Fotis Kontoglou

« Je suis heureux. Le soleil, sur cette île, ne se lève que pour moi, les phoques et les oiseaux, et je mangerai ce soir mon pain quotidien, l’âme en paix. Voilà des années que j’ai oublié les hommes. Je me souviens de la légende de Pythagore, qui de philosophe qu’il était est devenu roi, femme, cheval, poisson, hérisson et qui, finalement métamorphosé en coq, a pu constater que l’homme était bien la plus misérable de toutes les créatures… Les grandes villes me reviennent quelquefois à l’esprit comme des rêves qui se dissipent aussitôt. Je sors pour écouter les aboiements d’un phoque. Je n’attends rien qui, demain, ou la semaine prochaine, pourrait me plonger dans l’inquiétude. Le temps me semble même plus s’écouler, ni se précipiter, ni s’arrêter, je n’en ai plus conscience, puisqu’aucune urgence ne m’oblige à penser à lui… Je sais que les gens les plus stupides du monde pourraient se moquer de moi et me traiter d’enfant : je suis devenu si simple. Parfois, je pleure sans raison, pour des broutilles, comme quand je vois la ligne droite et nue de l’horizon fermer l’océan, ou bien quand mon chien, fou de bonheur, me témoigne plus de gratitude que je n’en mérite… » (p. 55)