Avec ses hauts talons en daim marron, Gloria [Vanderbilt] le dépassait d'une tête. "Little Gloria" avait grandi en beauté. Une beauté qui s'accordait à l'air du temps. Très 1940 et très Walt Disney. Sa peau d'une blancheur de neige crépusculaire, ses cheveux de jais et sa bouche vermillon rappelaient étonnamment Blanche-Neige dans son cercueil de cristal. A ses côtés, Truman Capote fignolait la ressemblance en composant le personnage d'un étourdissant petit nain. Joyeux en plus sophistiqué.
Le roi avait abdiqué en pensant conserver sur eux suffisamment d'ascendant pour les voir se plier à ses directives. On lui refusait tout en bloc : le titre d'Altesse Royale pour Wallis, une liste civile et toutes sortes de prérogatives et d'avantages qu'il croyait dus à son rang. Seulement, il était sorti du rang. Il n'était pas devenu un simple citoyen, mais presque. C'était sans doute la plus mauvaise affaire depuis qu'un de ses prédécesseurs avait cherché à échanger son royaume contre un cheval.
Bref, les Windsor arrivaient en pays conquis (encore que l'expression peut paraître quelque peu déplacée, vu les circonstances). L'entrevue se déroula à merveille. On comprend qu'au lendemain de la guerre, la duchesse ait préféré minimiser l'euphorie qui accompagna leur voyage mais, devant l'énormité de ses mensonges, on est gêné pour elle. Pour un peu, elle raconterait qu'ils s'étaient retrouvés à Berchtesgaden par hasard en allant cueillir des edelweiss. On mentirait cependant en affirmant qu'elle avait tout aimé en bloc. Deux ou trois choses, en particulier, l'avaient fait tiquer. Par exemple, le tapis cerise assorti à la gigantesque cheminée de marbre du salon. Une horreur ! Et les zinnias ! Elle détestait les zinnias et il y en avait partout. Et pourquoi Hitler portait-il des souliers vernis avec sa veste d'uniforme ?