Françoise Hàn
DEVANT L’IDÉOGRAMME
Le caractère bouche devant le caractère porte : interroger.
Derrière la porte, il y a le blanc de la page, le vide où les énergies circulent. La bouche encadre un vide plus petit. Comme une tentative de prononcer en une seule syllabe le fond de l’univers.
Pathétique, car un signe fermé ne peut dire le Tout. Autre est le UN, la première des deux cent quatorze clés, trajet le plus simple du pinceau : un trait horizontal, séparation et union du ciel et de la terre.
Ce que la bouche émet, peut-il être autre que questionnement ? La porte est faite de deux battants légèrement disjoints. La question la traverse, poursuit sa course mais non plus solitaire : entraînée dans le réseau de questions qui tissent l’univers et toujours s’accroît.
Devant la porte, le frisson, le désir dans l’interrogation. Mais non le désespoir, à cause de cette communication de l’homme avec le monde.
Sans doute pourrait-on traduire dans un seul caractère l’admirable « Frappe, frappe à jamais dans le leurre du seuil » d’Yves Bonnefoy. Mais peut-être aussi ne le pourrait-on pas, parce que la séparation ici exprimée est étrangère au chinois. Il lui faudrait noter une absolue brisure : son écriture n’est pas faite pour cela. L’idéogramme est la trace d’un mouvement qui s’inscrit dans le mouvement de l’univers.
Tous les caractères chinois ne sont pas des idéogrammes. Beaucoup sont des signes phonétiques, ou des composés de nature double (…)
Dans le signe phonétique, la valeur sémantique se tient en retrait derrière l’usage, mais présente, prête au jaillissement. L’idéogramme est la source : miroir et résurgence. (…)
Corps écrits, nº 25, mars 1988.
(Florilège paru dans la Revue d’Art et de Littérature, Musique n°77, novembre 2011, « Devant l’idéogramme », p. 16-17).
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