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Citations de Francisco Lozano (13)


Son corps n’était plus que douleur. Il avait atteint un stade où il lui était impossible de distinguer l’origine des élancements qui parcouraient sa pauvre chair striée de balafres sur lesquelles le sang virait au noir en coagulant.
Il gisait sur une planche au fond d’un cachot sans air ni lumière autre qu’une veilleuse destinée à permettre à ses gardiens de le surveiller. Le surveiller pourquoi faire ? Il aurait souri s’il en avait eu la force, il ne risquait pas de tenter quoi que ce soit, même un suicide serait au-delà de ses forces et de ses possibilités.
Il se rappelait les récits de la seconde guerre mondiale qu’il aimait tant lire lorsqu’il était adolescent. Une question le taraudait à cette époque-là, résistant torturé par la Gestapo aurait-il parlé ? Il avait la réponse maintenant. Il n’avait pas parlé, mais à quoi bon ?
Ses bourreaux n’étaient pas engagés comme les nazis dans une guerre qu’ils pouvaient perdre, les renseignements qu’il pouvait leur donner leur étaient quasiment inutiles. Ils contrôlaient l’armée, la police, en face d’eux le peuple se taisait, faisant semblant de regarder ailleurs. Tous ceux qu’il aurait pu dénoncer étaient soit en prison, il en avait croisé quelques-uns, soit partis à l’étranger. Leur but était de le briser, de lui faire perdre toute dignité, c'est pour cela qu’il s’était arc-bouté sur son silence
Pourquoi le peuple, son peuple, les avait-il abandonnés ? Tout avait commencé par des renoncements, des compromissions, des promesses non tenues. Dieu sait s’il avait rêvé d’un monde plus juste, sans misère, où les hommes se sentiraient égaux. Ce rêve l’avait porté pendant des années et des années. Jusqu’à sa participation au pouvoir. Gouvernement inespéré, incongru avaient proféré les leaders de la droite démocratique, illégitime avaient renchéri ceux de l’extrême droite.
A quel moment cela avait-il basculé ? Il y avait eu les reculs sur les promesses sociales de la campagne électorale, puis les manifestations de tout ce que le pays recelait de plus réactionnaire, des intégristes religieux aux ultra-nationalistes. La décision du président de ne pas répondre par la force au chaos qui peu à peu s'installait. Les demi-mesures qui ne satisfaisaient pas les opposants et éloignaient les partisans. La surenchère qui en découla. Les leaders de la droite de gouvernement qui peu à peu insensiblement, par peur de perdre leur électorat, alignaient leur discours et parfois leurs pratiques sur les chefs des groupuscules de la droite la plus extrême.
Un jour, ils s’étaient réveillés dans un monde qu’ils n’auraient pas pu croire possibles, pas chez eux, l’armée était fidèle aux principes démocratiques, elle obéissait au pouvoir. Le président pour prouver sa confiance avait nommé chef d’état-major l'un des généraux les plus engagés dans l’opposition. Il était maintenant à la tête de la junte avec entre autres le sang du président sur les mains.
Pourtant, lorsque la douleur lui laissait un répit, il se répétait qu’il ne regrettait pas son engagement, il est des rêves qui méritent qu’on leur sacrifie tout, y compris sa vie. Une larme coula sur sa joue noire de barbe et de crasse, il aurait préféré vivre pour ses idées il ne lui restait plus qu’à en mourir.
Ce matin, du moins pensait-il qu’il s'agissait du matin, ils lui avaient enlevé ses dernières consolations. Sa femme, le seul amour d’une vie qui n'allait pas être aussi longue qu’il aurait pu l'espérer, était morte en accouchant de leur deuxième enfant, mort né s’il devait les croire. Personne n’avait parlé d’Inès, sa fille, il s’accrocha à l’espoir que sa grand-mère la protégerait contre le général Ortega, son cousin. Il se souvenait des vacances au bord de la mer chez elle, des jeux avec ses cousins dont Manuel, puis à l’adolescence de leur rivalité à propos des filles. C’était stupide de se dire qu’il n’était pas possible de prévoir, bien sûr rien n’est écrit.
Il avait fini par s’assoupir, cela faisait longtemps qu’il ne dormait plus. L’ouverture de la porte de sa cellule le réveilla. Il reconnut deux des militaires qui l’avaient " interrogé ". Ils le soulevèrent, chacun glissant une main sous une aisselle. Celui qui paraissait le plus gradé, ils ne portaient ni insigne ni aucune autre marque distinctive, se pencha vers son visage « Tu as de la chance tu vas pouvoir prendre l'air. » Juan se dit que cela ne présageait rien de bon, tout changement dans la routine est source de danger pour un prisonnier politique. Ils l'entraînèrent, le traînant lorsque ses jambes ne le portaient plus. Le soleil dans la cour de la caserne-prison l'éblouit.
« Tu vas même faire un tour en hélicoptère. » Ajouta toujours le même homme, l’autre n'ouvrant pas la bouche. Ils s’approchèrent du Bell Iroquois, produit de l’aide militaire des États-Unis, la plus grande démocratie de la planète, Juan avait encore assez d’énergie pour ironiser. Il vit que trois autres de ses compagnons d’infortune étaient déjà installés dans l’hélico, il les connaissait tous, le plus jeune avait tout juste vingt ans. Il l'avait croisé devant la salle de torture, il frissonna en pensant au regard que le jeune homme lui avait lancé tout en murmurant « Je n’ai rien dit Juan, je te jure que je n’ai rien dit. » Pauvre gamin, quelle cause pouvait valoir autant de souffrances ?
Le vol dura un quart d’heure. Pour Juan ce fut comme une récréation, la journée était belle, le soleil dont il avait était privé depuis plusieurs mois, il avait perdu le décompte des jours, jouait sur son visage. Personne ne leur avait interdit de se parler, mais le bruit du moteur et le sifflement des pales les aurait obligés à crier et aucun n’était en état de le faire.
L’aéronef s’immobilisa en vol stationnaire au-dessus de l'océan. Le même homme s’approcha de Juan « Il paraît que tu aimes les animaux, tu vas pouvoir aller t’amuser avec les requins. » Il éclata de rire imité par ses compagnons. « Viens mon pote, ne les faisons pas attendre. » Juan se sentit soulevé de son siège. Un gifle d’air frais lorsque ils l'approchèrent de la porte, le rotor entraînait un ventilateur géant pensa Juan. Une poussée, quelques brèves secondes pendant lesquelles il eut l’illusion de voler puis le mur de l’océan et le néant.
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En attendant, il pouvait toujours contacter quelques amis pour mettre en place un dispositif de surveillance autour de Santiago Blanco. Il se souvenait très bien de ce dernier, il était catalogué nettement à gauche du temps où il travaillait à la DST. Il était également considéré comme un très bon flic, professionnel et fiable en toutes circonstances. La mort de sa femme lui avait mis un coup et pouvait le rendre dangereux.
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« Mensonges ! Tout ceci n’est qu’un tissu de
mensonges. Je n’ai plus aucune fonction officielle
auprès des forces armées de mon pays et je ne
pourrais… »
Les téléspectateurs d’Antenne Une ne sauraient
jamais ce que le général Ortega entendait ajouter
après ce « je ne pourrais ». En effet, il s’affaissa sur la
table basse après ces mots, qui seraient les derniers
prononcés au cours d’une vie longue à défaut d’être
honorable.
Tout d’abord la journaliste ne comprit pas. Les
caméras relayèrent dans des milliers de foyers la
stupéfaction qui n’arrivait toutefois pas à enlaidir son
regard.
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Le globe terrestre finit sa rotation sur un gros
plan d’Isabelle Lecavallier. Elle fixa son public de
l’autre côté de l’écran droit dans les yeux. Les siens
étaient d’un vert bronze profond qui divisait la France
en deux. Selon un sondage paru dans Télé Star, en
effet, cinquante pour cent des téléspectateurs assidus
de son émission « Le Monde à la Une », fleuron de la
chaîne Antenne Une, estimaient que la couleur de ses
yeux était naturelle alors que quarante-huit pour cent
la croyaient due à un artifice quelconque, deux pour
cent ne se prononçant pas. L’intéressée se montrait
particulièrement fière du faible nombre de personnes
que son regard, en passe d’éclipser celui d’Anne
Sinclair, laissait indifférent.
Son non moins célèbre sourire aux lèvres elle
pivota légèrement vers son invité qu’un zoom arrière
de la caméra avait fait entrer dans le petit écran.
« Bonsoir général Ortega.
– Bonsoir mademoiselle. »
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J’ai beau me dire que la politique c’est aussi ça et que personne ne m’a obligée à en faire, verser des larmes de crocodile sur un bourreau comme Ortega ça a du mal à passer.
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Enfin espérer était peut-être un mot inadéquat en égard aux sentiments que cette vieille fripouille d’Ortega inspirait au commissaire Martinot. Le meurtre n’est jamais une solution et ne vaut pas un bon procès se dit Martinot, le cas Bousquet en était un bon exemple. Quoique, dans le cas qui l’occupait la tenue de ce procès paraissait bien incertaine.
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Je pensais qu’un studio de télévision était toujours plein de techniciens se livrant à des activités mystérieuses pour le profane que je suis et donc susceptibles de voir ou à tout le moins apercevoir toute personne non habilitée faisant intrusion sur le plateau.
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Assassiner quelqu’un en direct à la télévision, sans se faire immédiatement prendre, laissait augurer un assassin habile. Le commissaire Martinot n’aimait pas les assassins habiles, ni les assassins tout court d’ailleurs. Fort heureusement pour lui, son grade ne lui donnait pas souvent l’occasion de traiter ce type d’affaires. Il fallait la conjonction de la personnalité de la victime, du lieu où le meurtre avait été perpétré et d’une revendication par un aussi mystérieux que nouveau venu, “Groupe pour la vengeance des victimes des dictatures”, pour que l’enquête lui échoie d’autant plus qu’il avait passé une bonne partie de sa carrière à la DST. Échoué était bien le mot d’ailleurs, sans doute le Ministre craignait-il que des questions relatives au secret défense ne viennent mettre des bâtons dans les roues de ses collègues de la police judiciaire et ne les empêche de dénouer l’affaire avec toute la célérité qui s’imposait.
 
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Le vol en provenance de Madrid atterrit à Orly avec une dizaine de minutes de retard, ce qui était très raisonnable avec ces aéroports surchargés et un ciel encombré d’avions emmenant le plus loin possible des hordes de touristes en mal de dépaysement.
Les voyageurs se hâtèrent vers la sortie comme si leur vie en dépendait. Gabrielle sourit, elle avait du mal à comprendre cette précipitation. Pour tous ceux qui avaient des bagages enregistrés cela ne ferait qu’accroître le temps d’attente devant les tapis roulants qui vomiraient leurs valises dans quelques instants.
Elle prit donc son temps, remerciant les hôtesses pour leur gentillesse avant de quitter l’Airbus A320 et de se diriger toujours aussi calmement vers la délivrance des bagages.
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Elle s’était fait une réputation d’objectivité et de courage, poussant les investigations aussi loin que nécessaire sans plier devant les pressions du pouvoir ou des annonceurs. Plusieurs fois au bord du gouffre financier, elle avait été sauvée à chaque fois par des souscriptions auprès des téléspectateurs.
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Pourtant, lorsque la douleur lui laissait un répit, il se répétait qu’il ne regrettait pas son engagement ; il est des rêves qui méritent qu’on leur sacrifie tout, y compris sa vie. Une larme coula sur sa joue noire de barbe et de crasse. Il aurait préféré vivre pour ses idées ; il ne lui restait plus qu’à en mourir.
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Tout avait commencé par des renoncements, des compromissions, des promesses non tenues. Dieu sait s’il avait rêvé d’un monde plus juste, sans misère, où les hommes se sentiraient égaux. Ce rêve l’avait porté pendant des années et des années. Jusqu’à sa participation au pouvoir. Gouvernement inespéré, incongru avaient proféré les leaders de la droite démocratique, illégitime avaient renchéri ceux de l’extrême droite.
À quel moment cela avait-il basculé ? Il y avait eu les reculs sur les promesses sociales de la campagne électorale, puis les manifestations de tout ce que le pays recelait de plus réactionnaire, des intégristes religieux aux ultra-nationalistes. La décision du président de ne pas répondre par la force au chaos qui peu à peu s’installait. Les demi-mesures qui ne satisfaisaient pas les opposants et éloignaient les partisans. La surenchère qui en découla. Les leaders de la droite de gouvernement qui peu à peu, insensiblement, par peur de perdre leur électorat, alignaient leur discours et parfois leurs pratiques sur les chefs des groupuscules de la droite la plus extrême.
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Il se rappelait les récits de la seconde guerre mondiale qu’il aimait tant lire lorsqu’il était adolescent. Une question le taraudait à cette époque-là, résistant torturé par la Gestapo aurait-il parlé ? Il avait la réponse maintenant. Il n’avait pas parlé, mais à quoi bon ?
Ses bourreaux n’étaient pas engagés comme les nazis dans une guerre qu’ils pouvaient perdre, les renseignements qu’il pouvait donner leur étaient quasiment inutiles. Ils contrôlaient l’armée, la police, en face d’eux le peuple se taisait, faisant semblant de regarder ailleurs. Tous ceux qu’il aurait pu dénoncer étaient soit en prison, il en avait croisé quelques-uns, soit partis à l’étranger. Leur but était de le briser, de lui faire perdre toute dignité, c’est pour cela qu’il s’était arc-bouté sur son silence.
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