Peut-on tout dire ? N’est-il pas inscrit au frontispice des rapports humains que l’on se doit de garder pour soi l’essentiel de son flot de pensées ? Est-il vraiment possible d’aborder par touches insensibles les questions les plus dérangeantes, celles qui ne font que révéler nos propres faiblesses ?
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Le lieu le plus aguichant n'est qu'un décor quand le cœur est malade. Faire la guerre sur une plage paradisiaque est une des possibilités de l’âme humaine.
- tu sais ce que c'est, toi la culpabilité , dit Jean après un bref silence.
- Oh que oui ! dit Raphael (...)
- Alors ?
- C'est ce qui fait la différence entre un homme et un animal, j'imagine..."
Je tournais autour de ma résolution pendant quelques semaines comme un chat joue avec une souris. Je m'imaginais mourir chaque nuit. Marie venait pleurer sur ma tombe avec des regrets éternels et des « si j'avais su » ; tout cela sur fond d'adagio déchirant et lugubre. Le drapeau français recouvrait mon cercueil et des personnalités officielles disaient leur profond respect pour le héros qu'on allait mettre en terre.
Tous les matins je me réveillais en vie ; il fallait retourner au lycée affronter une réalité quotidienne plus modeste. Les cours ne m'intéressaient pas plus que le brouhaha joyeux et insipide de mes camarades de classe. Je me laissais couler dans la dépression sans à-coups, sans plus chercher à lutter contre le courant qui m'emportait vers le grande large. Quelle douce sensation était-ce là ! Ne plus se battre, ne plus faire semblant ; j'étais pleinement moi, c'est-à-dire pas grand-chose, et le tout m'indifférait.
L'affaire fut vite entendue. La boutique était vieillotte et minuscule, la dernière propriétaire était morte d'ennui quelques mois auparavant. Je n'ai jamais pu me faire aux couleurs compassées, à l'odeur de vieux, à l'impression de ralenti et d'immobilité du temps de cet endroit. Ma mère, en passant ses journées derrière le petit comptoir, semblait installée dans un catafalque. Je me dis aujourd'hui qu'on ne devrait pas avoir le droit d'offrir ainsi à un enfant le spectacle implacable et quotidien de la fatalité.
-je ne crois pas que ces questionnements auront un sens à la fin, continue le vieux pilote. Ce n'est pas si mal de mourir en faisant ce qu'on aime le plus au monde. Le ciel t'as repris beaucoup parce qu'il t'avait donné beaucoup Tu as payé, tu paieras encore sans doute jusqu'au bout C'est maintenant à toi d'aller prendre ce qu'il peut encore t'offrir... et à le partager avec ceux que tu auras choisis.
- Se battre encore ...dit Jean
- Vivre ! C'est vivre, fils !
-Je crois que c'est Nietzsche qui disait ça... il faut perdre le bon et le mauvais, tout accepter pour se dire vraiment vivant.. un truc dans le genre, et moi ça me parle
"C'est pourtant simple, pensait-il, c'est pourtant simple d'ouvrir les bras, de se laisser aller. C'est pourtant simple mais c'est le geste le plus difficile à accomplir si l'on y réfléchit bien. Il emporte des conséquences infinies. Il est le choix primordial dans une vie d'homme, si on le fait avec sincérité."
- Ce n'est pas la beauté des lieux qui change, c'est notre regard.. Tu ne trouve pas que c'est réconfortant de penser qu'ils existaient sans nous et qu'ils existeront longtemps après nous ?
.. Et comment savoir si l'on est fait pour aimer ? Apres tout, sans doute en est-on capable dans nos tréfonds.. Une fois passée l'exaltation des corps que reste-t-il ? Chacun sait que la fin est inexorable, que l’échec et la douleur infligée à l'autre et à soi sont au bout du voyage