J’adorais la regarder, cette vitrine ! J’adorais la perfection qui régnait dans cet espace hors toute réalité, la profusion de détails, l’arrangement maîtrisé. Chaque chose y était à sa juste place. Chaque objet choisi dans le moindre de ses aspects. Tout cela m’apaisait.
Je suis plutôt quelqu’un de futée (brillante même si vraiment on donne dans l’honnêteté) et habituellement, je comprends ce que l’on m’explique. J’entends les sons, j’en tire les mots que j’arrange sous forme de phrases et chaque phrase fait sens et je comprends aussi bien les mathématiques (je travaille dans la finance) que les sciences (on vit dans un monde régi par elles, c’est la moindre des choses que de s’y intéresser) que l’économie, que la littérature (qui me passionnait avant ,quand j’avais encore le temps), que les langues étrangères ... Bref, je comprends les choses, je comprends le monde, je ne suis pas de ces femmes qui s’appuient sur leur compagnon à la moindre difficulté, je gère moi-même toute notre vie et les factures et les impôts et l’organisation de la maison et des vacances, je compte sur moi pour tout et c’est bien comme ça, j’ai été élevée comme ça et c’est ce qui explique que j’ai été étonnée de ne soudain plus rien comprendre à rien.
C’est merveilleux le langage du corps, c’est une façon de dire la vérité, même quand on ne se sait pas assez courageux pour la dire ! Son corps disait qu’il ne voulait pas rester. Son corps disait qu’il n’aimait pas me voir comme ça.
J’avais appris à vivre comme ça, sans me poser de questions, à cent à l’heure, des semaines folles à partir tôt et rentrer tard et le week-end pour les papiers et la maison et les courses et pour les expositions, les sorties et le dimanche pour sortir aussi, à la mer le plus souvent, qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il neige et même s’il ne neigeait pas si souvent et même si le plus souvent il faisait grand soleil ! Ciel grand bleu ! Et qu’allais-je faire de ma vie dans ce lit où il n’y avait pas le ciel et pas la mer et où il n’y avait pas de contraintes pour me dire quoi faire et quand le faire ?
Qu’allais-je faire ?
- Vous savez qui je suis ? Cette fois, sa tête fait non. - Ils ont dû vous dire mon nom seulement. Dostoïevski. Fiodor Michaïlovitch Dostoïevski. Sonia le dévore des yeux. Elle habituellement si réservée, elle si tristement bien élevée pour une prostituée, elle avale le visage de cet homme, d’un trait, avec passion et il est gêné pourtant lui non plus ne la quitte pas des yeux, il l’observe avec une intensité presque chirurgicale et c’est comme s’il voyait par-delà la peau, les vaisseaux, veinules, veines, les artères, le sang qui coule, l’oxygène et la vie.
Qu'allais-je faire de ma vie dans ce lit où il n'y avait pas le ciel, pas la mer, et où il n'y avait pas de contraintes pour me dire quoi faire et quand le faire ?
Ce n'était pas l'exacte vérité, je le savais. Mais c'était mon exacte vérité. Dans tout ce qu'elle avait de profondément injuste. Et pour lui. Et pour moi .
Il ne s'agit pas seulement de savoir quelle mère tu veux être pour ce bébé. Il s'agit de savoir quelle femme tu veux être pour toi !