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Citation de Princessemandchoue


Nos combats au sein de Révolution ! étaient une sorte de brouet un peu triste, dogmatique et étouffant. Je n’y restai guère. En revanche, ceux menés dans le cadre du lycée étaient toujours joyeux, magnifiquement adolescents, faits d’expériences politiques, sexuelles, amoureuses. Nous étions plein de charme, nous le savions, c’était dégueulasse. Aucun proviseur n’a pu nous résister, aucun prof. Nous aimions manier l’humour et la provocation. Nous mettions le lycée en grève avec une facilité déconcertante, car notre mot d’ordre, dans une sorte de démocratie réelle et enfumée, était absolument sincère : la grève vaut mieux que les cours, on s’y épanouit davantage, on y expérimente autre chose. Ceux qui, entre seize et vingt-cinq ans, n’ont jamais fait activement grève sont incroyablement à plaindre. C’était la fin du gauchisme, mais c’était une jolie fin.

Meneurs du mouvement, nous étions reçus par le proviseur dans son bureau. Il faisait mine de nous prendre pour des “interlocuteurs” tandis que nous ne cachions pas que nous n’étions que des bouffons, gloussant devant la laideur de son costume et de ses manières autoritaires ou mielleuses qu’aucun de nos pères n’aurait osé adopter. Nous pouvions, pour une fois, nous rendre la tête haute dans ce bureau qui d’ordinaire nous terrorisait, avec sa tapisserie immonde, un gros cendrier de verre, un sous-main recouvert d’un buvard, la photo de ses enfants. Nous étions à la fois responsables et hilares. “Non, monsieur, rien à faire, seule l’assemblée générale est souveraine et le lycée restera bloqué tant qu’elle le décidera.” Les grilles restaient fermée plusieurs jours durant. Les cars de CRS stationnaient dehors. Nous étions assiégés. La gloire était d’arracher une “brève” dans Libé ou une photo légendée. Nous étions Zapata… En tout cas nous étions Brando. Certains profs nous saquaient pour avoir vidé les classes, mais la plupart au contraire nous soutenaient. Il restait à Paris deux lycées rouges, Balzac et nous. Nous savions que cela nous formerait pour la vie entière. Lorsque je revois certains de mes anciens amis de Paul-Valéry, je suis bien heureux de constater que, pour la plupart, quel qu’ait été notre chemin, nous n’avons absolument pas varié à-dessus.

Frank Eskenazi, 2013, Une étoile mystérieuse, Paris, Seuil, p. 65-67 (ital. de l’auteur).
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