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Critiques de Fernando Pessoa (317)
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Orpheu

Grace au dynamisme et à la curiosité des éditions Ypsilon, 34 bis rue du Sorbier 75020 Paris, nous pouvons enfin lire, dans une traduction soignée, respectueuse et sans concession de Patrick Quillier, l'ensemble des trois numéros de la mythique revue portugaise (deux publiés en 1915, le troisième resté à l'état d'épreuves).

Loin des succès d'esbroufe, le travail régulier méthodique et obstiné d'Ypsilon nous ouvre une fois de plus des espaces inconnus de la littérature.

A lire absolument par tous les intranquilles, les pessoïstes et autres chercheurs de mots.


Lien : http://desecrits.blog.lemond..
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Le livre de l'intranquillité

N°624– Février 2013.

LE LIVRE DE L'INTRANQUILLITE – Fernando Pessoa - Christian Bourgois Éditeur



Il s'agit d'une œuvre posthume de l'écrivain portugais Fernando Pessoa [1888-1935], attribuée par lui-même à Bernardo Soares un « semi-hétéronyme », c'est à dire un des nombreux doubles de l'auteur qui incarnent autant de facettes de sa personnalité. Pessoa n'a en effet presque jamais signé ses œuvres de son vrai nom mais il est cependant reconnu comme un des plus grands écrivains portugais alors même que son nom signifie « personne ».



C'est un recueil de réflexions, de pensées, de poèmes en prose écrits de 1913 à 1935, de manière anarchique, sur des feuilles éparses, suivant son habitude et enfouies dans une malle. Il est considéré comme le chef-d’œuvre de son auteur. Il met en scène Bernardo Soares qui est un modeste employé de bureau dans un magasin de tissus, sans la moindre ambition et qui fait ce qu'il peut pour ne pas se faire remarquer. Il n'a ni famille ni attache, vit petitement et se fonde humblement dans le décor de son quotidien. C'est une véritable« Autobiographie sans événements ». Comme Pessoa, il a mal à sa vie, la refuse ou fait au moins ce qu'il peut pour ne pas s'adapter. L'écriture étant une formidable manière de s'en évader, il en fait une chronique ce qui donne un texte à la fois lucide et désespéré. Pourtant il note avec un certain paradoxe « J'ai toujours évité, avec horreur, d'être compris ».



Bernardo Soares est sans doute le personnage qui se rapproche le plus de Pessoa parmi ses nombreux « doubles » puisque la vie de l'auteur se résume à presque rien. Il est, quant à lui, un poète introverti, anxieux et discret, écrivant à la fois en portugais et en anglais, qui a passé la presque totalité de sa vie à Lisbonne comme rédacteur et traducteur chez différents transitaires maritimes. Pourtant d'autres hétéronymes de Pessoa tels Alberto Careiro, le sage-païen, son exact contraire, Ricardo Reis, un épicurien stoïcien et le sensationiste et moderniste Alvaro de Campo se différencient largement de lui. Masques ou miroirs, la question mérite d'être posée puisque Pessoa vit en fait une autre existence qui lui convient mieux. C'est à la fois un rêveur et un idéaliste

Le mot lui-même d' « intranquillité » qui pourrait être assimilé à l'inquiétude ou plus précisément à la difficulté d'être, est un néologisme, même s'il a été auparavant employé par le poète Henri Michaux.



Il s'agit ici de textes qui dénoncent le désenchantement du monde et une affirmation que la vie n'est rien sans l'art qui ainsi lui donne un sens. J'y ai lu une profonde tristesse, une sensation aiguë de solitude qu'il combat grâce au sommeil, à l'idée du voyage, mais d'un voyage immobile, au rêve ["Je ne suis pas seulement un rêveur, je suis exclusivement une rêveur"] et aussi à l'alcool, une impression de temps suspendu tant sa vie est banale et sans relief, comme lui- même [ "C'est une saoulerie de n'être rien et la volonté est un seau qu'on a renversé au passage dans la cour, d'un geste indolent du pied"].tant son quotidien qui se résume à la fenêtre de sa chambre, à ce bureau de la rue des Douradores, à ce quartier et à cette ville, est monotone, banal, sans relief.

C'est aussi un journal intime au quotidien, avec de nombreuses réminiscences d'enfance, tenu tout au long de sa vie où l'auteur analyse les nombreuses facettes de cet « hétéronyme », cette « prolifération de soi-même » qui existe en chacun de nous. Cela donne, sous la forme de pensées décousues mais dans une prose somptueuse et poétique, une analyse de l'existence quotidienne au bureau, douloureuse et parfois étonnamment douce. Cette somme de réflexions, de remarques, de prise de conscience de soi-même et parfois d'élans lyriques est presque une biographie de Pessoa écrite par Soares. Pourtant on peut aussi le considérer comme un récit, mais qui aurait la particularité d'être impossible à raconter ! De cette relation du quotidien sourd un ennui, la saudade, tout à fait caractéristique de l'âme lusitanienne. De plus, dans cet ouvrage, Pessoa entretient avec la ville de Lisbonne une relation toute particulière un peu comme le fait James Joyce avec Dublin.



Certains commentateurs ont parlé à propos de cet ouvrage de "littérature de limbes". J'ai vraiment eu l'impression que Pessoa a vécu sa vie comme un calvaire et anticipe son entrée dans le néant dans pour autant le craindre. Pour lui, il me semble que la vie elle-même était un lieu de souffrance où elle s’apparentait à une mort lente. Les limbes sont un espace assez confus et flou qui nous est proposé par les catholiques. Ils se situent après la mort, aux marges de l'enfer pour des âmes qui en seront libérées pour finalement entrer au Paradis, une sorte de purgatoire en quelque sorte. C'est aussi un endroit où séjournent les enfants non baptisés qui ne peuvent accéder au Paradis mais ne méritent pas pour autant l'enfer. C'est là un débat théologique qui devait échapper à Pessoa. L'auteur, conscient de lui-même n'est ni vraiment vivant ni complètement mort, juste de passage ici-bas, mais semble indifférent à son existence, à sa promotion professionnelle en se concentrant sur ses propres aspirations dont il est une sorte de contemplatif ironique. Il sait ce qu'il souhaiterait en ce monde pour lui-même mais, dans le même temps, a conscience qu'il ne parviendra pas à l'obtenir. Ce narcissisme enfante une certaine jouissance intime d'explorer son propre labyrinthe, d'analyser les arcanes de son "Moi", tout en ayant une parfaite conscience de soi et d'être l'illustration consciente de la parole de Rimbaud "Je est un autre". Paradoxalement peut-être, dans ce processus, l’humilité le dispute à la désespérance et Pessoa-Soares choisit une vie grise et sans relief. Il y a aussi de la lucidité dans tout cela et s'il choisit la solitude, le célibat, comme une sorte de sacerdoce, c'est pour mieux y développer sa réflexion sur le monde tout en en restant en retrait. C'est quand même l'ouvrage d'un philosophe, d'un penseur mais aussi et surtout d'un érudit.



A la lecture de ce texte, j'ai l'impression qu'il y a aussi du regret dans ces lignes ["Je gis ma vie"], une extrême conscience de l'échec [« Je suis l'enfant douloureux malmené par la vie »] au point de confier au papier puis à sa malle, autant dire au néant, toutes les réflexions que lui inspire ce quotidien sans joie ["Et je contemple avec dégoût, à travers les grilles qui masquent les fenêtres de l'arrière-boutique, les ordures de tout un chacun qui s'entassent, sous la pluie, dans cette cour minable qu'est ma vie"]. Pourtant il y révèle un curieux rapport à l'écriture qui n'est pas dénué d'un sens de l'esthétisme ["J'écris parce que c'est là le but ultime, le raffinement suprême, le raffinement viscéralement illogique de mon art de cultiver les états d'âme"]. Manifestement, il compense ce manque avec le rêve et l'imaginaire.



Il est vrai que l'analyse de cette œuvre de Pessoa ne peut se faire valablement dans ce court article.



©Hervé GAUTIER – Févrer 2013.http://hervegautier.e-monsite.com


































































































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Bureau de tabac et autres textes d'Alvaro d..

Est-ce que les poètes sont prédisposés à succomber aux addictions ? Peut-être est-ce juste une impression, mais il semble que les poètes meurt peu de vieillesse. Fernando Pessoa succombe à 47 ans, détruit par l'alcool.

Quel poète !

"Non, non, je ne veux rien. / J'ai déjà dit que je ne voulais rien. / Epargnez-moi vos conclusion ! / L'unique conclusion c'est crever."

Il porte sur le monde qui l'entoure un regard acéré, lucide, sans complaisance. Il perd son père à cinq ans et l'une de ses demi-sœurs. Le deuil lui a fait l'âme obscure.

C'est le titre qui a éveillé mon désir d'achat. Et Puis, j'ai visité Lisbonne, une belle ville.

Ce passage m'a particulièrement plu : "Et je me dis : peut-être n'as-tu jamais vécu, étudié, aimé ni cru" ; et celui-ci : "Demain je vais m'asseoir à mon bureau pour conquérir le monde"

Fernando Pessoa est un auteur hétéronyme. C'est un mot que je ne connaissais pas.

La poésie de Fernando Pessoa résonne en moi. Elle fouille mon âme, laboure mon esprit, pilonne mon cœur. Elle me dilate. Elle m'inspire.

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Le livre de l'intranquillité

Rarement livre ne m'a procuré d'impressions aussi contraires et d'expériences de lecture aussi opposées. J'ai commencé par l'attaquer en le lisant d'une seule traite. Il m'a épuisé, étouffé ! J'ai changé mon fusil d'épaule et je suis passé à une lecture par petites touches, un ou deux chapitres à la fois pas plus. Et cela devient lumineux, me voilà touché par la grâce ! C'est passe-partout de dire que l'oeuvre d'un artiste ou d'un écrivain traite de la façon d'être au monde. Mais cette formule banale ne m'a jamais semblé aussi juste que pour ce livre de l'intranquillité. Qu'est ce qu'on retient de la vie humaine? Une illusion, une promenade dénuée de sens, une rencontre avec des congénères qui me sont étrangers à jamais ... ? Dans une langue poétique, parfois difficile pour le lecteur, Pessoa ne cesse de mettre en mots son expérience de vie. Expérience qui passe bien souvent par les mondes imaginaires, par les sensations, parfois épuisantes. Tout cela n'est pas très gai. Et on a l'impression d'un enfermement dans une prison mentale. Comme l'écrit Pessoa, vivre c'est jouer à cache-cache tout seul, à chercher à tâtons un objet caché on ne sait où, et personne ne dit ce qu'il est.
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Lisbonne

Qui de mieux qu’un poète amoureux de sa ville pour nous faire visiter Lisbonne ?

Bien sûr la visite date d’il y a maintenant un siècle, et il n’y a plus guère de calèches dans Lisbonne.

Cependant, les monuments eux sont toujours présents, et leur histoire quant à elle traverse l’Histoire.

Un guide à relire en déambulant dans la ville pour la voir d’un autre œil, celle de Pessoa dont la mémoire restera à jamais associée à Lisbonne qui fut dès son enfance son grand amour.

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Un singulier regard

Ce livre prolonge et complète le livre de l'intranquillité. On retrouve l'écriture sublime de Pessoa, qui se dévoile en tombant les masques. Le livre réunit des textes dans lesquels Pessoa parle de son écriture, de ses principes de vie. On y trouve aussi des lettres des ses amis et de sa famille qui dévoilent un peu cet homme aux mille masques. Il y a par exemple, une lettre de la sœur de Pessoa qui en 1985, c'est-à-dire juste après la parution de livre de l'intranquillité au Portugal, nous déclare qu'elle est passé à côté de son frère. Elle est très âgée en 1985 et elle nous raconte qu'elle voyait son frère insomniaque, qui écrivait toutes les nuits, mais elle n'avait aucune conscience de ce qu'il écrivait ni de son génie. On y voit la profonde solitude de Pessoa, son alcoolisme (mais personne ne l'a jamais vu soul), son goût pour le paranormal... Ce livre lève un peu le voile sur cet écrivain fascinant qui demeure malgré tout fascinant et mystérieux.
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Le livre de l'intranquillité

Absolu chef-d'oeuvre de littérature, de pensée et d'existence. Le livre, parfois ardu et lent, est d'une profondeur et d'une beauté peu égalées. Ce qu'est l'humain au plus humain est touché ici avec un rare vérité.

Livre de tous les chevets d'une vie.
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Histoires d'un raisonneur

Ce livre regroupe quatre histoires policières écrites en anglais a partir de 1906 et un essai en fin de recueil sur ce domaine de la littérature analysant ses lois et sa logique.Selon Pessoa(grand admirateur de Canon Doyle et d'Arthur Morrison),les nouvelles policières sont des exercices de raisonnement ,des histoires imaginaires dans lequel un problème est résolu intellectuellement.Le détective amateur de ces nouvelles,Wiiliam Byng,un ex-sergent,est l'incarnation parfaite du raisonneur.A chaque nouvelle,la démarche du raisonneur est privilégiée à l'analyse des faits et indices.Le narrateur explique le cheminement de Byng étape par étape pour aboutir à la résolution,ce qui rend le texte un peu long et répétitif.Et c'est pourquoi vaut mieux lire chaque nouvelle d'un trait,car comme ceux sont des suites de raisonnement qui s'enchaînent,une fois interrompues,difficile de s'y retrouver.Toutefois je recommande ce livre ,(un inédit récemment publié),aux Pessoa Lovers,pour ceux qui ne le connaissent pas encore, mieux vaut commencer par "le banquier anarchiste".
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Ode maritime

Œuvre éblouissante d'Alvaro de Campos, le double de Fernando Pessoa qui se dit ingénieur maritime, cette anthologie regroupe les plus célèbres poèmes "sensationnistes" du grand écrivain portugais. Dédiée au voyage, à la mer, aux "sensations" donc, lyriques, souvent délirantes, en fusion avec l'univers, toujours inspirées, d'une expression puissante, la poésie de Pessoa évoque celle de Whitman, qu'elle cite ou célèbre explicitement, celle de Cendrars aussi, quoique dans une langue de plus haute tenue, et se situe clairement parmi les courants futuristes de l'époque. Edition bilingue, ce qui permet de nuancer une traduction parfois heurtée, mais surtout d'apprécier, même si on ne la maîtrise pas bien, la merveilleuse langue d'origine.
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Fragments d'un voyage immobile

Ce recueil de textes brefs est une infime partie de l'énorme production de Fernando Pessoa. Ils furent choisis pour donner au lecteur "le portrait d'un homme extraordinaire et banal, loin de tout ordinaire" (dixit Rémy Hourcade).

J'ai apprécié son adroite construction sous forme d'une sorte de concaténation mais tout en me supposant (je n'ai rien lu d'autre) sensible à l'expression poétique de Pessoa, je reste assez indifférente à ce qu'il exprime, soit son "intranquillité" et son négativisme.
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Le gardeur de troupeaux

C’est la première fois que je lis de la Poésie.

Et quand je dis « lis », entendez « vis »,

car bien sûr j’ai étudié des poèmes à l’école, au collège puis au lycée, j’ai présenté des textes de Baudelaire, de Rimbaud ou de Verlaine, rédigé des « commentaires » à leur propos – quelle folie, me dis-je en l’écrivant – et appris par cœur des vers pour les réciter devant une trentaine d’âmes trop jeunes pour les entendre vraiment.

Mais jamais je n’avais vraiment lu d’œuvre poétique pour moi.

À voix haute, dans le silence de ma chambre et le brouhaha de la rue.

Jamais je ne me l’étais autorisée.

Ça n’était pas pour moi.

Je n’avais pas le niveau.

Je n’en étais pas capable.



Et puis j’ai entendu Baptiste Beaulieu parler de Fernando Pessoa et du recueil Le gardeur de troupeaux. Je l’ai entendu dire que ses mots l’avaient sauvé.

Littéralement.

Et si le terme peut paraître galvaudé, emphatique et ronflant, j’y ai cru dur comme fer.

J’ai couru à la librairie pour me le procurer. Par chance, l’édition disponible était absolument magnifique : un beau recueil blanc cassé aux pages épaisses, fin d’à peine un centimètre, près à se loger dans mon sac, entre deux autres livres non moins beaux.

Ne me restait plus qu’à m’y plonger, avec quelques craintes et beaucoup de bonheur.



« Et je suis triste comme un coucher de Soleil

Pour nos rêveries,

Quand on le voit disparaître, là-bas au loin

Et qu’on sent déjà entrer la nuit

Comme un papillon par la fenêtre ouverte.



Mais ma tristesse est tranquille

Elle est naturelle et juste

Comme doit être une âme

Quand elle sent qu’elle existe ;

Alors les mains cueillent des fleurs

Sans qu’elle s’en aperçoive. »



Et pour la première fois de ma vie, j’ai senti que quelque chose se brisait dans mon cœur. Une croute épaisse et sale. Cachant un magma bouillonnant. Sur mes joues coulaient d’authentiques larmes venues des tréfonds de mon âme. Voilà que j’avais accès à quelque chose de nouveau. Comme si je découvrais une nouvelle pièce dans la maison que j’habitais depuis près de trente ans.

Je ne croyais pas cela possible et pourtant…



« Mais je ne veux pas toujours être heureux.

Il faut être de temps en temps malheureux

Pour pouvoir être naturel…



Il n’y a pas que des jours de soleil,

Et quand la pluie manque trop, on la réclame,

C’est pourquoi je prends malheur et bonheur avec naturel

Comme celui qui ne s’étonne pas

Quel y ait des montagnes et des plaines

Qu’il y ait des rochers et de l’herbe…



Ce qu’il faut, c’est être naturel et calme

Dans le bonheur ou le malheur,

Ressentir comme on regarde,

Penser comme on marche,

Et quand on va mourir,

Se souvenir que le jour meurt,

Que le couchant est beau et que belle est la nuit qui reste…

Et que si c’est ainsi c’est parce que c’est ainsi… »



Le gardeur de troupeaux, ce sont des mots très simples pour dire l’essence des choses. Des mots bercés d’innocence, de justesse et de vérité. « Un exercice vers la non-pensée » comme le dit Olivier Liron, « vers l’expérience spirituelle » à proprement parler.



« Je n’arrive même pas toujours à ressentir ce que je sais que je dois ressentir.

Ma pensée ne traverse à la nage que très lentement la rivière

Tant lui pèse le costume que les hommes lui ont fait porter. »



Et comme Fernando Pessoa, en refermant le recueil, j’ai senti à nouveau « la vie couler en moi comme un fleuve dans son lit.»
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Le livre de l'intranquillité

Il est peu probable que de nombreux lecteurs lisent ce livre d'une traite. Ce n'est ni un roman, ni un récit, ni un essai. Ce sont des notes, souvent d'une ou deux pages, qui constituent le journal intime des six dernières années d'un aide-comptable apparemment "ordinaire" qui explore en permanence son être, ses rêves et le monde qui l'entoure. À consommer à petites doses.



D'entrée de jeu, le poète nous emporte : "Nous sommes deux abîmes glissant vers l'abîme — un puits contemplant le Ciel". Il avoue l'angoisse que la "nostalgie de cet autre qu'il aurait pu être" lui inspire et se regarde jouant un rôle qui lui a été assigné : "Jusqu'au plus intime de ce que j'ai pensé, je n'ai pas été moi" (*). Il se sent "cloîtré dans une cellule sans limites" et de laquelle il ne peut fuir, précisément parce qu'elle est un tout. Métaphysique et poésie sont ici mêlées.



De très nombreux passages, si j'étais prof de philo, m'auraient inspiré pour proposer des sujets de dissertation. Ainsi : "Je lis, et me voici libre. J'acquiers l'objectivité. Je cesse d'être moi, cet être dispersé". Commentez ! Plus loin, Pessoa nous parle d'une sorte de prénévrose (sic), de ce qu'il sera lorsqu'il ne sera plus : "Et le froid de ce que je ne sentirai pas étreint mon cœur d'à présent."



La poésie est partout présente dans ce livre majeur. Contemplant les maisons en cascade sur les collines de Lisbonne, il les apostrophe : "vous n'êtes aujourd'hui, vous n'êtes moi que parce que je vous vois, vous êtes ce que vous ne serez plus demain, et je vous aime, voyageur penché sur le bastingage, comme un navire en mer croise un autre navire, laissant sur son passage des regrets inconnus." Il y a du Valéry dans cet homme-là : "Je suis un nomade de la conscience de soi", et encore : "J'ai sculpté ma propre vie comme une statue faite d'une matière étrangère à mon être".



Cette lecture, vous le comprenez, demande un effort et, du moins pour moi, nécessite des périodes de repos. Aux deux-cinquièmes de cette aventureuse traversée, je fais une escale. Je reprendrai dans les semaines à venir la haute mer de l’intranquillité avec Pessoa comme skipper et viendrai compléter mes premières impressions.



(*) Comme un plagiat par anticipation de "Qui suis-je quand je ne suis pas moi ?"
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Le livre de l'intranquillité

J'ai souvent l'impression d'une grande affinité de pensée avec Pessoa, c'est troublant. Son intranquillité m'est très familière. Ses interrogations sur le moi, sa duplicité, son étrangeté au monde extérieur, tout me parle de la manière la plus intime. Cette façon d'être spectateur de sa vie tout en étant très conscient de son état. Sa vie est fantasmée comme un refuge éternel, une dimension à sa mesure, ou plutôt ses mesures puisqu'elles sont multiples, Bernardo, Fernando, Ricardo, Alvaro...Comment être sincèrement l'un de ses hétéronymes, là est la question. Comme un journal intime, ce livre nous plonge au cœur du problème de l'identité et du rêve. Pessoa ne vit pas ses rêves, il rêve sa vie. Certains diront qu'il ne vit pas vraiment, pour moi il existe bel et bien, comme un personnage fictif, à l'absence bien réelle, il le dit lui même d'ailleurs "je suis devenu un personnage de roman, une vie lue".
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Le Banquier anarchiste

Véritable petit traité pour devenir un vrai anarchiste, un démontage en règle de la société bourgeoise et de ses fictions sociales, révision totale de ce que devrait être un anarchiste, pas uniquement un poseur de bombes.



C'est bien écrit, c'est profond...peut-être un peu trop car par moments j'ai eu une impression de tourner en rond.



Deux mentions spéciales:

- livre écrit en 1922 qui a une idée et réflexions très visionnaires de la Révolution d'octobre en Russie;

- je conseille de lire les quelques pages du livre traduites par F.Pessoa à la toute fin de l'ouvrage.
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Le Marin : Drame statique en un tableau, édit..

Il était une fois trois femmes-araignées. Tard dans la nuit, elles veillaient auprès de leur sœur allongée, et disposaient autour d'elle des fils de vie. Mais elles faisaient de piètres Parques. Sous leur souffle hésitant, leur ouvrage s'effilait en des points de suspension, formant « des phrases confuses, un peu longues ». Insatisfaites, intranquilles, elles offraient un triste spectacle à leur sœur immobile, et au public caché qui les regardait.



Elles avaient conscience de tout cela : « Vous ne dites que des mots ! C'est si triste de parler… ». Mais sans toiles de mots, il ne reste que le vide et la faim dévorante. Alors que pouvaient-elle faire d'autre que se remettre à l'ouvrage ?



Sous l'emprise de leur tristesse, les veilleuses tissèrent un chant mélancolique, pour attraper les rêves et les couvrir de soie. Dans le pays de Pessoa, ce chant s'appelle le fado. Une tradition aux origines incertaines, presque hors du temps, qui permet donc de ménager un espace commun susceptible d’unifier les rêveries dissemblables convoitées par les trois veilleuses. Océans contre montagnes contre forêts…



Qu'attrapèrent-elles dans leur toile unique ? Une île avec un marin et des palmiers. Ou alors un vieux château perdu dans des cimes côtières et occupé par quatre sœurs. Car c'était peut-être le marin qui rêvait et se piégeait lui-même en s'inventant de multiples identités, comme celles dont il peuplait ses villes invisibles, en attendant sans doute de les décrire à Kūbilaï Khān, à la manière du Marco Polo d'Italo Calvino. Rêver, c'est un peu comme voguer sur la mer : tout oscille et se renverse parfois. D'ailleurs on ne sait jamais qui de l'homme ou de la mer prend l'autre.



En face, le public s'impatientait. Il voulait en savoir plus sur ce marin, le voir en chair et en os. Mais ce marin n'avait-il pas toujours été là ? N'était-il pas plus réel que tout ce que l'on voyait ? Et s'il nous imaginait... ? Un démiurge à la Godot, peuplant sa solitude en inventant des gens qui l'attendent.



Ce marin inconnu nous fait dériver dans l'éternité.



Mais l'inconnu, c'est aussi la source de toutes les peurs. Voilà pourquoi le rêve devait tôt ou tard se changer en cauchemar. Peut-être les veilleuses comprirent-elles que la possibilité d'un rêveur sur son île remettait en question la réalité de leurs vies. Peut-être, par ricochet, commencèrent-elles à se rendre compte que leur quatrième sœur ne se relèverait jamais de son cercueil. Ou peut-être enfin sentirent-elles confusément ces formes face à elles dans l'obscurité, qui attendaient sans rien dire, menaçantes comme les montagnes qui compriment la mer. Une terreur indicible affleurait, contaminant les rêves : « Qu'est-ce-qui arrive aux choses qui s'accordent à notre horreur ? ». Seule la lumière du matin pourrait dissiper cette obscurité menaçant de tout engloutir. Mais les rêves survivraient-ils à l'éveil ? C'est là le genre de drame statique qui se dénoue chaque matin.



PS : la parole des veilleuses doit être encore plus languide en portugais : l'abondance d' « o » me semble favoriser la dérive.



PPS : Merci à toi Lutopie, pour m'avoir fait découvrir ce marin et sa saudade (et non pas sa dorade !) avec cette suggestion de lecture commune.
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Bureau de tabac, autres poèmes

Fernando Pessoa (1888-1935) a été un homme de lettres génial, mais mal reconnu. Entre autres , il a écrit (en prose) "Le Livre de l'intranquillité", une oeuvre originale et d'une rare intensité. "Bureau de tabac" est une longue poésie qui, à juste titre, est passée à la postérité. Pessoa s'exprime fortement sur son vécu, partagé entre espoir et désespoir. Mais c'est ce dernier qui l'emporte nettement: il écrit: « Mon coeur est un seau qu'on a vidé ».

La dimension du poème est évidemment très personnelle, mais aussi métaphysique. Dans "Bureau de tabac", il y a beaucoup d'angoisse et une interrogation existentielle récurrente: qui suis-je ? qu'est-ce que je peux faire de ma vie ? Il écrit: « Que sais-je de ce que je serai, moi qui ne sais pas ce que je suis ? ».

On n'est pas très loin de l'existentialisme, mais ici l'intention n'est pas philosophique. L'auteur s'abstient de toute intellectualisation, de toute généralisation. Mélancolique, il pratique l‘autodérision et s'appuie sur quelques détails dérisoires de sa vie: sa mansarde, son intérieur négligé, le bureau de tabac en face de chez lui… Quoiqu'éloignés de son expérience vécue, les lecteurs du XXIème siècle sont pris à la gorge par l'authenticité du texte. Pessoa parle pour nous tous...

Ici, pas d'artifice littéraire, pas d'obscurités voulues et pas de joliesse travaillée. Cette poésie se lit très facilement, malgré la tristesse mortelle dont elle témoigne. Les mots employés sont simples, les phrases sont fluides, leur sens apparait immédiatement et l'auteur ne fait pas rimer ses vers. Je trouve pourtant que Pessoa a un talent poétique fou.

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Le livre de l'intranquillité

Après toutes ces approches patientes, quand je suis retourné à Lisbonne en décembre et que je suis tombé nez à nez avec le monument à Fernando Pessoa dans le cloître du monastère des Jeronimos à Belem (l’église elle contient les tombeaux de Vasco de Gama et de Luis de Camões, le père de la littérature portugaise), et que j’ai trouvé « Le Livre de l’Intranquillité » dans la boutique du monument, je ne pouvais plus reculer. J’ai acheté une copie et je l’ai lu.

« Certains ont un grand rêve dans la vie qu’ils échouent à réaliser. D’autres n’ont aucun rêve du tout, et même en cela, ils échouent [78/422] ».

« A travers ces impressions délibérément disconnectées, je suis le narrateur indifférent de mon autobiographie sans événements, de mon histoire sans une vie. Ce sont mes confessions et s’il n’y a rien dedans, c’est que je n’ai rien à dire [25/12] ».

Ces deux extraits du « Livre de l’Intranquillité (Livro do Desassossego) » résument bien l’esprit de ce livre étonnant, ouvrage posthume publié pour la première fois en 1982, 47 ans après la mort de Pessoa. C’est l’œuvre d’un écrivain persuadé qu’il ne sera jamais publié (de son vivant il ne publia que très discrètement dans quelques revues), un comptable sans ambition, un célibataire casanier qui ne sortait quasi jamais des rues du centre de Lisbonne, et qui pourtant est maintenant fêté comme un des auteurs européens les plus modernes.


Lien : http://www.lecturesdevoyage...
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Le livre de l'intranquillité

Je reste avec lui, n'en déplaise à Montaigne qui jusqu'alors m'accompagnait partout... Sourire, parce que Pessoa n'est pas du genre à vous remonter le moral ! Oups ! Il n'y a pas de narration, les amateurs d'actions passez votre chemin, il n'y a que le vagabondage du personnage sur lui-même, ses réflexions au détour d'une rue, à la fenêtre, pendant l'orage, au café près de chez lui, au bureau, ce lent chemin du "vivre" malgré soi.

Je le savoure, retourne en arrière, prends quelque distance, reviens m'asseoir près de lui.

Un poète qui s'autobiographie en creux, ce vide entre lui et lui.

Autobiographie sans évènement.

J'entends ce vide de l'entre deux, distanciation, l'autre est Je mais Je est un autre. Fabuleux texte, intranquille comme vous l'entendez aussi par mes sensations plutôt que par ma réflexion.

C'est la poésie du vivre.

Il raconte qu'il lève la tête de son existence anonyme, vers la claire connaissance de la façon dont il existe. Où il écrit encore "je n'ai même pas joué un rôle: on l'a joué pour moi; je n'ai pas été non plus acteur: je n'ai été que ses gestes."
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Fernando Pessoa

Un petit livre bleu qui m'a permis de découvrir Pessoa pour mon plus grand bonheur...

Pessoa veut dire personne et ce 'personne' écrit sous diverses plumes au caractère différents ainsi nous dévoile-il de façon kaléidoscopique les diverses facettes de sa personnalité
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Le Banquier anarchiste

Ce livre est un ovni littéraire!

Ni un roman, ni du théâtre, ni de la poésie!

Juste un dialogue!

Ou comment avec un peu de rhétorique, il est possible de défendre n'importe quel point de vue!

Avec plein d'humour et de mauvaise foi, Fernando Pessoa démonte quelques grandes pensées du vingtième siècle: Socialisme, Capitalisme ou Anarchie chacun y perd des plumes.

A lire pour le plaisir, ou pour méditer.
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