AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Cielvariable


LE DJIHAD FÉLIN DU PETIT CHAMPLAIN

Ma défunte mère, jamais à court de conseils aussi pertinents que futiles, m’a un jour suggéré de ne jamais m’approcher des hommes qui n’aimaient pas les animaux, preuve selon elle d’un gène manquant pour éprouver de l’empathie. Je n’ai jamais su à quel point je pouvais me fier à sa théorie, mais si elle était encore de ce monde, je lui ferais certainement part de la mienne: n’acceptez jamais – sous aucun prétexte! – un rendez-vous galant avec un propriétaire d’animaux si vous souffrez d’allergies. Vous risqueriez d’y laisser une partie de votre amour-propre et de votre foi en l’autre (insérez ici une musique dramatique).

Je ne sais pas ce qui m’a poussée à accepter son invitation.

Je ne pouvais probablement pas me résoudre à inventer une nouvelle raison pour répondre à la question la plus souvent posée à une femme de trente-deux ans, esthétiquement regardable, éduquée, joviale, dotée d’un sens de l’humour au coefficient de réussite relativement élevé et n’ayant reçu aucun diagnostic de problème de santé mentale au cours des cinq dernières années: «Pourquoi t’es encore célibataire?»

Gros, gros soupir.

L’interrogation venait avec une variété d’options: visage d’effroi, œil scrutateur, main sur l’épaule, sourire de compassion. Comme si mon indépendance était un prix à payer, plutôt qu’un objet à chérir.

Voyez-vous, bien que j’use parfois de mon imagination pour inventer quelques mensonges pieux, je ne fais pas partie de celles qui frôlent la crise existentielle dès qu’elles passent plus de six mois célibataires. J’ai assez peu en commun avec les héroïnes de comédies romantiques. Je ne ressens pas le besoin de noyer ma solitude dans l’alcool (j’ai amplement de bonnes raisons pour me verser un petit verre). La situation matrimoniale de mes amies n’est que l’un des nombreux sujets qui peuplent nos conversations depuis que nous avons choisi de ne pas résumer notre existence à la recherche d’un homme assez doué en travaux manuels pour que cesse le bruit infernal de notre horloge biologique, comme celles que nous surnommons affectueusement «les chasseuses de pénis». Je n’imagine pas mourir à quatre-vingt-trois ans, socialement recluse et passionnée par mes enregistrements de Virginie. Je ne comble pas un manque d’affection en enchaînant les prétendants au même rythme que j’achète de nouveaux vêtements (en tant que styliste personnelle, la fréquence de mes achats ferait de moi la pire traînée de Montréal!). Je ne fais pas non plus partie d’un groupe Facebook où les femmes s’encouragent à croire que les hommes sont tous des salauds, en partageant une fois par semaine un article sur les signes à surveiller pour éviter les pervers narcissiques… Je crois plutôt être de celles qui refusent que l’adjectif «pathétique» accompagne leur célibat et qui assument pleinement l’étiquette de «fille difficile».

Allez donc savoir pourquoi j’ai donné mon adresse à cet homme rencontré sur Tinder, alors qu’il avait trois caractéristiques susceptibles de me repousser instantanément: il fume, il vit à deux cent soixante-quinze kilomètres de chez moi et il possède deux créatures capables de mettre à néant tout mon capital de séduction et toute mon énergie: des chats.

Peut-être ai-je senti mes ovaires remuer en découvrant son allure: une barbe savamment entretenue, des cheveux en broussaille, des tatouages sur l’avant-bras droit et l’omoplate gauche, qui lui conféraient des airs de chat de ruelle apprivoisé, un regard profond et masculin, ainsi qu’un sourire d’une candeur irrésistible. Après dix secondes à observer les photos de son profil, j’ai swipé à droite en espérant qu’il ferait de même, afin que le système nous permette de discuter. Comme j’avais téléchargé l’application sur mon cellulaire plus tôt en matinée et que mes expériences passées m’avaient appris que les vingt-quatre premières heures étaient généralement les plus prometteuses – résultat d’un alignement karmique et d’un effet de «viande fraîche» incontestablement attirant –, mon petit doigt me disait qu’un être bien spécial allait être placé sur ma route.

Au bout d’une semaine de textos suffisamment emballants pour que nous nous avertissions de faire attention aux attentes qui pourraient ruiner l’aspect «moment présent and stuff» de notre première rencontre, il a consacré cent cinquante minutes de sa vie à rouler sur la 20 et à se stationner en parallèle devant chez moi.

Ouf.
Commenter  J’apprécie          10





Ont apprécié cette citation (1)voir plus




{* *}