Selena, appuyée sur le garde-corps du pont avant, tremblait intérieurement d'émotion.
Elle connaissait pourtant les paysages, les odeurs du maquis se mêlant à l'iode maritime, les manoeuvres du navire et tout ce qui faisait le charme de cette arrivée par la mer, pour les avoir vécus, chaque été, pendant des années, quand elle venait en vacances chez son père.
"On ne s'habitue pas à la beauté, pensa-t-elle en retrouvant des yeux la Citadelle, le Vieux Port et la façade de Saint Jean, on la redécouvre à chaque fois, différente et pourtant semblable, plus intense peut-être parce que connue, espérée et attendue."
Et pourtant, l'arrivée au port est, à chaque fois, un déchirement.
L'approche par la mer est magnifique, les paysages grandioses, baignés de cette lumière si particulière. Alors moi, comme une amoureuse, je l'enveloppe du regard, ma ville, mon bastion. Je la caresse, je la retrouve enfin et je sens combien elle m'a manqué.
Mais cette terre que j'aime tant n'a jamais voulu de moi.
Et je ne sais pas pourquoi.
Selena écourta l'observation de la photo et la rendit à Nunzia en la remerciant d'avoir pensé à elle.
- Maintenant vous savez d'où une partie de vous vient.
Vous avez entre vos mains une pelote de laine emmêlée. C'est la mémoire vive de vos ancêtres. Il va falloir en dénouer les fils pour pouvoir ainsi, avec un lien sans noeuds, tisser votre propre vie.
Il le faut.
Pour vous.
Et pour elle, répondit la vieille dame en montrant Salomé.
Il avait voulu créer sa rose, originale, sans commune mesure avec les autres, pour se singulariser de son père, rosiériste établi et prospère, et donner ainsi un sens à sa vie qu'il ressentait si vide, si inauthentique, si banale.
Selena écarta légèrement le rideau de sa chambre et scruta le ciel.
En un simple coup d'oeil, elle évalua le temps qu'il faisait dehors et décida de sa tenue vestimentaire. Pas de nuages, un bleu limpide, un doux soleil et une clarté particulière : le printemps provençal s'annonçait.
Ce matin, la jeune femme avait rendez-vous chez sa psychothérapeute pour sa deuxième séance et cette perspective ne la réjouissait pas beaucoup.