Odile Jacob : Hommage à
François Jacob, Compagnon de la Libération, prix Nobel de médecine.
Collège de France, septembre 2015
Tout enfant normal possède à la naissance la capacité de grandir dans n'importe quelle communauté, de parler n'importe quelle langue, d'adopter n'importe quelle religion, n'importe quelle convention sociale.
Rien n'est aussi dangereux que la certitude d'avoir raison.
« Ce qui paraît le plus vraisemblable, c'est que le programme génétique met en place ce qu'on pourrait appeler des structures d'accueil qui permettent à l'enfant de réagir aux stimulus venus de son milieu, de chercher et repérer des régularités, de les mémoriser puis de réassortir les éléments en combinaisons nouvelles. Avec l'apprentissage, s'affinent et s'élaborent peu à peu ces structures nerveuse. C'est par une interaction constante du biologique et du culturel pendant le développement de l'enfant que peuvent mûrir et s'organiser les structures nerveuses qui sous-tendent les performances mentales. Dans ces conditions, attribuer une fraction de l'organisation finale à l'hérédité et le reste au milieu n'a pas de sens. Pas plus que de demander si le goût de Roméo pour Juliette est d'origine génétique ou culturelle. Comme tout organisme vivant, l'être humain est génétiquement programmé, mais il est programmé pour apprendre. »

« Et en brisant le vieux mythe de la chaîne des êtres vivants, Cuvier a peut-être plus fait pour rendre possible une théorie de l'évolution que Lamarck en généralisant le transformisme du 18e siècle. Il y a, en biologie, un grand nombre de généralisations, mais fort peu de théories. Parmi celles-ci, la théorie de l'évolution l'emporte de beaucoup en importance sur les autres, parce qu'elle rassemble, dans les domaines les plus variés, une masse d'observations qui, sans elle, resteraient isolées ; parce qu'elle lie entre elles toutes les disciplines qui s'intéressent aux êtres vivants ; parce qu'elle instaure un ordre dans l'extraordinaire variété des organismes et les lie étroitement au reste de la Terre ; bref, parce qu'elle fournit une explication causale du monde vivant et de son hétérogénéité. La théorie de l'évolution se résume essentiellement en deux propositions. Elle dit d'abord que tous les organismes, passés, présents ou futurs, descendent d'un seul, ou de quelques rares systèmes vivants qui se sont formés spontanément. Elle dit ensuite que les espèces ont dérivé les unes des autres par la sélection naturelle des meilleurs reproducteurs. Pour une théorie scientifique, celle de l'évolution présente le plus grave des défauts : comme elle se fonde sur l'histoire, elle ne se prête à aucune vérification directe. Si elle n'en a pas moins un caractère scientifique, par opposition au magique ou au religieux, c'est qu'elle reste soumise au démenti que peut lui apporter l'expérience. La formuler, c'est prendre le risque d'être un jour contredit par quelque observation. Mais jusqu'ici, la plupart des généralisations qu'a établies la biologie ne font que refléter certains aspects de la théorie de l'évolution et la confirmer. C'est le cas notamment de toute une série de propositions du genre : tous les êtres vivants sont constitués de cellules ; tous les êtres vivants utilisent les mêmes isomères optiques ; l'information génétique d'un organisme est contenue dans l'acide désoxyribonucléique ; l'énergie nécessaire à un être vivant lui est fournie par des réactions (…). »
« Car contrairement à ce qu'on croit souvent, la démarche scientifique ne consiste pas simplement à observer, à accumuler des données expérimentales pour en déduire une théorie. On peut parfaitement examiner un objet pendant des années sans jamais en tirer la moindre observation d'intérêt scientifique. Pour apporter une observation de quelque valeur, il faut déjà, au départ, avoir une certaine idée de ce qu'il y a à observer. Il faut déjà avoir décidé ce qui est possible. »
Ne faut-il pas passer soi-même par certaines situations désagréables, voire odieuses ou ridicules, en éprouver de la confusion ou de la colère, pour que se grave en nous ce que nulle parole ne peut apprendre? Pas de meilleur instructeur que l'amour-propre pour parcourir un trajet que personne ne peut faire pour vous.
« L'évolution biologique est ainsi fondée sur une sorte de bricolage moléculaire, sur la ré-utilisation constante du vieux pour faire du neuf. »

« ...il faut bien considérer comme le résultat d'un bricolage cosmique ce qui reste à la fois le problème le plus déconcertant et le conte le plus étonnant : la formation d'un être humain ; le processus qui, par la fusion d'un spermatozoïde et d'un ovule, met en route la division de la cellule-oeuf, qui devient deux cellules, puis quatre cellules, puis une petite boule, puis un petit sac. Puis, quelque part, dans ce petit corps en croissance, s'individualisent quelques cellules qui se multiplient jusqu'à former une masse de quelques dizaines de milliards de cellules nerveuses. Et c'est grâce à ces cellules qu'il devient possible d'apprendre à parler, à lire, à écrire et à compter. C'est avec ces cellules qu'il est possible de jouer du piano, de traverser une rue sans se faire écraser, ou d'aller faire une conférence à l'autre bout du monde. Toutes ces capacités sont contenues dans notre petite masse de cellules, toute la grammaire, la syntaxe, le géométrie, la musique. Et nous n'avons pas la moindre idée sur la manière dont tout cela se construit. Pour moi, c'est l'histoire la plus étonnante qu'on puisse raconter sur cette Terre. Beaucoup plus étonnante que n'importe quel roman policier ou de science-fiction. »
Admirer, oui. Idolâtrer, non. Ni les dieux, ni les hommes. Les dieux, parce qu'ils n'existent pas. Les hommes, parce que ce ne sont pas des dieux.
« Contrairement à ce qu'on croit souvent, l'important dans la science, c'est autant l'esprit que le produit. (…) Ils savent maintenant devoir se contenter du partiel et du provisoire. Une telle démarche procède souvent à l'encontre de la pente naturelle à l'esprit humain qui réclame unité et cohérence dans sa représentation du monde sous ses aspects les plus divers. »