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Citation de okka


p.46-9.
DÉTRESSE

Combien de fois, après avoir déploré la conduite d'un élève et avoir été après coup informée de sa situation familiale, ne me suis-je pas maudite de mon manque de jugement ?

En regard de ce qu'ils vivent chez eux et malgré leurs insuffisances de conduite ou de travail, certains élèves mériteraient la médaille de la résistance. Car se lever tous les jours pour aller au « bahut » et s'acquitter plus ou moins de son travail en restant vissé sur une chaise pendant de longues heures, quand on manque cruellement de sommeil, que les parents s'entredéchirent ou que la pauvreté menace la décence minimum des conditions de vie, relèvent parfois de l'héroïsme. Encore faut-il noter que les plus malheureux ne sont pas ceux qui se font le plus remarquer.

Un souvenir atroce me poursuit à travers les années. Une source de culpabilité et de compassion que le temps ne tarit pas : celui d'une jeune fille silencieuse, timide mais souriante quand on s'adressait à elle, à laquelle je reprochais régulièrement, sous le mode de la plaisanterie, son air absent, sa passivité somnolente. À mes piques enjouées, elle répondait d'un sourire, se redressait sur sa chaise et tentait de se concentrer sur les beautés d'un vers de Victor Hugo ou sur l'ironie de Voltaire. J'avais bien remarqué sur son visage certaines traces, un air bouffi que j'avais mis sur le compte du manque de sommeil ou d'une mauvaise digestion. Ce n'est qu'à la fin de l'année que j'ai appris par l'intermédiaire du professeur principal l'aveu qu'il avait fini par lui arracher. Cette jeune fille était régulièrement battue par un père alcoolique qui passait sur elle son exaspération de chômeur.

Oui, les élèves ont parfois du mérite. Il y a une dignité exemplaire de la jeunesse. Là où les adultes se répandent complaisamment sur leurs malheurs, l'adolescent se tait et fait bonne figure. Il protège le parent déficient, se barricade dans le silence et, si on croise parfois un regard lourd de secrets, ce regard reste indéchiffrable. À partir de là, on peut comprendre que pour les professeurs le poids du malheur puisse à l'occasion être écrasant. « nous ne sommes ni des psychologues ni des assistantes sociales », protestent-ils parfois, confrontés à la détresse de leurs élèves. C'est pourquoi il est urgent de renforcer les services sociaux dans les établissements scolaires, les C.P.E. de leur côté étant débordés.
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