Dans "L'annonce de ma mort est très exagérée" (Cherche-Midi, 2021), le journaliste au Monde Denis Cosnard se penche sur ce phénomène littéraire qui aujourd'hui se retrouve sur les réseaux sociaux, fait l'objet de canulars et peut s''écrire avec créativité et poésie.
Le faire-part de décès relève de ce que François le Lionnais- fondateur avec Queneau de l'Oulipo - nomme "troisième secteur", à côté de la littérature et de la paralittérature. le faire-part de décès nous parle de la vie autant que de la mort, portant des histoires d'amour, des combats, des enjeux politiques.
À partir d'exemples réels (Mark Twain, dont une citation célèbre donne son titre à l'essai), de la littérature et du cinéma, Denis Cosnard présente un objet ludique, entre tragique et comique, et guère morbide.
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Ainsi passèrent pour moi les jours à Dora, au milieu des interminables appels dans la neige et du vent froid de l'hiver. Rompu maintenant à mon jeu, je n'avais plus guère besoin des toiles peintes par ces peintres pour créer mon univers de formes et de couleurs. Quelques semaines avant la Libération, j'avais récupéré suffisamment d'élasticité intérieure pour pouvoir me livrer de nouveau à l'un de mes anciens vices : la Peinture mentale.
Les mots nouveaux me donnent de la tablature*,
Ils ne figurent pas au Larousse illustré
Et bien souvent je suis quelque peu étonné
Par ceux-ci, dont l’aspect semble contre nature :
Arnalducien, bensilloscope, bergissime,
Blavièrement, braffortomane, duchater,
Lattissoir, lescurophage, queneautiser,
Quevaloïde, schmidtineux, à quoi ça rime ?
Mais il est parmi tous un mot imprononçable,
Sous un parler rugueux son sens est délectable,
C’est le mot : oulichnblkrtssfrllnns.
J’eus tort de faire appel à lui pour un sonnet
Car je ne trouve pas de rime à frllnns.
"donner de la tablature" : locution vieillie, causer de l’embarras, donner du mal.
Cette euphorie fut de brève durée. Elle fut assez longue cependant pour me permettre de supporter la solide volée de coups de poing et de gifles à décrocher les mâchoires (encore un cas où se révèle la supériorité expressive du langage populaire sur le vocabulaire académique : c'est « baffes » qu'il faudrait dire) qui furent mon lot quand mon tour arriva d'être fouillé.
On sait combien - du berger au citadin, du nordique au méridional, du travailleur à l'oisif - l'apparition du temps vécu varie d'un homme à l'autre ; pour un même individu elle évolue, en même temps qu'il avance en âge, avec une remarquable élasticité.
Une année d'écolier lui paraît durer un siècle, une année de vieillard, un jour, de sorte que l'on a pu dire qu'un enfant de douze à treize ans a l'impression d'avoir vécu plus longtemps que ses grands-parents.
(page103)
Peu d’énigmes sont aussi troublantes que celle du temps.
Il n’en est guère d’aussi dénaturée. Aux immenses difficultés d’appréhender un phénomène qui se présente à la fois comme la trame de tous les changements du monde extérieur et de nos pensées s’ajoutent les déformations de l’anthropomorphisme et les pièges du verbalisme.
(page 7)
On prétend souvent que la mesure du temps n’en exprime pas la nature intime.
Mais qu’est-ce que la nature intime du temps ? La mesure de n’importe quel phénomène (ou de n’importe quel objet) ne livre pas, et ne prétend pas livrer toute la réalité de ce phénomène.
(page 8)
Le temps qui dévore tout, dévorera le temps.
Proverbe indien.