À l'occasion de son premier épisode Spécial Poésie, Livres Hebdo réunit un panel complet de personnalités de l'édition pour cerner les spécificités de cette thématique.
Un webinaire animé par Charles KNAPPEK, journaliste de Livres Hebdo et avec la présence exceptionnelle de Vincent GIMENO-PONS, délégué général du Marché de la poésie.
Avec la participation de :
- François HEUSBOURG, éditeur pour les Éditions Unes
- Ariane LEFAUCONNIER, directrice éditoriale de 10 pages au carré @10pagesaucarre
- Jean-Simon MANDEAU, chargé de diffusion pour Cheyne éditeurs @cheyneediteur9097
- Emile VITEAU, libraire de la Librairie Volontaires
© Livres Hebdo
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ma peur perce les pieds
terreur humide
le fleuve ventre ouvert
le couloir
avant on pouvait respirer
dans nos murs nos murs
tout autour
mais le vent respire
à l’intérieur
ventre ouvert l’intérieur renversé
c’est soudain ouvert
on respire
oui ma peur
I
Lentement
tout se déplace
on croyait tenir la réalité
lentement au milieu
au milieu des voitures
je rentre sous l’orage au milieu
des voitures qui dérivent
entre les rues
seul au milieu
de mon eau je rentre
dans le courant qui traverse
l’appartement
jusqu’aux chevilles
et soudain c’est comme
jusqu’au cou
rien respire
le vent
pousse à travers l’appartement
l’eau mon salon mes souliers
ma porosité
l’eau par-dessus les objets
de chaque côté des murs
à travers
jusqu’aux chevilles et jusqu’au cou
j’aide l’eau à passer
je fais le courant
dans la rivière de mon appartement
(…)
HIER SOIR
(extraits)
Vous savez, le paysage est dans l’œil, vous
savez bien, le paysage nous regarde.
Regarde l’œil. Sous la main le paysage se lève et dans la
main le paysage s’effondre. Vous êtes venu.
Voir. Sous la main le paysage, retenu dans l’œil.
Vous êtes entré dans le paysage.
[…]
J’ai fermé les yeux. J’ai perdu la mémoire. Les
petites pièces de bois, la tasse brisée sur la
table. En morceaux. Vous avez posé la main
sur les morceaux, vous avez posé la main sur le
paysage. Les morceaux ne sont pas brisés, vous
avez perdu le paysage.
[…]
Le nom est intact. Il n’a pas été retrouvé. Vous
avez dit, je vais perdre le nom dans la langue.
Je vais essayer de respirer, et de battre la
langue. Vous avez repris place. La table sous la
fenêtre. Là-haut, le nom perdu dans la
langue. L’eau, ce ne sera pas long.
HIER SOIR (extraits)
Il n’y a rien d’apaisant dans le silence. Que
dites-vous. Nulle part. Au moins l’eau passe
par le toit, la fuite, tout n’est pas figé. Je ne sais
pas si vous l’entendez, si vous pouvez. Je
pourrais fermer la porte. Vous entendez toujours
des pas dans le couloir. Mais cela n’existe pas.
La fuite. Il fallait vérifier tous les soirs. Les
marches de l’escalier n’ont jamais grincé. C’est à
dire que l’on pouvait monter et descendre, on
n’en savait rien.
Vous avez cru ça, ce ne sera pas long.
Doucement. On ne peut pas reprendre au début.
Savez-vous sur quoi vous marchez. On décrète
un nombre, c’est arbitraire. On se dit, ça
n’arrivera pas avant, dit-il. On croit. On croit.
Le nombre ou l’objet. On se dit que l’on tient. Il
suffit de savoir compter.
Hier soir. Je n’ai rien entendu. J’entendrai
toujours. Les bruits de pas, les échos. Sans
laisser de trace, les pas dans le couloir et l’eau
du toit. J’ai prononcé son nom dans le silence.
Et le silence en silence. Jusque dans les bruits
les plus infimes. Le corps immobile à côté de la
tasse brisée. Cela dure le temps de toucher terre.
Le temps de la chute. Ça ne dure plus.
LE CHEMIN QUI PASSE PAR LA FORÊT ET PAR LES CHAMPS NE VARIE GUÈRE.
Le chemin qui passe par la forêt et par les champs ne varie guère.
Là, l’aubépine, là le poirier aux fruits surs. Je m’y promène toujours
en silence, cherchant une réponse à mes propres pensées, dans
l’invention d’un compagnon qui n’a jamais été donné à cette solitude.
Ombrage, source, chien, et le premier village traversé, et les derniers
cent mètres du retour n’ont jamais connu nos échanges.
Car si nous marchons là, sur ce même parcours où nos pas marquent
la terre grasse, ce n’est pas le même chemin. On retrouve pourtant
l’aubépine, la poire, la source à voix claire sous son appentis de bois ;
pourtant la pente.
À la forêt et aux champs ta présence enlève une chose : le vide où
tombe ma pensée restée sans réponse, et l’obligation de t’inventer.
J’habite tout l’espace de ma solitude
en songe je conquiers des habitations
qui se dérobent
les livres sont à terre, la poussière tirée sous les meubles
je ne sais plus qui de moi ou de ma vie regarde l’autre
par la fenêtre
les vêtements retrouvés sont un peu courts
dehors, le jour s’endort
le temps de rêver est le temps d’être seul
ceux que je croyais à mes côtés sont partis
les compagnons véritables se dévoilent
ils portent le masque de l’absent
« qui chuchote mon nom »