Des aiguilles de pin tourbillonnaient autour de nos pieds, soulevées par un vent surnaturel. Je humai l'odeur acidulée de la magie. Le vent se tire-bouchonna en une tornade miniature, qui s'éleva en spirales sous les sorcières. Les capes avaient enfin décidé de se conformer aux lois de la nature en se gonflant et se dégonflant, et nous offraient désormais la vue spectaculaire de trois postérieurs dénudés.
Mes mains s'agitaient comme des oiseaux affolés. J'aurais dû moi aussi détourner le regard, mais cette vision était terriblement fascinante. D'une fascinante horreur. Eldric saisit mes mains-oiseaux, et nous contemplâmes ces doubles lunes.
Extrait
LE PROCÈS
J'ai tout avoué et je voudrais être pendue.
Maintenant, s'il vous plaît.
Ce n'est pas que je veuille compliquer les choses, mais je ne supporte pas de raconter mon histoire. Ça m'est insoutenable de revivre ces souvenirs : le contact de la Main Morte, l'odeur d'anguille, le marais qui m'enserre et m'engloutit.
Franchement, comment pouvez-vous me croire innocente ? Ne vous laissez pas berner par mon visage, il raconte les pires mensonges. Un visage d'ange peut dissimuler un coeur épouvantable.
Je sais bien que vous pensez me laisser une chance, ou plutôt, c'est l'Enfant de Minuit qui me laisse cette chance. Elle est bien sûr terrifiée à l'idée de faire pendre encore une fois une innocente, mais par pitié, croyez-moi : rien, dans le récit de ma vie, ne peut me décharger de ma culpabilité. Il ne peut que confirmer ce que je vous ai déjà dit : je suis mauvaise.
L'Enfant de Minuit ne peut-elle me croire sur parole ?
Quoi qu'il en soit, à quel moment, selon elle, devrais-je commencer mon récit ? L'histoire d'une fille mauvaise n'a pas de véritable début. Il faudrait remonter au jour où je suis née.
Si Eldric devait la raconter lui-même, il commencerait sans doute par son arrivée dans le Swampsea. Car c'est ainsi que naissent les véritables légendes, n'est-ce pas ? Quand le bel étranger arrive et que tout tourne mal.
Mais ceci n'est pas une légende, et je l'ai déjà dit, je dois être pendue.
S'il avait existé des chiots-vampires, Cecil en aurait été un. Grands yeux suppliants, toujours en quête de caresses derrière l'oreille et d'un grand bol de sang chaud.
C'était une belle soirée de février. La tempête faisait rage, le vent cinglant hurlait dans mes oreilles. La plage a son propre langage, avec son ruban ondulant de limon, les hiéroglyphes laissés par les pattes des oiseaux. En se retirant, les vagues font apparaître un nombre incalculable de trous dans le sable. Des bulles se forment pour s'évanouir aussitôt. C'est un nouveau langage, avec un nouvel alphabet, que je vais apprendre à lire.
La vie, la vie… je la sentais partout autour de moi. La mer verte, éclatante de vie, à commencer par les oursins accrochés aux rochers, en dessous, et les bernaches, et les algues qui rampaient jusqu’au piles de pierres de l’embarcadère. Les poètes chantent toujours l’eau bleu clair, mais cela l’est indifférent. Le bleu n’est rien; le bleu ne peut se refléter que dans lui-même.
P.99
Mes pouvoirs secrets compensent cette part de moi-même qui me manque.Je ne sais pas ce que c'est mais j'en souffre chaque jour.C'est comme si mes yeux ne pouvaient pas voir certaines couleurs.Comme si mes oreilles étaient incapables d'entendre toute une série de notes.Mais heureusement,grâce à mes pouvoirs,je me distingue des autres.S'ils disparaissent ,que me restera-t-il?
Sans nom,elle est sortie des ténèbres.
Sans nom,elle est retournée aux ténèbres.
Née et morte: la nuit d'un solstice d'été.
Mais j’ai sauté.
Cinq mètres. Ce n’est rien. Je ne me suis pas écrasée contre l’eau. Je ne me suis pas noyée.
Je venais de renaître.
J’étais née à l’envers, j’avais jailli d’un élément dans un autre, de l’air au liquide, de l’aube à l’obscurité; et tout autour, le chant de la mer. J’ai fermé mes oreilles - oui, je peux les fermer! - et, contre tout instinct normal, j’ai vidé mes poumons. C’est alors que le monde s’est mis à ralentir - non, pas le monde. Corinna s’est mise à ralentir. À ralentir dans une nouvelle vie, pas dans la noyade et la mort.
P.120
Il est vrai que je peux trébucher sur n'importe quoi - un grain de poussière, un rayon de soleil, une idée. Je me déplace dans la vie comme si j'étais borgne, dans un paysage qui me paraît plat mais qui est en réalité truffé de trous et de hauts-fonds dissimulés. Il n'en a pas toujours été ainsi, mais peu importe. Je me débrouille bien pour naviguer à ma façon dans le monde.
Un poème ne dit tout simplement pas ce qu'il a à dire. Il tourne autour de lui-même et se mord la queue, nous laissant dans l'obscurité.