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Citation de Cielvariable


Avec M. Vinet, c’est différent. Au début de l’année, il nous a lu des poèmes. Imaginez un peu : des poèmes! Nous, de voir un vieux bonhomme chauve prendre des grands airs pour déclamer des niaiseries que nous ne comprenions pas, ça nous a fait crouler de rire. Vinet a vite compris, alors il a changé sa stratégie. Il a voulu nous lire le début d’un roman policier. Le premier chapitre seulement, évidemment. Ensuite, on était supposés se précipiter à la bibliothèque pour dévorer la suite et devenir des drogués de lecture. Mais on lui a vite mis les points sur les i :
- Écoutez, M. Vinet, tous les professeurs ont essayé le même truc depuis le début du primaire, et ça ne marche pas! Vous pouvez continuer à nous lire des histoires si ça vous amuse, mais nous, on n’a pas envie de les continuer!
Vinet a dit :
- D’accord, on va essayer autre chose : chaque matin, vous allez consacrer quinze minutes à la lecture. Quinze minutes seulement, ce n’est quand même pas la mer à boire! Et vous pouvez lire n’importe quoi, un journal, une revue, n’importe quoi!
Le lundi suivant, la moitié des filles de la classe sont arrivées avec des revues de mode, l’autre moitié avec un roman d’amour. M. Vinet a poussé un grand soupir, mais il les a laissées faire. Quand les gars ont sorti leur Journal de Montréal, il a poussé encore un grand soupir, mais il n’a rien dit. Mais quand Yan a sorti son Playboy, il est vite intervenu.
- Pas question de lire ça dans ma classe! a dit Vinet.
- Je ne voulais pas le lire, non plus!
Je voulais juste regarder les images…, a répliqué Yan, ce qui nous a tous fait rire.
J’aime bien Yan, et je pense que M. Vinet l’aime bien, lui aussi. Quand ils commencent à discuter, ces deux-là, ça n’en finit plus, et c’est justement ce qui est arrivé ce matin-là. Vinet a essayé de confisquer la revue, mais Yan n’a pas voulu la lui remettre :
- C’est pas juste, monsieur ! Les filles ont le droit d’avoir des revues de mode, et pas nous!
Vinet a répondu que Playboy n’était pas une revue de mode, puisque les filles étaient nues, mais Yan a répondu qu’il y avait autant de filles nues dans les magazines de mode, et Vinet a bien été obligé d’admettre qu’il avait raison. Ensuite, Yan a demandé à M. Vinet pourquoi les filles avaient le droit de lire des romans d’amour dans lesquels il y a des scènes de sexe, alors que nous, les garçons, on n’avait pas le droit de regarder des images de filles qui ne font rien d’autre que d’être belles. Il avait un peu raison, je trouve : pourquoi les mots ce serait correct et pas les images? Ce n’est quand même pas notre faute si les gars et les filles ne sont pas pareils. C’est vrai, quoi, les filles, ça les excite de lire qu’un beau bonhomme musclé serre dans ses bras la belle héroïne en lui chuchotant des mots d’amour, mais nous, les gars, on préfère voir l’héroïne déshabillée, et quand elle est déshabillé, elle n’a pas vraiment besoin de parler. Ce n’est quand même pas notre faute si on n’a pas la même sorte d’imagination, qu’est-ce que vous en pensez, vous, M. Vinet? C’était vraiment une belle discussion, et à la fin tous les élèves étaient contents : on avait parlé pendant dix minutes, il ne restait donc plus que cinq minutes de lecture obligatoire!
Dans notre classe, on est peut-être pourris en français, mais pour trouver des arguments on est quand même assez bons, même Vinet a été obligé de l’admettre.
- Vous êtes champions pour discuter, mais je maintiens ma position. La prochaine fois que l’un de vous apportera un Playboy dans ma classe, je lirai des poèmes pendant toute la période!
- Non, monsieur! Pitié! a supplié Yan en rangeant aussitôt sa revue dans son pupitre. Est-ce que je peux lire ça, à la place?
Et il a sorti de son pupitre un album de Garfield.
M. Vinet a poussé un long soupir, mais il n’a pas pu s’empêcher de sourire.
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