le pensant il m'a pansé, lui aussi. J'ai davantage dialogué avec lui au cours de cette lecture, que dis-je, au cours de cette rêverie - car je l'ai sûrement rêvé n'est-ce pas, personne ne peut réellement décrire aussi bien l'art de rêver et de vivre emprisonné dans sa tête ? -, qu'avec la plupart des gens réels que je croise chaque jour et qui constituent le décorum de la vie active.

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Note à moi-même : Terminer rapidement de lire le Vagabond des étoiles de Jack London qui, lui aussi, s'évade par la pensée…

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C.I 19 mars 2024 16h32

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Las ! Ma rêverie a été interrompue. J'ai perdu le fil.

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On n'est jamais tranquille. Dire que la vie est un long fleuve tranquille est une absurdité. On est sans cesse dérangé. le changement est inhérent à la vie, qui est donc par nature intranquille. Il faut sans cesse s'adapter, naviguer sur les eaux superficielles mais intranquilles de la réalité et jongler avec celles, plus troubles et plus profondes, de notre vie intérieure insondable mais non moins agitée.

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Aussi tandis que je m'élevais tranquillement vers la pensée de Pessoa, un collègue de travail arrive et m'annonce en soufflant « qu'ils vont le tuer ». Je m'ébroue, prends mon élan et m'élance sur le devant de ma chaise pour m'exclamer machinalement, comme le veut la bienséance même envers l'importun qui vient briser nos rêves-pansements : « mais comment donc, qui oserait vouloir ta mort cher collègue si mesuré dans sa pensée et dans son expression ? », pour m'entendre répondre que trois clients (entendez-vous bien : 3 !) ont osé l'appeler aujourd'hui ! Fort heureusement, rassurez-vous, on leur a dit de rappeler demain - il faut bien profiter de la vie, courir retrouver ses amis et cancaner pendant des heures sur les absents, à qui nous sourirons tout à l'heure, boire et fumer, crier bien fort surtout, pour se faire entendre et se montrer ! Bref, agir, faire quelque chose pour Habiter sa vie et découvrir, inévitablement partiellement je le crains, le monde autour avant que tout ne s'écroule…

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Je me radosse à ma chaise, tranquillisée, conservant un semblant de présence dans la conversation en affichant un air de circonstance, tout en m'évadant mentalement et presque métaphysiquement de cet enfer de viduité. Quel sens donner à cette vie-là, que j'ai parfois du mal à comprendre, alors que je donne aux rêveries qui m'habitent - entièrement, elles -, le sens que je désire ?

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« Substituer l'Intelligence à l'énergie, rompre le lien entre la volonté et l'émotion, en ôtant tout intérêt aux actes de la vie matérielle - voilà ce qui, une fois obtenu, vaut mieux que la vie même, car il est bien difficile de la posséder entièrement, et si triste de ne la posséder que partiellement. »

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Enfin je suis de nouveau seule et c'est ce qui compte ; l'ennui que me procure la présence de la plupart des gens est insondable et non-maîtrisable.

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C.I. 19 mars 2024, 17h20

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Sentir une bise légère sur son front et s'éveiller au monde de nouveau. S'apercevoir qu'en fixant depuis une demi-heure cette librairie d'en face, qui a en son temps organisé de nombreux salons littéraires renommés, on a sans doute convié également les nombreux êtres imaginaires qui la peuplent, l'ont peuplée et la peupleront potentiellement. Ces gentils fantômes de mes lectures passées, présentes et futures se sont mêlés aux miens intérieurs, à mes amis spirituels, mes doubles, mes multiples, mes hétéronymes à moi.



La fille qui écrit cette critique de l'intranquillité, que dis-je cette ode à l'intranquillité, est-elle la libraire qui se reflète au loin dans sa propre vitrine, qu'elle cultive chaque jour pour son plaisir et celui des lecteurs potentiels ? A moins qu'il ne s'agisse de la tenancière du bistrot durant sa pause, à l'heure creuse de l'après-midi précédent le rush de l'apéro… Ou encore de cette professeure d'équitation de retour de sa balade dans la forêt d'à côté, ses chevaux patientant sagement dans le van ; ou cette juriste, funambule, qui se balance de la chanson tant qu'elle a l'air, danseuse océanique, sirène, en équilibre sur la vague de son âme déferlant dans sa conscience, pleine de ses plaisirs solitaires, et de ses contradictions douloureuses.

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« Les soins extrêmes que l'on peut prodiguer à son imaginaire sont entravés par ceux que l'on accorde à l'existence. On ne règne qu'à l'écart du vulgaire.

A vrai dire, je me contenterais facilement de cette théorie si je pouvais me convaincre qu'elle n'est pas ce qu'elle est réellement, c'est à dire un vacarme confus que je fais aux oreilles de mon intelligence, pour l'empêcher de comprendre qu'en somme, il n'y a là rien d'autre que ma timidité, et mon incompétence à vivre. »

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« Je relis lentement, morceau par morceau, tout ce que j'ai écrit. Et je trouve que cela est nul, et que j'aurais mieux fait de ne jamais l'écrire. »

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Mais il se fait tard et la vie me souffle de remballer mes pensées et réfréner mes rêveries le temps d'un soir. Car ce soir, sur une autre terrasse, celle d'un bar à tapas bordée de lampions, visant probablement à faire oublier qu'elle se situe, à l'abri de sa haie, sur le boulevard qui corsète ma ville, j'ai rencard : avec mon neveu d'à peine un an qui vient de loin voir sa tatie, rire et jouer avec elle. Un neveu bien réel et plein de mordant qui, avec ses premières dents parsemées, offre son beau sourire édenté à la vie, celle-ci lui souriant sincèrement en retour.

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Alors ce soir je vais vivre, babiller, gagatiser. Je vais réconcilier ces deux, que dis-je : ces mille, parties de moi et je vais aimer vraiment, follement, consciemment mais pourtant pleinement, tous les vrais gens qui m'entourent et nos moments de bonheur insouciant. Je n'habite pas Lisbonne mais ma ville a sa rivière, ses propres lumières qui la nimbent, la nuit, d'une aura fantastique et son nom écrit en capitales sur le panneau qui en garde le seuil, protecteur. Aussi je salue à présent mes alter ego, les amis de mes vies rêvées, leur dis à demain et m'en vais rejoindre l'amour de ma vie au bord de l'eau, dans la magnificence de cette nuit étoilée.

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Ce soir, je décide de m'habiter pleinement et exubérément (si ce mot n'existe pas, Pessoa approuverait certainement sa création), riche de savoir à ma portée ce refuge intérieur, ce cocon rassurant qui me permet d'aller de l'avant. Riche de savoir que je ne suis plus seule, désormais.

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Et je vais croquer ma vie. A pleines dents.

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"Parfois je songe, avec une volupté triste, que si un jour, dans un avenir auquel je n'appartiendrai plus, des louanges viennent prolonger la vie de ces pages, j'aurai enfin quelqu'un qui me "comprenne", une vraie famille où je puisse naître et être aimé. »

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Eh bien, c'est chose faite, Monsieur PESSOA, vous avez ici, sur Babelio et ailleurs, une famille de fans qui se plaisent à vous lire, vous relire, vous questionner...

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(@Bobby : sorry pour la concision)
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L'affaire Vargas

Depuis le temps que je souhaitais découvrir Fernando Pessoa !

Babelio et notre groupe de lecteurs participant au Navire bruxellois (ouvert à tous) m'en ont donné l'occasion après un brillant et fort intéressant exposé de Belcantoeu. Kielosa a concrétisé mon désir en me prêtant « L'affaire Vargas ».



Pessoa était, pour moi, associé à deux mots : malle et hétéronymes. Cette fameuse malle découverte chez lui après sa mort dans laquelle il serrait des milliers de papiers et de cahiers, écrits en anglais, en portugais et même en français. Les assembler a dû être un travail de bénédictin. Les hétéronymes sont, bien entendu, liés à tous les noms qu'il a inventés pour signer la plupart de ses écrits. Il semait d'autant plus le doute qu'il créait des biographies, des horoscopes, des caractères psychologiques très détaillés de ses personnages fictifs qui n'étaient autres que des miroirs de sa propre personnalité en quête de reconnaissance.



L'affaire Vargas est une enquête policière dont la base est simpliste. Au début du XXe siècle, dans un quartier tranquille proche de Lisbonne, Vargas est retrouvé mort dans un chemin creux, un révolver à ses côtés, après une soirée passée avec son ami, Pavia Mendès, qui lui a remis les plans d'un sous-marin. Vargas se rendait chez Borges, un autre ami, en ville, auquel il devait remettre une importante somme d'argent. Ne le voyant pas venir, Borges prévient la police. Argent et plans ont disparu. Commencent alors les devoirs d'enquête habituels, les interrogatoires, les suppositions, les questions sans réponse qui amènent le juge dubitatif à conclure au suicide. Cette éventualité mettrait un point final à l'enquête et au livre. Cela n'en vaudrait pas la peine.



Deuxième partie : le Dr Quaresma, appelé le déchiffreur, est convoqué. Débute alors un monologue digne des bons cours de psychologie de l'époque. Sa seule passion est de résoudre des énigmes, de démystifier des charades et de placer la logique au-dessus de tout. le bon docteur ne travaille qu'à l'aide de sa connaissance implacable des différentes catégories mentales des hommes. L'intellect seul guide son raisonnement et ses déductions. Toutes les hypothèses sont passées au crible de son savoir. « Je n'ai été témoin de rien mais j'ai connaissance de tout… Contre des arguments, les faits ne sont rien ». C'est long, fastidieux et surréaliste par moments, drôle à d'autres, et on n'est jamais loin du délire.



Pessoa était un grand fan d'Arthur Conan Doyle et d'Edgar Poe, tous deux férus de logique et de réflexion doublées d'imagination débordante. La fameuse malle contient d'ailleurs nombre d'enquêtes policières le plus souvent inachevées, comme celle-ci, ce qui parfois perturbe la lecture. Ce sont des sortes de puzzles pour ceux qui ne craignent pas la méningite.



« le livre de l'intranquillité » fait partie de mon pense-bête depuis des années. Maintenant que j'en sais un peu plus sur l'homme Pessoa et sur le fait qu'il a accumulé des notes pour ce livre pendant 22 ans, je ne suis plus du tout culpabilisée de ne pas l'avoir lu. C'est aussi un poète merveilleux, paraît-il. A découvrir peut-être.

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Le livre de l'intranquillité

Le Livre de l’Intranquillité de Fernando Pessoa, auteur Portugais atypique à la plume magnifique, est une œuvre colossale, pour lecteurs avertis. Sous forme de journal intime, elle est d’une intensité, d’une profondeur, d’une beauté et d’une poésie rarement vues jusqu’à ce jour. Œuvre posthume, elle met à nue la vie psychique de Bernardo Soarès (un hétéronyme de Pessoa, concept inventé par ce dernier : il a créé un grand nombre d’hétéronymes, des personnages qui sont lui sans tout à fait l’être). Par le biais de cette œuvre d’une puissance émotionnelle, intellectuelle, spirituelle, philosophique et sensationnelle rare, Pessoa se livre intimement au lecteur : ses angoisses, ses souffrances, le vide perpétuel dont il est la victime impuissante, le refuge éphémère qu’il trouve dans le rêve, son incapacité à vivre sa vie, à être l’acteur de sa propre existence plutôt qu’en être le témoin passif. Pessoa, par cette démarche intellectuelle poussée à son paroxysme, aide le lecteur à réfléchir sur lui-même, sur sa propre condition d’être humain, d’être pensant et sentant. Par effet de miroir, on se retourne vers soi, vers son existence, et on s’interroge, on se cherche, de la même façon que le fait Pessoa. Nous assistons aux entretiens de Pessoa avec lui-même, et nous finissons par suivre son cheminement.



Pessoa est ma grande rencontre littéraire de l’année 2011, coup de foudre littéraire devrais-je dire. Un auteur extraordinaire qui m’a touchée au plus profond de mon âme, de mon cœur, de mes tripes, qui m’a emportée, bouleversée. J’éprouve une admiration indicible qui me laisse sans mots suffisamment justes et forts pour l’exprimer.
Lien : http://www.livressedesmots.c..
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Le livre de l'intranquillité

Suis dubitatif, ce matin ai retrouvé le livre de l'intranquillité à terre, il a, durant la nuit, chu des hauts rayonnages de la bibliothèque ; ses congénères sont demeurés cois.
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Le Banquier anarchiste

♫Le blé a les dents acérées

les hyènes vont le dévorer

le môme deviendra banquier

ou le môme sera lessivé, lessivé, lessivé

Je dis, Argent trop cher

Trop grand, la vie n'a pas de prix, je dis.♫

Téléphone, 1980



Dictature révolutionnaire, propagande intense et libertaire

achetée au pieds de l'escalier qui a rendu populaire,

depuis le film l'école des sorciers et son Harry Potter

la Livraria Lello, (classée 1er librairie au monde, centre historique de Porto).



♫Tu bosses toute ta vie, pour payer ta pierre tombale♫

Action directe, tu tombes, t'as plus qu'à compter tes trous de balles

♫Antisocial,, tu perds ton sang-froid♫

Fictions sociales, tu dois lire Fernando Pessoa.







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Le Banquier anarchiste

Magique, brillantissime, machiavélique…



L’auteur nous montre de façon magistrale comment la révolte contre l’injustice et les inégalités entraine l’anarchisme, en nous expliquant la notion de fiction sociale., que constitue la société dans laquelle on vie.



« De ce que vous avez dit, je conclus que vous entendez par anarchisme (et ce serait là une bonne définition) la révolte contre toutes les conventions, toutes les formules sociales, en même temps que le désir et la volonté de les abolir totalement. » P 19



Au passage Fernando Pessoa règle ses comptes avec la notion de Dieu, religion, devoir altruisme car ce ne sont que des tentatives d’explications pour contenir les gens. Il est également féroce avec la révolution russe, toute récente, qu’il accuse de remplacer une dictature par une autre.



« Et vous verrez ce qui sortira de la révolution russe… Quelque chose qui va retarder de plusieurs dizaines d’années la naissance de la société libre… D’ailleurs que peut-on attendre d’un peuple d’analphabètes et de mystiques ? » P 27



Notre banquier explique son cheminement sur la nécessité de devenir soi-même, donc forcément égoïste pour arriver à la véritable anarchie qui ne peut être qu’individuelle, car sitôt que les hommes forment un groupe, certains veulent accaparer le pouvoir. A une tyrannie succèdera forcément une autre.



Il ne s’agit pas de détruire ce qui existe. L’anarchie ne peut donc être qu’une démarche individuelle, en tentant de changer la société, chacun dans son domaine, fût-il la bourgeoisie ou l’argent.



« Si la société anarchique, pour une raison quelconque, n’est pas réalisable, alors il faut bien qu’existe la société la plus naturelle après celle-là, c’est-à-dire la société bourgeoise. » P 48



Notre banquier s’en donne à cœur joie, étripant au passage la propagande et son inefficacité ainsi que les anarchistes qui s’en prennent aux biens matériels et vont ainsi à l’encontre de leur objectif initial, car peuvent être arrêtés, jugés…



Il n’hésite pas à être provocateur, poussant le raisonnement à l’extrême, décortiquant chaque idée, pour la pousser dans ses moindres retranchements, ne reculant devant aucune affirmation péremptoire, prenant le risque de choquer le lecteur, tout en l’entraînant dans sa logique.



Il ne faut jamais perdre de vue, au cours de cette lecture, que Fernando Pessoa a publié ce texte retouché à maintes reprises, en 1922, ce qui était sacrément culotté à l’époque ! il est brillant, manie l’ironie avec dextérité et dénonce l’hypocrisie de la société de façon magistrale.



Ce livre mérite amplement le qualificatif de brûlot explosif, détonant et jubilatoire, que lui attribue Françoise Laye dans sa préface. J’ai dévoré ce livre, alors qu’il ne me semblait pas si simple d’accès au départ car je voulais absolument savoir où il allait m’entraîner et si j’allais le suivre dans son raisonnement ; c’est un véritable uppercut, il est difficile d’enchaîner tout de suite sur un autre roman ou essai.



Bravo Mr Pessoa, vous m’avez convaincue ! jusqu’à présent, je n’avais lu que quelques-uns de poèmes, par ci par là, mais il est temps que j’explore davantage votre œuvre avec, pour commencer, « Le Livre de l’Intranquillité «
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Le livre de l'intranquillité

Pessoa, c'est le monde du rêve ! C'est un décalage permanent d'avec ce que l'on vit au jour le jour. Pessoa écrit noir sur blanc que notre vie sociale, quotidienne n'est plus rien ! Ce qui compte, c'est la pensée intérieure. Il faut coûte que coûte échapper au quotidien. Se réfugier dans le décalé, dans l'onirique. Pessoa est un visionnaire. Notre monde de plus en plus déshumanisé nous le rappelle en permanence. Nous ne savons plus vivre ! Voir les choses pour ce qu'elles sont. Contempler ! Se mettre à une fenêtre et observer la vie de nos semblables sans jugement, comme elle se déroule. Ne pas perdre pied avec cette réalité. Sans quoi, il vaut mieux rester dans le rêve, monde plus sûr ! J'admire la philosophie de Pessoa. Être en retrait permanent avec le vécu pour choisir de s'y intégrer ou non. Au besoin, changer d'identité. S'échapper du réel ! Se réfugier dans notre subconscient !

Je ne sais pas si ce que j'écris est pertinent. Je prends le risque de partager ces impressions. Toutes les remarques seront les bienvenues. Ce monde de la réalité m'écoeure profondément. Celui de Pessoa m'aide à vivre. Je me sens de plus en plus perdu dans ce monde que je comprends de moins en moins. Merci à Pessoa de m'aider !
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Lisbonne

A travers ce court récit descriptif de Lisbonne, on peut deviner l'amour que Fernando Pessoa porte à la ville. Cet attachement est d'autant plus fort que le grand poète portugais a dû quitter ce lieu qui l'a vu naitre à l'âge de huit ans, quand après la mort de son père il suit sa famille en Afrique du sud. Une ville inchangée qui pourtant le trouble - n'étant plus le même quand il revient dix ans plus tard - mais qu'il ne peut plus quitter.



Ecrit dans les années 25 (mais publié seulement en 1992), ce livre est un guide qui ne se contente pas de décrire tous les monuments et lieux remarquables lisbonnins et les artistes ou hommes célèbres qui leur sont attachés, il est aussi le témoin de l'époque à laquelle il a été rédigé ; celle du coup d'état militaire, dirigé par le général Gomes da Costa en 1926, qui met fin à la République et instaure un régime dictatorial.



Entre guide touristique et livre d'histoire portugaise, Lisbonne enchante par la clarté de son écriture, même si les descriptions peuvent paraitre trop sèches et insuffisamment littéraires pour ceux qui comme moi ne connaissent pas la capitale portugaise. En tous cas c'est une belle invitation à faire le voyage.

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L'affaire Vargas

Le Portugal compte 2 auteurs qui appartiennent au top de la littérature mondiale : Luís de Camões (1525-1580) avec son monument "Les Lusiades" et Fernando Pessoa (1888-1935). Je suis gêné d'avouer que je n'avais encore rien lu du dernier grand maître mentionné jusqu'à maintenant. C'est la perspective d'une présentation par le babeliote Michel/belcantoeu, lors de la prochaine réunion du "Navire Bruxellois" de Babelio, dimanche 20 mai prochain, qui m'a décidé à franchir, non sans hésiter, le pas. J'ignore d'où vient au juste mon hésitation ? Est-ce le préjugé que son oeuvre soit difficilement accessible, trop poétique à mon goût ? Franchement, je ne le sais pas. Par contre, que j'avais tort est sûr !



À Lisbonne, le 12 février 1907, le corps de Carlos Vargas est découvert avec son revolver à côté de lui. Le dernier à l'avoir vu est l'ingénieur naval, Pavia Mendes, chez qui il a passé la soirée et une partie de la nuit et de qui il avait emporté les plans d'un sous-marin. La personne qui l'attendait impatiemment, un certain Custódio Borges, était dans tous ses états puisque Vargas lui avait promis de remettre une somme importante. Résultat de cette nuit : un mort, plus des plans d'un sous-marin et une belle somme rondelette disparus !



Pour compliquer la tâche du juge d'instruction, du commissaire Bastos et de l'inspecteur Guedes, selon des témoins, Vargas se serait sur son chemin de retour brièvement entretenu avec un étranger, qui s'est mystérieusement volatilisé. Avec plans et argent ? L'enquête policière ne mène nulle part et le juge d'instruction envisage de clore le dossier en concluant au suicide de Vargas.



Mais cela c'est compter sans le docteur en médecine Abilio Quaresma, qui se présente spontanément chez le juge avec la solution de l'énigme !

Ni plus, ni moins ! Ou comme il l'explique gentiment lui-même au juge : "j'apporte ici l'information qui résulte du déchiffrement que j'en ai fait".

Car notre brave toubib dont la description physique : "taille moyenne, légèrement chauve avec un front haut," portant une moustache et barbe mal taillées et vêtu de gris, costume et pardessus en état avancé d'usure et dont "son aspect général donnait l'impression d'une banalité intelligente" ressemble curieusement à un autoportrait de l'auteur, a absolument tout compris à force de calme réflexion .



Sherlock Holmes de Sir Arthur Conan Doyle est un as en raisonnement logique, mais si le brave homme devrait passer un test chez le docteur Abilio Quaresma de Fernando Pessoa en ce noble art, je crains fort qu'il serait irrémédiablement calé ! Quaresma n'a même pas besoin de loupe pour crucifier de son fauteuil le coupable d'un crime. Ou en d'autres termes : il s'avère être une espèce de Sherlock métaphysique, aux talents quasi supernaturels !



Toute la beauté et la valeur de cette oeuvre résident, bien entendu, dans la capacité de déductions logiques propres à cet alter ego de l'auteur.

C'est un véritable délice de lire l'acheminement des pensées de Quaresma-Pessoa dans cette singulière histoire de mort et de vol !
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Bureau de tabac, autres poèmes

J’avais commencé avec deux ou trois conneries et puis j’ai effacé. Une fois, deux fois, dix fois.



"J'ai fait de moi ce que je n'aurais su faire,

et ce que de moi je pouvais faire je ne l'ai pas fait.

Le domino que j'ai mis n'était pas le bon.

On me connut vite pour qui je n'étais pas, et je n'ai pas démenti et j'ai perdu la face.

Quand j'ai voulu ôter le masque

je l'avais collé au visage.

Quand je l'ai ôté et me suis vu dans le miroir,

J'avais déjà vieilli.

J'étais ivre, je ne savais plus remettre le masque que je n'avais pas ôté.

Je jetai le masque et dormis au vestiaire

comme un chien toléré par la direction

parce qu'il est inoffensif -

et je vais écrire cette histoire afin de prouver que je suis sublime."



Quand tu prends ça de plein fouet… difficile après de faire des vannes foireuses, enfin pour moi.

Bureau de Tabac est un texte d’une puissance terrifiante. Terrifiante de désillusion sur la Vie. Terrifiante et rassurante à la fois qui fait qu’anonyme parmi les anonymes on se sent moins seul dans le doute sur le sens de la Vie ou sur le sens qu’on veut bien lui donner.

Je dois me rendre à l’évidence (à force d'effacer) que je n’ai pas les mots pour "vendre" ce texte qui résonne en moi entre cris et chuchotements et je vous invite à aller lire la très belle critique de Malaura. (http://www.babelio.com/livres/Pessoa-Bureau-de-tabac-autres-poemes/185327/critiques/215698 )
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Bureau de tabac, autres poèmes

Une lecture impromptue, en fouinant à "Mémoire 7", à Clamart, avant de me rendre à une de mes obligations professionnelles !

Besoin de recharger les batteries avec un peu de poésie ...



La poésie était au rendez-vous... mais fort sombre, digne du ton de Cioran...



Ce "Bureau de tabac" magnifiquement imprimé sur un beau papier,avec des illustrations noir et blanc de Fernando de Azevedo, est complété en deuxième partie par le texte original, en portugais..



Un texte lapidaire où se rejoignent désespérément l'amour de la vie ainsi que l'incompréhension d'être sur terre, et le

POURQUOI de tout cela !!



Restent la poésie, la musique et le magie des mots, pour nous apaiser quelque peu...



"Aujourd'hui je suis vaincu comme si je savais la vérité (...)

Aujourd'hui je suis lucide comme si j'allais mourir

Et n'avais d'autre intimité avec les choses

Que celle d'un adieu, cette maison et ce côté de la rue

devenant

Un convoi de chemin de fer, un coup de sifflet

A l'intérieur de ma tête,

Une secousse de mes nerfs, un grincement de mes os à

l'instant du départ. (...)

J'ai tout raté.

Comme je n'avais fait aucun projet, ce tout n'était

peut-être rien.

J'ai enjambé la formation qu'on m'a donnée

Par la fenêtre de derrière

Et je me suis enfui à la campagne, plein d'espoirs.

Mais là je n'ai trouvé que de l'herbe et des arbres;

Quand il y avait des gens, ils étaient pareils aux

autres. " (p. 15-16)



"Nous conquérons le monde avant de sortir du lit;

Mais nous nous éveillons, il est opaque,

Nous nous levons, il est étranger,

Nous sortons de chez nous, il est la terre entière,

Plus le système solaire, plus la Voie lactée,

plus l'Indéfini. (p. 23)
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Le livre de l'intranquillité



J'ai l'impression d'avoir lu un livre majeur, l'un des plus importants, à mes yeux, à ce jour, l'un des plus difficiles aussi, qui requiert concentration et attention extrêmes.

Le livre de l'intranquillité, dans la version de 1988 que j'ai lue et qui n'est, en fait, que le premier tome de l'oeuvre complète, est composé de 157 fragments, notes rédigées par Fernando Pessoa de 1913 à 1934, et attribuées par ses soins à un semi-hétéronyme, Bernardo Suares, l'une des nombreuses créatures fictives imaginées par l'auteur, semi-hétéronyme car présentant des caractéristiques communes avec lui. Les fragments ne suivent pas un ordre chronologique. Ils ont été regroupés en trois grandes thématiques.

Comment le qualifier ? Journal intime, autobiographie ? Je préfère journal d'une auto-analyse.

Alors qu'il travaille le jour comme comptable dans une petite entreprise, Fernando Pessoa se livre le soir et la nuit, dans ses écrits, à un vertigineux travail d'introspection, d'analyse quasi chirurgicale de ses états d'âme et de ses pensées.

Il confie sa difficulté à entrer en contact avec les autres. Il évite toute intimité avec ses congénères, n'éprouvant aucune empathie, ne ressentant aucune émotion et ne décodant pas leurs réactions. Son sens aigu de l'observation l'a doté de sérieuses connaissances en psychologie, mais il ne peut les utiliser dans les relations interpersonnelles. Il ne peut aimer les hommes et les femmes, ou n'aime que l'idée de les aimer, ou la représentation qu'il en a.

Faute de volonté, victime d'aboulie, il ne peut pas non plus agir, et se réaliser dans des actions concrètes, dans le champ du réel. Fuyant les humains et la réalité, il se réfugie dans les rêveries, dans les illusions, dans la sublimation artistique, et invente des personnages fictifs sur lesquels il peut projeter son moi fragmenté, diffracté, et dont il garde la maîtrise en les faisant communiquer et interagir ensemble.

Au fil des pages et des notes éparses, on voit, en effet, apparaître un être multiple, confronté à une carence affective et à un trouble de l'identité, absent à soi et aux autres, qui n'a qu'une conscience extérieure de lui-même et qui prend plaisir à se vivre autre.

"Je n'ai jamais été que la trace et le simulacre de moi-même".

Seule la prose, l'importance qu'il accorde à ses sensations, et les contemplations esthétiques, lui permettent de rassembler les éléments épars de sa personnalité.

Fernando Pessoa est un cerveau en ébullition, qui, paradoxalement, a développé une hypersensibilité, en s'isolant, en refusant le monde des émotions.

Jonglant entre des états de conscience et d'hyper-conscience, il navigue dans les rues de Lisbonne, en observe les ciels nuageux, se perd en divagations intellectuelles et lyriques, et oscille entre rêve et réalité, en quête d'idéal et de sens.

Le livre de l'intranquillité est un voyage abyssal à l'intérieur de soi, une odyssée dans les replis de la pensée, de la souffrance, aux confins de l'inconscient.

Je suis convaincue de n'avoir évoqué qu'une infime partie de ce livre passionnant qui mérite qu'on s'arrête à chaque page pour la relire et dont la plupart des phrases pourraient faire l'objet de citations, tant sont nombreuses les fulgurances métaphysiques et poétiques.





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Le Banquier anarchiste

20 novembre 2023 : élection de Javier Milei à la présidence de l’Argentine, anarchiste d’extrême-droite, issu de la bourgeoisie catholique de Buenos Aires. Comment un bourgeois, économiste et capitaliste, peut-il se prétendre anarchiste ? Et comment un banquier peut-il démontrer son attachement à l’anarchie ?



C’est ce que Pessoa s’amuse à faire dans cette nouvelle (oui, une nouvelle), qui est en fait un long monologue où le banquier va user et abuser de rhétorique, de cynisme et de mauvaise foi pour prouver qu’il est anarchiste.



C’est brillant d’intelligence et je me suis beaucoup amusée à décortiquer ce discours et trouver les endroits de flagrante malhonnêteté, d’égoïsme, de contre-vérités et autres vérités « naturelles ». Tout part sur le constat de l’inégalité naturelle sur lequel on ne peut qu’être d’accord pour ensuite glisser insidieusement vers la justification de l’inégalité sociale, de la bourgeoisie et du statu quo. Anarchiste, mon cul, ouais !



Un livre à mettre dans les mains de toutes les personnes amenées à voter dans les prochains mois. Avant qu'il ne soit trop tard, comme pour nos amis argentins.

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Ode maritime

Ode Maritime…

Premier abord

Homme à la mer

Hommage amer… pardon, hommage à mer car point de noir désir (bien que… un peu quand même) dans ce magnifique poème dédié à l’Océan. Quelques jolis embruns introspectifs nous fouettent la sensibilité avec douceur et violence, le va et vient des vagues nous submerge au gré de la marée.

Un quai, un paquebot arrivant, un paquebot partant, un point à l’horizon, partout le voyage commence. Destination inconnue, on verra selon les courants. Voyage intérieur, voyage au long cours, entre rêve et délire, entre souvenirs et fantasmes.

Un pur moment de bonheur que ces mots amenés par les déferlantes de Pessoa, que cette houle est douce à mon âme, l’écume de mes jours, le… Oui oui, je me calme je me calme !

Sinon à part ça, ben… j’ai aimé.

Pas lu tout Pessoa and co mais ça devrait se faire parce que jusque là, c’est top niveau (pour moi parce que les gouts et blablabla…)

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Bureau de tabac, autres poèmes

Ce poème de Fernando Pessoa a été écrit sous l'hétéronyme Alvaro de Campos en 1928. Il interpelle et déconcerte, ouvert à la fois sur le réel - une rue et un bureau de tabac que le poète observe de sa mansarde - et un monde intérieur fait d'interrogations et de fulgurances, à la lucidité parfois brutale. Si Pessoa, sous un nom d'emprunt, y exprime son pessimisme, s'il avoue son sentiment d'échec, non sans ironie, s'il remet peut-être même en question le pouvoir des mots et, partant, de la poésie à laquelle il voue son existence, "Bureau de Tabac" reste une oeuvre insaisissable et parfois étincelante.
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Le livre de l'intranquillité

Publié pour la première fois en France en 1982 "Le livre de l'intranquillité" est une oeuvre posthume de l'écrivain portugais Fernando Pessoa.

Cet ouvrage publié sous l'hétéronyme de Bernardo Soares (Fernando Pessoa qui n'a pratiquement rien publié sous son vrai nom et très peu de son vivant, possédait de nombreux hétéronymes) est en fait un recueil resté inachevé de réflexions, de pensées et de poèmes en prose sans lien particulier entre eux.



Cela fait de nombreuses années que j'ai lu "Le livre de l'intranquillité" et curieusement le souvenir de sa lecture reste encore bien présent en moi. Je me souviens avoir été déconcerté (je le reste encore aujourd'hui) par cet ouvrage : une présentation de textes de longueur inégale qui n'entretiennent pas beaucoup de lien entre eux si ce n'est qu'ils révèlent le sentiment de solitude, de tourment existentiel de l'écrivain, de cet esprit que l'on appelle  la Saudade (terme portugais quasi intraduisible qui exprime un état proche de la mélancolie, de la nostalgie et des regrets, ceux d'un monde révolu. C'est un sentiment que l'on retrouve très présent dans les chants populaires du Fado).  

Si je me suis accroché à la lecture de ce livre (610 pages quand même !), c'est pour son  caractère envoûtant et intimiste, pour ses variations d'ombres et de lumières qui apparaissent au fil des textes, ce sentiment étrange, indéfinissable fait de joie et de tristesse.



"Le livre de l'intranquillité" est un livre vraiment à part, assez particulier, qui peut rebuter mais qui réserve à la patience et à l'attention de son lecteur des choses d'une beauté rare.
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