Découvrez Simulacre de François-Régis de Guenyveau sur WebTvCulture
Tu sais, continua Sonia, ce que Steve Jobs a répondu à un journaliste de New York Times qui lui demandait ce que ses enfants pensaient de l’iPad ? Il a dit « ils ne l’ont jamais utilisé » et il a ajouté « nous faisons en sorte qu’ils n’abusent pas de technologie à la maison. » Il était parfaitement conscient que ces gadgets ne sont pas neutres. C’était en 2010, l’année de sortie de l’iPad 1.
Enfin, comment ne pas penser aux moines en sandales qui apparaissent dans ce livre ? Ils sont inspirés d'une communauté bien réelle, celle des franciscains du Bronx, établie depuis 1987. J'ai eu la chance de les rencontrer en 2012, et de leur rendre visite à plusieurs reprises. J’ai été marqué par leur courage, leur engagement au service des plus pauvres. Ce roman leur est dédié.
Le passeur et son chien marchent en tête sous l'œil austère des édifices. Le spectacle des constructions humaines défile depuis plus d'une heure. Soudain un morceau de ciel, un nuage, puis le feuillage d'un arbre. Premiers vestiges de la nature. L'avenue se dilate, les toits s'évaporent et leur conscience s'éclaircit. Bientôt la verdure émerge, les ormes déploient leurs rameaux, le parfum capiteux des clématites monte comme des fumées.
Voir son sort scellé par un algorithme qui va dans le sens de l’histoire, qui fait le jeu de la pensée dominante pour faire du chiffre. La voilà la révolution qui se prépare.
Le monde des chiffres et le monde des idéologies participent du même mensonge. Mais dans leur cas, il n’y a pas de scrupule à simplifier. Ce qui relie le monde des chiffres (de Zhao Tech que j’avais quitté, du cabinet de conseil de l’Institut que j’allais découvrir) et le monde des idéologies (de June ou de son contraire, Coutrans), c’est de croire réellement que la vie peut être enfermée dans des modèles reproductibles, que ces modèles sont la vie, qu’ils disent tout d’elle. Je ne peux pas en vouloir à leurs représentants : comme moi, ils essaient de cerner ce qui les entoure pour y donner du sens. Mais une chose m’attriste : qu’ils nous privent sciemment de la fascinante ambiguïté du monde, qu’ils ne pensent donc plus que l’art, dans la complexité et les nuances qu’il exprime, en est la plus belle copie, la seule représentation légitime.
« C’est pas si facile la vie d’artiste, dit-il en expirant sa fumée bleue. Tu t’imagines peut-être que l’art échappe aux lois de l’économie de marché, mais pas du tout. L’art obéit rigoureusement aux lois du marché. Il y a une offre et une demande, des coups marketing, des stratégies de croissance. Et puis c’est devenu très dur de soutenir des créations originales. »
Outre cette mélancolie faussement détachée, tout mon imaginaire s’y retrouvait : le triomphe du calcul, les vertiges de la modernité, l’effacement progressif du vivant. Sans compter ce fond sobre, sans fioritures. On aurait dit un autre moi, plus évolué.
Manet peignait une femme nue et il était taxé de misogynie ; Crootey se bornait à peindre le vide et il était inattaquable.