Il y a dans certains dessins de Leonard de Vinci un effet d'anticipation permanente qui révèlerait, si les interprétations formulées à leur propos pouvaient se vérifier, un dépassement du sujet traité au profit d'un autre, comme si le foisonnement de la pensée sollicitait d'autres projets, nés des notations du moment présent et tributaires d'une sorte d'approbation a posteriori pour être validées.
si l'on accepte l'idée que le portrait d'Isabelle d'Este représente à la fois la somme des expériences engagées depuis une dizaine d'années par léonard lui même et par son entourage à Milan et d'autre part qu'il peut être compris comme une anticipation de ce qu'il développera magistralement dans la Joconde, il convient peut être d'étendre ce rapprochement à une autre observation.
En quelque sorte il dépersonnalise le peintre, il brise avec l'identité de sa personne, de son projet en cours, en nous introduisant dans la forme la plus active de sa pensée avec force, avec mobilité, en nous plaçant à l'intérieur de son entreprise qui est elle même sans fin, ou plutôt qui n'a pas pour objet la finitude des représentations de la nature auxquelles elle s'adonne
la notice de Villardi notait qu'il s'agissait d'un projet destiné à un portrait peint, en raison de légères perforations à l'aiguille de lignes de contour, donnait la technique du dessin "à la pierre noire, légèrement réhaussée au pastel de couleurs naturelles" et rendait compte avec précision des différents éléments du costume et de la coiffe du modèle.
dans le portrait d'Isabelle d'Este en 1500, le visage est vu de profil et le buste presque de face, alors que le parti retenu pour la Joconde donne, au premier regard, une impression de frontalité, contredite par l'oblique qui détermine tout le tableau et suggère un mouvement qui entraine le regard vers le paysage de l'arrière plan.
les premières années du XVIème siècle verront se perpétuer ce type de portraits conçus comme des médaillons ou des tondi sculptés, dans lesquels la part accordée à l'ornement filet, perles, broderies - accuse le caractère impersonnel des visages. c'est ce que David Alan Brown a désigné sous le terme " portraits inertes".
ainsi se trouve posée la question de l'identification du modèle avec l'image obtenue: quelle est la relation qui unit les deux et comment peut on penser, plutôt qu'à une idéalisation progressive, à une conception du portrait qui s'appuierait sur la ressemblance pour créer une image, idéale et individualisée à la fois?
la culture qui se développa à la cour sous son impulsion s'adressait à une communauté choisie. Elle consistait à réunir livres et objets , à attirer peintres, poètes et musiciens, afin que tout contribuât à faire du studiolo et la grotta les lieux d'élection d'une aristocratie qui fixait ainsi ses propres limites.
e portrait d'Isabelle d'este apparaît il comme un compromis entre le profil qui vaut par son seul contour, tel qu'on le pratiquait à Florence dans la tradition de Domenico Veneziano et d'Antonio Pallaiuolo, et le portrait identifiable, non plus inerte mais reconnaissable par l'attitude et l'attribut du modèle.
au delà de la commande reçue et qu'il ne parvient pas à satisfaire, Leonard de Vinci chercha moins, peut être, à répondre à l'attente de son modèle, qui se voulait très naturelle, qu'à poursuivre une idée de beauté intériorisée, parfaitement accomplie dans sa fonction de représentation.