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Citation de Partemps


Ensemble irrésistible, qui enchante et qu’on honore ! Balzac a essayé de l’esquisser dans des lignes toutes d’antithèses, renfermant le plus précieux des encens adressé à cette « fille d’une terre étrangère, ange par « l’amour, démon par la fantaisie, enfant par la foi, « vieillard par l’expérience, homme par le cerveau, « femme par le cœur, géante par l’espérance, mère par « la douleur et poète par ses rêves » ’}.

Berlioz, génie shakespearien qui toucha à tous les extrêmes, dût naturellement entrevoir à travers les transparences musicales de Chopin le prestige innommable et ineffable qui se mirait, chatoyait, serpentait, fascinait dans sa poésie, sous ses doigts ! Il les nomma les divines chatteries de ces femmes semi-orientales, que celles d’occident ne soupçonnent pas ; elles sont trop heureuses pour en deviner le douloureux secret. Divines chatteries en effet, généreuses et avares à la fois, imprimant au cœur épris l’ondoiement indécis et berçant d’une nacelle sans rames et sans agrès. Les hommes en sont choyés par leurs mères, câlinés par leurs sœurs, enguirlandés par leurs amies, ensorcelés par leurs fiancées, leurs idoles, leurs déesses ! C’est encore avec de divines chatteries, que des saintes les gagnent au martyrologe de leur patrie. Aussi, comprend-on qu’après cela les coquetteries des autres femmes semblent grossières ou insipides et que les polonais s’écrient, à bon droit, avec une gloriole que chaque polonaise justifie : Niema iak polki2). Le secret de ces divines chatteries fait ces êtres 1) Dédicace de Modeste Mignon. 1) L’habitude où l’on était autrefois de boire dans leur propre soulier la santé des femmes qu’on voulait fêter, est une des traditions les plus originales de la galanterie enthousiaste des polonais. insaisissables, plus chers que la vie, dont les poètes comme Chateaubriand se forgent durant les brûlantes insomnies de leur adolescence une démonne et une charmeresse, quand ils trouvent dans une polonaise de seize ans une soudaine ressemblance avec leur impossible vision , « d’une Eve innocente et tombée, ignorant tout, sachant tout, vierge et amante à la fois ! ! ! »’) — « Mélange de l’odalisque et de la walkyrie, chœur féminin varié d’âge et de beauté, ancienne sylphide réalisée… Flore nouvelle, délivrée du joug des saisons… »2) —Le poète avoue que, poursuivi dans ses rêves, enivré par le souvenir de cette apparition, il n’osa pourtant la revoir. Il sentait , vaguement , mais indubitablement, qu’en sa présence il cessait d’être un triste René, pour grandir selon ses vœux, devenir ce qu’elle voulait qu’il fut , être exhaussé et façonné par elle. Il fut assez fat pour prendre peur de ces vertigineuses hauteurs, parceque les Châteaubriand font école en littérature, mais ne font pas une nation. Le polonais ne redoute point la charmeresse sa sœur, Flore nouvelle délivrée du joug des saisons ! Il la chérit, il la respecte, il sait mourir pour elle… et cet amour, pareil à un arôme incoruptible, préserve le sommeil de la nation de devenir mortel. Il lui conserve sa vie, il empêche le vainqueur d’en venir à bout et prépare ainsi la glorieuse résurrection de la patrie.

1) Mémoires d’outre-tombe. Ier vol. — Incantation. 2] Idem, 3* vol. — Atala.
Il faut cependant reconnaître que d’entre toutes, une seule nation eut l’intuition d’un idéal de femme à nul autre pareil, dans ces belles exilées que tout semblait amuser, que rien ne parvenait à consoler. Cette nation fut la Fi ance. Elle seule vit entre-luire un idéal inconnu chez les filles de cette Pologne, « morte civilement » aux yeux d une société civile, où la sagesse des Nestor politiques croyait assurer « l’équilibre européen », en traitant les peuples comme « une expression géographique » ! Les autres nations ne se doutèrent même pas qu’il pouvait y avoir quelque chose à admirer en le vénérant, dans les séductions de ces sylphides de bal, si rieuses le soir, le lendemain matin prosternées sanglotantes aux pieds des autels ; de ces voyageuses distraites qui baissaient les stores de leur voiture en passant par la Suisse, afin de n’en pas voir les sites montagneux, écrasans pour leurs poitrines amoureuses des horizons sans bornes de leurs plaines natales ! En Allemagne, on leur reprochait d’être des ménagères insouciantes, d’ignorer les grandeurs bourgeoises du Soll und Haben.’ Pour cela, on leur en voulait à elles, dont tous les désirs, tous les vouloirs, toutes les passions se résument à mépriser l’avoir, pour sauver l’étre, en livrant des fortunes millionaires à la confiscation de vainqueurs cupides et brutaux ! A elles, qui encore enfans entendent leur père répeter : « la richesse a cela de bon que, donnant quelque chose à sacrifier, elle sert de piédestal à l’exil !.. » — En Italie, on ne comprenait rien à ce mélange de culture intellectuelle, de lectures avides, de science ardente, d’érudition virile, et de mouvemens prime-sautiers, effarés, convulsifs parfois, comme ceux de la lionne pressentant dans chaque feuille qui remue un danger pour ses petits. — Les polonaises qui traversaient Dresde et Vienne, Carlsbad et Ems, pour chercher à Paris une Espérance secrète, à Rome une Foi encourageante, ne rencontrant la Charité nulle part, n’arrivaient ni à Londres, ni à Madrid. Elles ne songeaient point à trouver une sympathie de cœur sur les bords de la Tamise, ni une aide possible parmi les descendans du Cid ! Les anglais étaient trop froids, les espagnols trop loin.

Les poètes, les littérateurs de la France, furent les seuls à s’apercevoir que dans le cœur des polonaises, il existait un monde différent de celui qui vit et se meut dans le cœur des autres femmes. Ils ne surent pas deviner sa palingénésie ; ils ne comprirent pas que si, dans ce chœur féminin varié d’âge et de beauté, on croyait parfois retrouver les mystérieuses attractions de l’odalisque, c’est qu’elles étaient là comme une parure acquise sur un champ de bataille ; si l’on pensait y entrevoir une silhouette de walkyrie, c’est qu’elle se dégageait des vapeurs de sang qui depuis un siècle planaient sur la patrie ! Par ainsi, ces poètes et ces littérateurs ne saisirent point la dernière formule de cet idéal dans sa parfaite simplicité. Ils ne se figurèrent point une nation de vaincus qui, enchaînée et foulée aux pieds, proteste contre l’éclatante iniquité au nom du sentiment chrétien. Le sentiment d’une nation par quoi s’exprime-t-il ? — N’est-ce point par la poésie et l’amour ? — Et qui en sont les interprètes ? — N’est-ce point les poètes et les femmes ? — Mais, si les français, trop habitués aux conventionalités artificielles du monde parisien, n’ont pu avoir l’intuition des sentimens dont Childe Harold entendit les accens déchirans dans les femmes de Saragosse, défendant vainement leurs foyers contre « l’étranger », ils subirent tellement la fascination qui s’échappait en ondes diaprées de ce type féminin, qu’ils lui prêtèrent des puissances presque surnaturelles.
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