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Citation de AlainD


Dîner chez le comte de Choteck.

La maison du comte de Choteck, bâtie par son père (qui fut aussi grand bourgrave de Bohême), présente extérieurement la forme d’une chapelle gothique : rien n’est original aujourd’hui, tout est copie. Du salon on a une vue sur les jardins ; ils descendent en pente dans une vallée : toujours lumière fade, sol grisâtre comme dans ces fonds anguleux des montagnes du Nord où la nature décharnée porte la haire.
Le couvert était mis dans le pleasure-ground, sous des arbres. Nous dînâmes sans chapeau : ma tête, que tant d’orages insultèrent en emportant ma chevelure, était sensible au souffle du vent. Tandis que je m’efforçais d’être présent au repas, je ne pouvais m’empêcher de regarder les oiseaux et les nuages qui volaient au-dessus du festin ; passagers embarqués sur les brises et qui ont des relations secrètes avec mes destinées ; voyageurs, objets de mon envie et dont mes yeux ne peuvent suivre la course aérienne sans une sorte d’attendrissement. J’étais plus en société avec ces parasites errants dans le ciel qu’avec les convives assis auprès de moi sur la terre : heureux anachorètes qui pour dapifer aviez un corbeau !
Je ne puis vous parler de la société de Prague, puisque je ne l’ai vue qu’à ce dîner. Il s’y trouvait une femme fort à la mode à Vienne, et fort spirituelle, assurait-on : elle m’a paru aigre et sotte, quoiqu’elle eût quelque chose de jeune encore, comme ces arbres qui gardent l’été les grappes séchées de la fleur qu’ils ont portée au printemps.
Je ne sais donc des mœurs de ce pays que celles du XVIe siècle, racontées par Bassompierre : il aima Anna Esther, âgée de dix-huit ans, veuve depuis six mois. Il passa cinq jours et six nuits déguisé et caché dans une chambre auprès de sa maîtresse. Il joua à la paume dans Hradschin avec Wallenstein. N’étant ni Wallenstein, ni Bassompierre, je ne prétendais ni à l’empire ni à l’amour : les Esther modernes veulent des Assuérus qui puissent, tout déguisés qu’ils sont, se débarrasser la nuit de leur domino : on ne dépose pas le masque des années.
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