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Citation de genou


genou
11 septembre 2016
Retour une heure auparavant. Nous sommes le 20 septembre 2002, un dimanche. Comme il le fait une fois l'an, Gaby a gagné Versailles pour se rendre au chevet de la vieille femme, maintenant septuagé¬naire. Le voilà garé devant les grilles du parc. Du haut de leur majesté, les cèdres ancestraux semblent narguer la condition humaine des visiteurs, dont l'existence ne se mesure qu'en piètres décennies. L'endroit est assez luxueux, une sorte de résidence des flots bleus avec vue imprenable sur la mort.
Au rendez-vous fixé, Gaby frappe à la porte, entre dans le studio et se dit voilà : j'ai devant moi le balu¬chon du dernier voyage, toute une vie dans une pièce, quatre pans de mur noués autour d'une canne de vagabonde sédentaire. Autour de lui, quelques lointains portraits de proches, deux ou trois meubles de famille, des bonbons et des cachets, un téléphone à grosses touches semblable à ceux que l'on offre aux enfants en phase d'éveil. Au milieu trône un lit.
«Gaby, c'est toi ?» demande une voix venue de l'extérieur.
Gaby trouve que ça pue, sans doute l'odeur rance des brioches qu'elle n'a pas touchées, le jus acide des fruits maintenant pourris dans lesquels elle n'a pas osé mordre. Toute cette vie déjà périmée. C'est trop tard, à présent, voilà ce qu'il pense. Va falloir qu'elle laisse derrière elle tous ces jolis souvenirs. Va falloir qu'elle parte, en somme. En prenant soin d'avaler ses médicaments, d'être à l'heure pour le dîner - ce soir c'est fête, il y a du flan aux cerises - et de faire un petit pipi avant d'aller se coucher pour une poi¬gnée d'heures, ou de siècles, ce sera selon.
«Gaby ?»
Gaby lui en veut de lui jeter à la gueule l'image de ce qu'il va devenir un jour. Pour le reste, il est content de lui avoir trouvé une place dans cet éta¬blissement de bonne tenue. Ce n'est certes pas somptueux, mais c'est suffisant. Le personnel se montre aux petits soins pour ces gamins aux cheveux blancs. Les escaliers aux larges marches se prêtent indulgemment à leurs ultimes escapades - un bridge dans le salon, un bingo dans la salle de télévision. Chaque studio possède sa terrasse «privative» (dixit le catalogue). C'est justement là que sa mère est installée.
«J'arrive, maman. Une seconde.»
Allongée sur son pliant, elle tient tête à un soleil dont elle sait que, bientôt, il va briller sans elle. L'ombre la gagne, ça lui fait du bien, mais c'est l'ombre quand même. Et si Gaby ne peut s'empêcher d'y voir comme une préfiguration, ce n'est pas tant cela qui l'affecte que certains détails accablants : les jambes de sa maman, blanches, prises dans des chaussettes de contention de couleur chair; la marque de l'élastique sous les genoux; ce pauvre décolleté décharné; ses dents tachées de rouge à lèvres, clownerie impardonnable chez celle qui fut une aristocrate coquette; les veines de sa main, enfin, saillantes, dont l'aspect funestement sombre lui donne au moins l'illusion qu'il y coule vraiment du sang bleu.
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