Le choix de Rudi s’inspire de la vie du jeune Rudolf Noureev, figure fondatrice de la danse contemporaine. Pourquoi avoir choisi de consacrer un ouvrage à ce personnage ?
Rudolf Noureev me fascinait lorsque j’étais adolescente. Il était à l’époque le danseur étoile le plus connu au monde avec une aura de star qu’il est difficile d’imaginer aujourd’hui pour un danseur. Je ne connaissais pas vraiment son histoire. J’ai lu ensuite la formidable biographie romancée que lui a consacrée l’écrivain Colum McCann et j’ai découvert la complexité du personnage. Noureev est véritablement un personnage de roman et dans sa vie, ses jeunes années, sont particulièrement intéressantes. Dès le départ ! Rien que de savoir qu’il est né dans un train en route vers la Sibérie, filant dans un paysage enneigé, fait fonctionner l’imaginaire.
Comment se sont déroulées les recherches nécessaires à ce récit biographique ? Vous évoquez des rencontres avec certains des personnages dans la postface, pouvez-vous nous en dire quelques mots ? A quel point vous en êtes-vous tenue aux faits réels ?
Je n’ai pas voulu écrire une biographie parce que cela a déjà été très bien fait mais je me suis documentée comme si je devais en écrire une. Comme je suis journaliste, j’ai pensé naturellement interviewer des personnes qui l’avaient connu. J’ai rencontré deux proches de Noureev, son amie Ménia Martinez qui l’a côtoyé à l’époque du Kirov avant qu’il ne quitte l’Union Soviétique et le chorégraphe Pierre Lacotte qui l’a connu ensuite à Paris. Je n’ai pas cherché à multiplier les rencontres car je ne voulais pas m’enfermer dans un carcan trop strict. Je revendique pleinement la licence qu’offre la fiction et la subjectivité de mon personnage.
Vous avez choisi d’écrire à la première personne, de faire directement s’exprimer par votre plume le jeune prodige. Pourquoi ce choix narratif ? De quoi vous êtes-vous inspirée pour mettre les mots sur la passion et les douleurs du garçon ?
Le choix d’écrire à la première personne n’est pas venu tout de suite. J’ai d’abord tâtonné mais je n’étais pas satisfaite. Il me manquait l’énergie de Noureev qu’il fallait absolument traduire dans ce roman. J’ai alors écrit à la première personne un premier chapitre d’un jet en imaginant les pensées de ce jeune garçon fuyant la colère de son père et se raccrochant à ce rêve de devenir danseur. J’avais trouvé le ton. Je ne l’ai plus lâché.
Pourquoi avoir choisi de ne traiter que la jeunesse du personnage ?
J’ai choisi de couvrir les dix années de formation du danseur qui me paraissent être les plus déterminantes, entre ses 13 ans, lorsqu’il commence vraiment à faire de la danse et ses 23 ans lorsqu’il passe à l’Ouest. Après il devient une star et sa vie devient publique. On connaît moins sa jeunesse. Et comme je voulais écrire principalement pour les adolescents, cela tombait bien. Il a l’âge des lecteurs que je souhaitais intéresser.
Tout au long du roman, le personnage de Rudi voue corps et âme à la danse, qu’il travaille jour et nuit, sans relâche. Cet art apparaît alors comme une pratique difficile, parfois cruelle et très souvent ingrate dans votre récit, bien éloignée de l’image que l’on peut avoir de la vie d’artiste. Pourquoi avoir choisi de présenter la danse de cette façon ?
Comme toute discipline portée à son plus haut niveau, la danse est un art exigeant qui met le corps à rude épreuve. Les danseurs vous le diront : « si je n’ai pas mal quelque part après avoir travaillé c’est que j’ai mal travaillé ». Peu de danseurs arrivent au niveau de Noureev mais ceux qui y parviennent ont tous travaillé énormément. Il y a la question du talent évidemment mais je voulais montrer aussi qu’on ne devient pas le meilleur dans sa discipline sans être très exigeant avec soi-même. Cela vaut pour la danse mais aussi pour le foot !
Le roman est également l’occasion de décrire la vie sous le régime soviétique, qui apparaît comme l’opposant le plus acharné aux rêves du jeune danseur. Pensez-vous que ce cadre a pu influencer le personnage de Noureev, dans son art, son caractère rebelle, sa vie future ?
Ce cadre a en effet exacerbé le caractère naturellement rebelle de Noureev. Noureev était très têtu, colérique, très slave en fait. Il ne pouvait que déborder d’un cadre trop strict. Cela s’est fait à ses dépens car beaucoup ont essayé de lui mettre des bâtons dans les roues mais il a su contourner ce régime oppressant dès son adolescence. Le prix à payer a été lourd : il a dû quitter son pays qu’il adorait, sa famille qu’il aimait, sa culture aussi. Il est resté toute sa vie un apatride. Il possédait plusieurs maisons dans plusieurs pays mais ne s’est fixé nulle part. Quant à l’aspect artistique, il était fasciné par ce qui venait de l’Ouest, ce qui était interdit justement et un adolescent y est forcément plus sensible. Tout cela a aiguisé une curiosité qui ne demandait qu’à être nourrie.
Progressivement, le jeune Rudi doit renoncer à tout pour concrétiser ses rêves : sa famille, ses amis, son pays… Faut-il tout laisser tomber pour suivre sa passion ?
Le cas de Noureev est très particulier. Il concerne une période précise de l’histoire du XXe siècle, une époque où les libertés individuelles étaient véritablement bafouées en Union soviétique, et une époque où l’Europe était divisée. On n’y circulait pas comme aujourd’hui. Il a dû véritablement faire des choix cruciaux ce qu’il ne serait sans doute pas obligé de faire à notre époque.
Noureev fait-il partie de ceux que l’on appelle “génies” selon-vous ?
J’ai un peu de mal avec ce qualificatif qui pour moi exclut un peu trop l’humain. Or Noureev l’était tellement avec ses failles, ses contradictions et ses humeurs. J’ai voulu traduire cela dans le roman. Ne pas en faire un personnage lisse, une statue. C’était un immense artiste bourré de talent, charismatique qui est devenu ce qu’il est à cause de son histoire douloureuse. Il était pleinement de son époque.
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Entretien réalisé par Marie-Delphine
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Le choix de Rudy de
Françoise Dargentaux éditions
Hachette Jeunesse :

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