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Citation de Livretoi


J’imagine, qu’à cette minute, ma belle-mère devait jouir, au sens absolu : elle savourait ce plaisir qui n’appartient qu’à Dieu, de tout connaître du destin d’une personne qui croit nous le découvrir, et de se sentir maîtresse de l’incliner dans un sens ou dans un autre. Car elle ne doutait point de son pouvoir sur la conscience anxieuse de M. Puybaraud, et reçut d’Octavie elle-même confirmation. Après que, par une gradation savante de la confiance à l’inquiétude, Brigitte en fut venue à s’écrier : « Votre trouble me trouble moi-même !... » et qu’elle eut demandé avec angoisse à la pauvre fille, s’il s’agissait d’un homme marié ou divorcé, comme l’accusée baissait la tête et dérobait ses larmes, elle l’interrogea sur un ton qui trahissait presque l’horreur :
« Malheureuse enfant, dois-je comprendre que la personne en question est liée à quelqu’un qui ne souffre pas de partage ? Iriez-vous sur les brisées de Dieu même ?
- Non, madame, non ! Il est libre : ses supérieurs sont d accord. M. Puybaraud (car vous avez deviné, madame Brigitte) doit quitter le collège dès cette semaine ; et nous avons d’ores et déjà la permission de penser l’un à l’autre… »
Ma belle-mère se leva, et lui coupant la parole :
« Vous n’avez rien à ajouter. Je ne veux rien entendre de plus. C’est à vos directeurs respectifs de prendre leurs responsabilités, Je puis avoir sur une question de cet ordre des vues qui ne concorderaient pas avec les leurs…
- Mais justement, madame Brigitte, s’écria Octavie en larmes, M. Puybaraud n’arrive pas se laisser convaincre de son droit. Il me répète que, vous seule, sauriez l’éclairer, vous seule possédez assez de lumières pour lui rendre la paix. Comprenez bien, madame, qu’il ne s’agit pas de ce que vous pourriez croire… On n’a qu’à me regarder : M. Puybaraud n’est pas poussé par de basses convoitises, Mais il me dit qu'à l’idée qu’il pourrait avoir un jour, un garçon comme votre petit Louis, il sanglote de joie…
Oui, oui…répliqua sombrement ma Belle mère. Le démon n’attaque pas les êtres nobles et candides sans prendre des détours…
- Oh ! Madame Brigitte, vous n’allez pas lui faire croire qu’il s’agit d’une ruse du démon ?
…/… « Mais non, Octavie, ne me jugez surtout pas hostile par principe à ce que la nature déchue réclame de vous. M. Puybaraud n’est pas seul en jeu ; et je croirais, volontiers, que vous, du moins, êtes appelée à remplir les devoirs du mariage et de la maternité. Oui, répéta-t-elle, l’œil fixé sur l’humble fille (imaginant peut-être ce ventre sous ce tablier et cette ingrate figure encore enlaidie par le masque des grossesses), oui, peut-être est-ce en votre faveur que M. Puybaraud se détourne de sa vocation. J’envisage tout à coup que sa défaite pourrait vous être nécessaire et entrer dans l’économie de votre salut. »
Ainsi Brigitte Pian prêtait-elle au Père qui est au ciel, les complications et les détours de sa propre nature. Mais déjà Octavie Tronche, envahie par l’espoir, relevait, comme une fleur qui reprend dans l’eau, sa souffreteuse et tendre figure.
Oh ! Madame Brigitte, c’est maintenant que Dieu vous parle, s’écria-t-elle avec exaltation. Oui, oui, c’est pour moi, pour moi seule, misérable, que M. Puybaraud renonce aux joies d’une vie plus haute, à la paix d’un collège dont il était l’honneur…
- Et vous accepteriez de sang-froid ce sacrifice, ma fille ? » demanda brusquement Brigitte Pian.
Octavie demeura interdite.
« Notez que je ne prétends pas que vous deviez le refuser. Je dis qu’en dehors de toute autre question, ce problème particulier s’impose à vous : avez-vous ou non le droit d’accepter qu’un homme tel que M. Puybaraud, qui vous dépasse infiniment par tous les dons de l’esprit et par les grâces reçues, vous sacrifie les fruits de son apostolat, sa gloire devant Dieu, son honneur devant les hommes ? Car il ne faut point se dissimuler qu’une désertion de cet ordre, même (et surtout) aux yeux des mondains, enlève tout crédit à ceux qui y cèdent. Et à quoi sert de se boucher les yeux ? Toutes les portes se fermeront devant lui, et comme il n’est personne qui ne soit plus désarmé dans les nécessités de l’existence, vous devez bien vous persuader qu’il va se trouver engagé par vous dans une vie besogneuse, pour ne pas dire misérable… »

.../... Quand ma belle-mère avait précipité une créature dans un abîme d’affliction, il lui plaisait de l’en retirer aussitôt par une grâce toute gratuite. Ayant donc considéré qu’Octavie Tronche en était au point de ne pouvoir descendre plus bas, elle prit soin de la relever peu à peu et de lui insuffler quelque espoir.
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