Critique de Jean-Baptiste Marongiu pour le Magazine Littéraire
En lui transmettant son savoir, le maître peut faire d'un jeune homme son disciple, autant dire un fils selon l'esprit. Un fils justement, et non une fille. Car cette parenté si particulière a été, jusqu'à il y a peu, une affaire d'hommes. À chaque maître sa méthode, que l'on peut ramener à deux types idéaux. D'un côté, Socrate, qui accouche, en sage-femme sachant ne pas savoir, ce dont le disciple est gros. De l'autre, le maître-sculpteur, qui modèle sa créature comme de la cire, de préférence à son image. Sauf que, en Occident, à partir du xviie siècle, le dispositif s'est institutionnalisé dans les universités sous forme de rapport entre professeurs et étudiants - qui n'a commencé à varier que tout récemment. Étrangement, cette relation sociale fondamentale a été délaissée par les historiens. Françoise Waquet l'éclaire de manière souveraine dans Les Enfants de Socrate. Savoir, autorité, âge, pouvoir, charisme, affect... la relation maître-disciple se laisse lire comme un rapport asymétrique entre dominants et dominés, selon la théorie des champs de Pierre Bourdieu et de son classique Homo academicus. Mais il s'agit avant tout d'une expérience. Le maître n'existe pas en soi : il est une création a posteriori du disciple. D'où la grande variété des contrechamps, au sens cinématographique du terme, qu'opère Françoise Waquet et qui, sur plus de trois siècles, viennent complexifier et, pour tout dire, donner vie à ce que le champ ne fait que cadrer. Orale, la transmission du savoir est certes érotique, mais elle charrie bien d'autres affects. En somme, le lien maître-disciple est un objet total, un système de don et contre-don qui prévoit, à son terme, la disparition du maître. Où en est-on aujourd'hui, après la massification de l'université et l'irruption d'étudiantes et d'enseignantes ? La démasculinisation des savoirs, la dislocation des disciplines et des hiérarchies entre les savants, c'est fait. Quand le maître est de plus en plus une maîtresse, vers quelle nouvelle érotique de la transmission allons-nous, quelles filiations spirituelles nous attendent ? Loin de nos yeux, les choses sont en cours.
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Un livre qui a fait ma joie.
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