Pourquoi choisir de vivre dans la brume ? Et
Pourquoi s'obstiner ? Cloches d'effroi de l'
Église aux portes murées Comme si de quelque
Côté que notre regard se tourne surgissait un
monde aveugle et las.
Ainsi me suis-je mis à aimer ce qui était propulsé
dans ce monde
hors de l’écriture
Le petit jour dans les îles
Un simple oiseau revenu transfiguré de sa migration.
Il suffisait d’une barque
Il suffisait de ça.
si
vaste
était le mystère
de la vie
si
profonde
l’anxiété
qu’elle
véhiculait
que
presque sans raison
nous demeurions émotifs
sans raison ai-je dit
simplement
comme des âmes singulières
doutant de tout
surtout d’elles-mêmes
ainsi se faufilaient les ans
si profond étant notre étrange désir de vivre
C'était comme le désert. Comme des dunes aplaties.
Tel un troupeau allant vers toujours plus d'eau !
Halluciné ! Comme on aimerait enfin qu'il sorte de la
gorge : le grand cri rouge du couchant.
Ô la terrible anxiété de ceux qui, pieds nus dans la vase,
gravent la date de leur mort sur la pierre mouillée.
Hospice des incurables : dans la vaste salle jaune une
femme évoque, pour d'autres échevelées : la crue !
Mais justement, qu'en est-il du passé de ce fleuve ?
Ah ! Si l'on osait lui demander !
Entrant en force, m'arrachant du manteau de poussier
du brouillard.
(La Descente de l'Escaut)
Je
ne sais
pas
mais parfois
quand le ciel s'enveloppe dans
une sorte de bâche grise
même
le
bonheur
fait mal
MIDDELKERKE
la tête contre la vitre…
la tête contre la vitre comme un enfant qui rêve
comme un chien qui attend qui prend peur la rue
les arbres la ville immuable parfois le soleil
comme un geste amical tous ces destins derrière les
volets et moi enfant dans la cuisine et moi malade
et tourmenté les cigarettes paquets qu’on jette
odeur de tabac toutes ces chambres où j’ai vécu sans
femme dire ma détresse le lit toujours froid
un manège ma mère encore plus pâle la vie rac-
commodée comme une paire de gants lames sur la
chaise vie est un fleuve où je me noie
//Revue « Poésie 1, N°15, Mai 1971
On marche dans la fêlure intime du monde
Ces soubresauts nés de la douleur primitive
Quelle est la voix qui le dira ? Quel sera
ce corps qui saura mener jusqu'à son terme la
Valse triste ? Une voix s'élève à l'intérieur
De nous-même – voix chère –exprimant ce qui s'
Apparente à l'expression de la plainte première
Je suis cet homme-là qui, tant et tant, crut aux ver-
Tiges et qui, désormais, dans la déchirure du lan –
gage se tient, regard clair, miné toutefois, blessé
Dans la fêlure du monde où les plaies suintent
Ensuite je suis parti à la recherche de mon
enfance. Tout se termine.
[…]
Malgré le
froid et la neige de ce plein d'hiver. Tout ce qui
arrive est de ma faute. Je voulais que chaque acte
m'appartienne. Dans l'ordre. Il s'est passé
quelque chose. Dans ce lieu. Fraternisant avec
la pauvreté. Je pense aux fissures qui, sur les
murs, apparurent soudainement, aux déchirures
du sol, à des craquements divers bientôt suivis
d'appels à l'aide. C'était bien la vie immédiate,
avec ses stratèges, choqués de se retrouver aux
URGENCES de l'hôpital Saint-Antoine, sorte de
suite au hourvari qui s'était abattu sur le maga-
sin. Ah ! Décidément l'Histoire nous fait mal
avec ses meneurs préoccupés d'une seule chose :
savoir de quel côté il est plus facile de foutre
le camp et sauter par la fenêtre grande ouverte.
…
p.11-12
L'Escaut enfin doré ! Les écailles du soleil qui
accentuent encore le bruit de l'eau et des moteurs
L'Escaut enfin doré ! Où boivent les chevaux on
ramasse à mains plaines ce que je nomme leurs
tresses Quoi ! Serais-je passé là autrefois quand cette
terre plate m'était promise il me semble!
Et dans les prés les abreuvoirs font pourquoi pas rêver
de ce nom: Antwerpen! Devant le fleuve doré
Longs pyjamas aux raies jaunes, trop grands,
toujours trop larges,
pouvant servir pour deux corps à la fois.
Ils tiennent leur étoile au creux de la main
comme ultime pièce à conviction de reconnaissance de soi,
se dit Moi-de-onze-ans.
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