AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Clairoche


Il y eut le bruit de déchirure habituel ; elle se retrouva en pleine lumière devant ces visages pâles, dans le noir, devant cette masse confuse et anonyme. Elle respira à fond, lança d'une voix claire sa première réplique. Elle abandonna le piano où elle s'appuyait. Elle marcha vers son partenaire. Et alors, elle sut : le bonheur, la liberté, l'invention, la sincérité, la force, tout lui était rendu d'un coup. Son cœur ne battait pas de peur, mais il battait sous une autre pulsion très différente de celle du désir, de la fatigue ou de l'ambition – son cœur battait à un rythme nouveau, profond et régulier. Il battait fort, sa voix sonnait juste et enfin, enfin elle disait sa vérité ! L'impression de mensonge, de rêve éveillé, de sentiments contradictoires, de nostalgie qui composait le fond, le décor de sa vie ordinaire, avait disparu ; en face d'elle, tous ces visages s'étaient fondu en un seul, le seul qu'elle aimât puisqu'elle ne lui devait rien et qu'elle ne le reverrait jamais. Et ce visage exigeait d'elle qu'elle lui mentît, qu'elle le fît rêver, rire ou pleurer, ce visage, bref, exigeait tout d'elle, sauf la « vérité ». Cette vérité banale, arbitraire et sans charme qu'avaient toujours sollicitée d'elle, et toujours en vain, ses parents, ses amis et ses amants. Tout au contraire, cette imposture forcenée et totale qu'était son rôle ne le serait jamais assez pour ces gens lointains et proches : son public. Elle serait toujours en deçà de leur exigence. À travers ces mots écrits par un autre, à travers ces gestes décidés par un autre, et devant ces autres qu'elle ne connaissait pas, elle pouvait enfin être elle-même. Et elle disait « Je t'aime » mille fois plus sincèrement à son partenaire (pédéraste notoire) qu'elle ne l'avait jamais dit à un de ses amants. Et ces meubles faussement anglais, loués au mois et vides vingt-deux heures sur vingt-quatre, lui étaient plus familiers que sa propre maison ; et le ciel peint sur une toile, à travers la fausse fenêtre, reflétait un vrai beau temps. Et quand elle dût, selon le rôle de Claire, partir à reculons en abandonnant ce décor minable, c'est d'une voix réellement déchirée qu'elle s'entendit demander à son partenaire de s'occuper chaque jour à sa place de la plante verte en plastique. N'aimant rien de ce qu'elle voyait, ni ce jeune homme brillantiné, ni ces faux meubles, ni ces objets d'emprunt, elle se sentait néanmoins saisie pour eux et pour leur provisoire, leur factice même, d'un amour sauvage et irremplaçable.
Commenter  J’apprécie          30





Ont apprécié cette citation (3)voir plus




{* *}