La trace laissée par ma jubilation enfantine est encore si nette qu'il me semble, aujourd'hui, avoir détenu une clef que j'ai perdue. La clef des secrets de ma grand-mère sans doute.
9 mai 1945, 8h30
La bobine du temps défile à l'envers. Place du Rathaus la pluie picore la tôle du car pendant que les enfants réfugiés s'installent à l'intérieur. En attendant le départ, ils font de la buée sur les vitres pour dessiner des têtes qui rigolent. Les gouttes de pluie, de l'autre côté de la vitre, font pleurer les têtes qui rigolent. Dehors, les mamans d'adoption agitent leurs mouchoirs et versent des larmes en regardant partir leurs poussins.
Dans tous les villages, le dimanche ne sent pas comme les autres jours. Anne, en chemise de nuit à sa fenêtre, s'envole vers le dôme parfumé au-dessus des prés. Matin céleste. Tous ceux qui suivront seront plus pâles, mais elle ne le sait pas. C'est très rare de voir passer des souvenirs du futur.