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Rajiv voulait aider Mustapha et Ilan, les seuls guerriers rescapés. Il voulait comprendre cette haine qui persistait, qui n’en finissait pas de s’éteindre. Quel mal avait pu les atteindre pour qu’ils aient tant de mal à aimer ?

Il surprit Ilan qui errait seul dans les ténèbres, ses ondes trahissaient des sentiments tourmentés. Il s’approcha de lui.

- Je voudrais t’aider, dit Rajiv.

- M’aider ! Pourquoi ? demanda Ilan.

- Pour que tu n’aies plus peur.

Ilan voulut s’éloigner, mais Rajiv le rattrapa.

- Ne t’inquiète pas nous ne serons que toi et moi.

- Que vas-tu faire ?

Rajiv guida Ilan vers les ténèbres que leur cécité ne remarquait plus. Ils s’assirent l’un en face de l’autre.

- Nous allons voyager dans le temps, nous allons retourner dans le passé que tu as oublié, au début de ta vie. J’ai besoin de ta complicité.

- Mais en quoi cela va-t-il m’aider ? demanda Ilan apeuré.

- Tu verras ! Allonge-toi, ferme les yeux et concentre toi sur le point que je vais toucher.

Rajiv posa un doigt sur le front d’Ilan.

- Continue à te concentrer sur ce point. Tes paupières sont lourdes, très lourdes, tu ne peux pas les lever, tu ne peux pas.

Ilan tenta d’ouvrir les yeux mais n’y parvint pas.

- Détends-toi, répéta Rajiv plusieurs fois.

Ilan ne luttait plus

- Tu m’entends ? demanda Rajiv.

- Oui, je t’entends.

- Qui es-tu ?

- Je suis Ilan.

- D’où viens-tu ?

- Je viens d’une bourgade de Tel Aviv.

- Que fais-tu à Tel Aviv ?

- Je suis clochard, on me maltraite, mon existence n’est que souffrance, les enfants me jettent des pierres, les hommes me crachent dessus.

- Bien ! dit Rajiv, retournons plus en arrière et raconte-moi.

Ilan se leva, se mit à courir comme s’il tenait un guidon entre les mains, il imita le bruit d’un moteur. Il parlait hébreux, sa voix avait mué, il était retourné à l’âge de l’adolescence.

- Continue, va plus loin dans le passé, dit Rajiv doucement.

La voix d’Ilan émit un gazouillement, il bougeait les poings comme un bébé.

Rajiv l’interrompit de nouveau.

- Maintenant quitte cette vie et retourne dans une de tes vies antérieures. Imagine que tu sors de ton corps et que tu t’élèves au-dessus de lui, puis redescends doucement.

Rajiv fit une pause, puis continua.

- Tu regardes autour de toi et tu vois ce qui t’entoure, tu restes détendu. Tu pourras éprouver des émotions, mais ces émotions ne te feront aucun mal. Maintenant ouvre les yeux, soit prêt à accepter ce que tu vois. Je vais compter jusqu’à trois et tu me diras ce que tu vois.

- Un …! Deux …! Trois…!

Un long silence suivit, Ilan ne bougeait plus, il était immobile comme une statue. Soudain, il se dressa, leva la tête, des ondes terribles le traversaient, tout son être vibrait d’une furieuse cruauté.

Ilan tendit une main rigide comme une barre de fer.

- Heil Hitler ! Heil Hitler !

- Schiessen ! Schiessen!

- Ja, mein Führer !

Rajiv perdit sa maîtrise, un poing lui serra le cœur. Le silence était accablant et le Juif ne cessait de répéter.

- Heil Hitler ! Heil Hitler ! Schiessen ! Schiessen !

Rajiv sortit de sa torpeur et hurla à Ilan.

- Ça suffit !

Ilan sursauta, il se réveillait.

Rajiv réalisa très vite la situation, il aspira profondément, retrouva un semblant de calme.

Rajiv se tourna vers la communauté qui fixait Ilan bouche bée.

- Je vous ordonne de garder le silence sur ce qui vient de se passer. Ne répétez jamais à Ilan ce que vous venez d’entendre. Il ne s’en remettrait pas.

Tous acquiescèrent sans mot dire. Hommes et femmes, sous le choc, n’avaient pas encore assimilé la scène dont ils venaient d’être témoins, mais déjà un doute affreux s’emparait d’eux. Une question terrible, qui étaient-ils ? Qui se cachait au fond d’eux ? Ébranlés ils se dispersèrent. Malgré leur solidarité, ils réalisaient qu’il y aurait toujours, entre eux, des murs qu’ils ne pourraient franchir.

Rajiv s’adressa de nouveau à Ilan.

- Ilan, avant de te réveiller, écoute-moi. Je veux que tu reviennes doucement dans le présent, que tu redescendes doucement dans ton corps, mais avant je veux que tu oublies, tout de cette vie passée, que ta mémoire voile ces derniers instants. Détends-toi ! Oublie ! Oublie ! Maintenant réveille-toi doucement.

Ilan s’ébroua, il se sentait mieux, apaisé, il ne se rappelait de rien.

Rajiv resta longtemps dans l’ombre, pour la première fois depuis qu’il se livrait à l’hypnotisme, il doutait. Il ne parvenait pas à croire ce qu’il venait d’expérimenter. Il savait qu’il n’y avait pas de supercherie possible, qu’Ilan n’aurait pu se jouer de lui. De plus, comment un Juif aurait-il pu vouloir être nazi. Non, Rajiv devait se rendre à l’évidence, il n’y avait aucun doute sur la véracité du passé qu’Ilan venait de révéler à son insu.

Il avait du mal à prendre du recul mais il ne pouvait ni ne voulait retarder sa compréhension. C’était trop grave, il atteignait une nouvelle dimension de l’Humain, une dimension universelle, qu’il n’avait encore jamais expérimentée. Les questions existentielles ne se limitaient plus au présent mais aussi au passé, elles ne se limitaient plus à un état mais à plusieurs.

Rajiv savait au travers des préceptes qui lui avaient été enseignés, plus tard renforcés par son expérience de l’hypnose, qu’hommes et femmes vivaient plusieurs vies, au cours de ces vies, leur rôle, leur classe sociale, leur sexe, leur nationalité, leur religion pouvaient changer. Mais jamais il n’aurait imaginé que deux vies successives puissent être aussi diamétralement opposées, où un natif du peuple oppresseur devenait un natif du peuple oppressé, où le tortionnaire devenait le supplicié. Il pressentait là un sens profond à l’existence et réalisait le côté dérisoire des adhérences nationalistes, l’inutilité des conflits religieux. Une vie là, une autre ailleurs, une fois riche, une fois pauvre, une fois homme, une fois femme. Pourquoi dans un sens et pas dans l’autre ? Pourquoi Ilan avait-il été Allemand avant d’être Juif. Pourquoi l’oubli entre deux vies ? Ne serait-il pas plus utile de se rappeler pour ne pas recommencer, pour comprendre plus vite, pour assumer ses fautes ? Mais ne venait-il pas lui-même, d’imposer à la communauté de garder le secret ?

Péres voyait dans l’expérience qu’il venait de vivre un message signé de Dieu. Il en déchiffrait lentement la texture. Cette expérience était la concrétisation de l’union universelle des Hommes. Depuis déjà bien longtemps, il n’y avait plus dans la communauté de récognition sociale, nationale ou religieuse, de différence raciale ou sexuelle. L’Homme aspirait à être humain et, loin de la société, il n’avait plus besoin de ces références. Il s’était, avec le temps, éloigné de sa culture, si peu de chose la suscitait et l’Humain oubliait si vite. Il ne restait de la nationalité que la langue, l’expression des ondes. Peu parlaient encore de leur ville, de leur patrie, de leur religion, concepts devenus obsolètes. Noirs, blancs, jaunes, qu’elle importance, l’essentiel c’était l’Homme. Cette dernière épreuve ne faisait que renforcer sa conviction.
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FLORENCE KISS
- Je suis née dans une plaine. Au centre de cette plaine, s'élevait une montagne, elle était si haute que même par temps clair, on ne pouvait voir son sommet. Les gens de la plaine naissaient, travaillaient, mouraient à ses pieds, sans jamais la regarder. Pour moi, elle était l'image de l'idéal, l'autre vérité, la connaissance, la spiritualité. Plus j'imaginais son sommet, plus la plaine me paraissait fade, les gens grossiers, repus de rien...
Un jour, je me suis approchée d'elle, j'ai touché sa nudité simple, je l'ai étreinte comme ma mère, puis je me suis hissée. D'abord mon ascension fut rapide, mes pensées étaient accaparées par cette furieuse envie de fuir que je n'aurai su justifier. Ce n'est que hors d'atteinte que je sentis ma crainte, mêlée de doute, virer au remords. Mon imagination me diffusait des images de souffrance et de mort. Ma faiblesse, frivole, implorait un courage encore timide. C'est alors que les gens de la plaine me virent. Ils s'approchèrent de la montagne, affolés. Debout, face au vide, je savourais ma hauteur, eux étaient petits et vulnérables. J'entendis mon père m'appeler, ma mère sanglotait parce qu'il le fallait. J'hésitais encore, l'abandon avait le goût amer de l'échec, la confrontation avec les miens m'effrayait plus que la montagne que je sentais juste et vraie. Je subissais impuissante cette dualité. Mon incertitude était la dernière défense d'une éducation basée sur des principes pessimistes et mesquins, où tout achèvement était moyen ou médiocre, mais jamais bien. Cette fuite était la conséquence, la révolte contre ces principes obscurs, absents de réussite vers ce sommet qui symbolisait à mes yeux la perfection.

Après bien des années en quête du sommet que je n'ai jamais pu atteindre, le monde m'est apparu comme un placard et je ne savais dans quel tiroir entrer.
Je suis retournée dans la plaine, bien qu'elle soit sans substance, c'était mon tiroir. Dans ce tiroir, j'ai trouvé un autre refuge, celui de l'art. Je me suis versée dans la musique, l'écriture, la peinture. J'exprimais en notes, en couleurs, en mots, toutes mes passions, toutes mes peines, toutes mes frustrations, c'était mon exutoire. C'est dans ces expressions que j'ai trouvé ce à quoi j'aspirais. Je me suis créé un monde où tous les Hommes escaladaient la montagne et atteignaient le sommet. Ai-je réussi ? Ai-je échoué ? Cela n'a aucune importance. L'important est que dans cet isolement créatif, j'ai oublié mes angoisses et découvert la joie.
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Les groupes commençaient à se disperser quand une femme cria :
- Je veux mon enfant ! Je veux mon enfant !
Ils se figèrent, paralysés. L'énergie douloureuse de la femme sondait leur mémoire. Beaucoup, encore amnésiques, ne percevaient que des bribes de leur passé qu'ils subissaient sans établir de rapport avec eux-mêmes. Seule la conscience d'une minorité pouvait le raviver, les aider à faire le lien avec la réalité.
Jusqu'à cet instant, rivés à leur peur, ils étaient restés étrangers à d'autres états d'âme. Plongés dans une autre dimension, il y avait eu interruption dans la continuité. Les visages autrefois familiers leur paraissaient irréels, enfouis dans l'ombre. Il leur semblait que quelqu'un, quelque chose leur manquait, mais ils ne savaient pas qui, il ne savait pas quoi.
Les ondes de la femme, qui ne cessait de répéter ''Je veux mon enfant !'', ''Je veux mon enfant !'' les sortirent de leur torpeur. La mémoire des leurs jaillit comme une cascade d'eau vive.
Suzan ne pût retenir un sanglot. Jimmy s'effondra, le choc trop brutal, venait de lui asséner un coup fatal. Comment avait-il pu oublier sa fille qui était tout pour lui ? Sans elle, qui était sa raison de vivre, comment trouverait-il un but, un idéal dans son futur sans chemin ? Ses larmes, trop longtemps refoulées, coulèrent avec l'intensité de sa souffrance. Replié sur son moi douloureux, il n'entendait plus la femme qui ne cessait de hurler ''Je veux mon enfant ! ''Je veux mon enfant !''
Le philosophe s'approcha d'elle.
- Pourquoi veux-tu ton enfant ?
- Je veux mon enfant ! Je veux mon enfant ! criait-elle inlassablement.
- Quel avenir peux-tu désormais lui offrir ? Quel confort ? Quelle éducation ?
- Je veux mon enfant ! Je veux mon enfant !
Tous écoutaient, captifs d'une intense émotion.
- Quelles réponses donneras-tu à ses questions ? Quelles histoires lui raconteras-tu ? Que lui montreras-tu ? Quels espoirs lui donneras-tu ? Que lui enseigneras-tu ?
- Je veux mon enfant ! Je veux mon enfant !
Le philosophe hésita un moment, à court d'arguments.
- Penses-tu que ton enfant serait heureux sur cette terre aride ? Penses-tu qu'il soit juste qu'il souffre d'un tel isolement ?
- Je veux mon enfant ! Je veux mon enfant ! ne se lassait-elle pas de répéter.
On n'entendait plus que le hoquet des femmes qui pleuraient.
- Pourquoi veux-tu ton enfant ? Demanda le philosophe d'un ton plus dur. Pour combler ta solitude, consoler ton coeur aigri ou donner un sens à ta vie ?
- Je veux un enfant ! Je veux un enfant !
- Ça suffit ! dit Deschamps, ne voyez-vous pas comme ces femmes souffrent.
Ceux que la mémoire avait heurtés, fixaient le néant d'un regard éperdu. Ils auraient donné leur vie pour étreindre encore une fois leur femme, leur mari, pour entendre une dernière fois la voix innocente, le rire insouciant de leurs enfants.
- C'est vrai, dit le philosophe en s'éloignant, j'avais oublié que la vérité fait mal.
Le philosophe s'éloigna. Les voix, les couleurs, les images de joie et d'amour qui s'étaient élevées des abysses de leur mémoire s'évanouirent vers l'éternité, les livrant à la mélancolie. Il n'y avait plus de port où jeter l'ancre, livrés au manque, à l'absence, à la solitude, ils souffraient leur conscience et regrettait l'oubli. Leur coeur était un grand vide et puisqu'il n'y avait plus personne pour les aimer, ils voulaient mourir.
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