Francis Wolff était au Parvis à Pau pour présenter "
Plaidoyer pour l'universel) publié aux éditions
Fayard.
Nous, humains, ne savons plus trop qui nous sommes.
Lorsque j’étais enfant, j’apprenais la "théorie musicale" dans de petits manuels (je ne sais pas s’ils existent encore) partagés en deux : le livret vert des questions et celui rouge des réponses. La première leçon de la première année était la suivante : "Qu’est-ce que la musique ?" ; et sur le livret rouge, il était écrit : "La musique est l’art des sons". Quel ne fut pas mon éblouissement, à l’âge de huit ans, en découvrant cette définition. Je ne sais pas si ce fut mon entrée dans la "théorie musicale", mais je crois que ce fut mon entrée en philosophie. Il y avait dans cet énoncé tout le pouvoir magique des formules définitionnelles. Elle concentrait en quelques mots simples le mystère des choses impalpables. Je n’ai guère changé d’opinion : la musique est bien l’art des sons.
On peut très bien être citoyen du monde tout en étant attaché à la culture française et fier d’être breton. Il est possible de défendre avec la même ferveur l’universalisme et la diversité culturelle : c’est mon cas.
Jamais nous n’avons été aussi conscients de former une seule humanité. Nous savons que nous sommes exposés aux mêmes risques planétaires : réchauffement climatique, extinction des espèces, mondialisation de l’économie… Et pourtant, alors qu’elle semble s’imposer dans les consciences, l’unité de l’humanité recule dans les représentations collectives. Partout les mêmes replis identitaires : nouveaux nationalismes, nouvelles xénophobies, nouvelles radicalités religieuses, nouvelles revendications communautaristes.
L'emprise de l'autre se mesure tantôt à sa présence tantôt à son absence.
Je l'ai dit bien souvent, notamment aux journalistes qui m'interrogeaient : je tiens Francis Wolff pour le plus grand philosophe français vivant. Cela ne signifie pas que ses idées soient toutes devenues miennes - l'admiration en philosophie, ne vaut pas approbation - , mais que je ne connais pas, à notre époque et dans notre pays, de philosophe dont la pensée soit plus forte, plus savante et plus rigoureuse que la sienne.
Note d'André Comte-Sponville dans son Avant-Propos
[...] Le mot même d'humanité est équivoque. Il désigne l'ensemble des hommes ou la qualité morale attachée au fait d'être homme. C'est la différence entre "être un humain" et "être humain". L'équivoque est curieuse, car on ne sache pas que le simple fait d'appartenir à l’humanité confère une quelconque vertu d'humanité - de bonté, de générosité, de compassion, d'altruisme. [...] Si l'équivoque que recèle le mot "humanité" est curieuse, elle n'est pourtant pas fâcheuse. Car, quel que soit la réponse que l'on donnera à la question -vide- de savoir si l’humanité est plus humaine qu'inhumaine dans ses comportements, on devra convenir qu'elle pourrait se définir par le fait que les conduites des hommes - qu'on les juge "humaine" ou "inhumaines" - sont régies par des normes et (au moins en partie) déterminées par des valeurs. Autrement dit, l'humanité est bien la seule "espèce" (si l'on tient à ce terme) "morale".
On ne peut dire pourquoi il y a de la musique sans définir d’abord ce qu’est la musique. Mais la question « Qu’est-ce que la musique ? » à peine formulée, un doute surgit. Pire : un scrupule. Est-elle « correcte » ? Est-il juste de parler de « la » musique ? N’est-ce pas là une généralisation imprudente? Ne conviendrait-il pas de respecter la diversité, la richesse, l’infinité des manifestations musicales et de parler « des » musiques, sans préjuger de l’essence ni même de l’existence de quelque chose qui serait « la » musique ?
C’est l’objection des ethnomusicologues : on croit qu’il y a un universel anthropologique là où il n’y a que des particularismes culturels. Après tout, il n’y a peut-être rien qui soit la musique en général, rien de commun entre le Clavier bien tempéré de Bach, les rituels grecs de possession dionysiaques, la stylisation du chant d’oiseaux chez les Kaluli et un concert de Booba.
Toute définition est générale, tout amour est particulier. [...] C'est vrai de tout concept. Mais c'est peut-être plus vrai encore d'un concept qui subsume des sentiments. Il n'en demeure pas moins qu'analyser un concept, même dans son usage impersonnel et objectif (...), peut s'avérer éclairant. C'est tout du moins une des tâches premières de la philosophie. Penser bien, c'est penser avec des concepts clairs et nets.

« Qu’est-ce que ? » « Pourquoi ? » Tels sont sans doute les deux modes d’interrogation fondamentaux pour quiconque cherche à comprendre le monde. Qu’est-ce que le Vrai, le Beau, le Bien, le vivant, l’homme, la science, l’art, la philosophie, etc. ? Pourquoi le ciel étoilé, pourquoi le mouvement, pourquoi vivre en société, pourquoi toujours du mal, pourquoi agir ainsi, pourquoi y a-t-il de l’histoire, pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien, etc. ? Ces questions ne sont pas éternelles, elles ont toutefois défini pendant longtemps le champ de la philosophie. Il pouvait arriver que l’on se demandât « où ? », « quand ? » ou « comment ? », mais les questions « qu’est-ce que ? » et « pourquoi ? » finissaient toujours par reprendre le dessus lorsque l’interrogation visait une fin théorique et nullement pratique. Le vieux rêve de compréhension totale du monde, c’était celui d’un savoir qui ne laisserait aucun qu’est-ce que ni aucun pourquoi sans réponse.