Des designers de sextoys, j’en ai rencontré des grands, des petits, des drôles ou des timides – ou les deux, jeunes beaux gosses, inventeurs un peu dingues, doués et impliqués, ignares ou de passage dans le métier. Et un jour comme un autre que l’on me présentait le dix-septième designer de sextoys de ma vie, agréable et plein d’idées, eh bien en ce jour-là, paf ! une révélation me tombe dessus. C’est encore… un homme. Imaginez découvrir que les concepteurs de berlines allemandes ou d’avions Airbus sont quasiment uniquement des femmes. Vous le remarqueriez, n’est-ce pas ? Sans dire que vous trouveriez cela insensé, mais ce serait un fait remarquable.
C’est important pour lui d’être dans ce magasin d’objets pour l’épanouissement sexuel, cette quincaillerie célèbre pour vendre des rustines pour couples qui se dégonflent. J’imagine que depuis plusieurs jours, son cœur balance, il pense à cet instant, à cet endroit, à ce qu’il y trouverait. Il a fait l’effort de venir. Il voulait dire « j’aimerais un sextoy pour ma femme » comme on dit « je prendrai un chèvre et un camembert bien fait » dans une crèmerie, mais sans réfléchir, il me raconte sa vie intime, en quelques phrases brutes, toutes simples. Il n’est pas étonné par sa confession, il s’est allégé, n’ayant jamais partagé ces mots avec personne, sans tourner autour du pot.
Le type a pris de mauvaises habitudes, il casque pour se garantir une vie cotonneuse, des œillères tout-terrain, un confort annuel, un train-train loin d’être mirifique, mais il ne se plaindra pas tant que c’est calme. Il paye pour arriver à destination plus vite sans prendre le temps de se réjouir : perdre sa bedaine, choper une bonne mine, diplômer ses gosses, se détendre pour éviter les maladies cardiaques, recevoir une promotion, éviter le divorce, rire et éjaculer régulièrement pour bien dormir, ne pas avoir peur de mourir, faire comme tout le monde.
Et pour certains, l’intervention muette d’un sextoy ne peut être que bienfaisante, parce qu’il va créer un léger chaos qui brisera les non-dits. Un sextoy s’offre et va dire à leur place « on ne fait plus l’amour, ça me manque. Qu’est-ce qui ne va pas ? Tu ne veux plus de moi ? ». C’est un petit explosif enrobé de papier cadeau pour dynamiter le mur du silence. Mais il arrive qu’il y ait un problème de dosage et le sextoy explose à la figure du couple – le mur du silence était trop épais.
L’amour existe généalogiquement, dans la famille, entre des générations – grands-parents, parents, enfants, petits et arrière-petits-enfants. Mais l’amour qui inspire le désir – hormis quand il est historique, disons entre Louis XIV et Madame de Maintenon –, cet amour-là, Nonna prouve qu’il n’existe pas en n’en parlant jamais ou en le niant intensément. « Ces deux-là, s’ils s’aiment ? des bêtises. Ça change quoi, de toute façon ? »
Jamais je n’aurais pensé être écoutée un jour comme un oracle dans un magasin de sextoys, par des femmes et des hommes perdus dans leurs problèmes de couples. Cette responsabilité de donner des conseils sur la vie sexuelle et affective d’inconnus est vertigineuse.