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Citations de Frédéric Chagnard (54)


Ici, on est au-dessus des HLM d'en bas, il y a des quantités de gens qui ne font rien, mais ils ne pensent pas à prendre un jardin. C'est vrai que ça fait beaucoup de travail, il faut bosser, puis il faut aimer ça. Il faut y aimer et puis il faut travailler. Parce que si on ne fait rien, il n'y a pas de jardin. Il n'y a pas de jardin, mais il n'y a surtout pas de récolte. Donc après ils le prendraient plutôt comme une résidence secondaire. Juste pour venir au soleil, se faire bronzer, se faire un barbecue le dimanche.
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Celle du nouveau, c'est la cabane type, toutes les cabanes doivent se faire comme ça. Celui qui refait une cabane, il faut qu'elle soit comme ça, voilà. Celle du voisin, Riton et moi, on a bien mis une quinzaine de jours à la monter ! Et en bois, il y en a eu pour 690 euros déjà, en gros de bois, pas tout le bois ! La main d'œuvre, on ne la compte pas. On ne peut pas la compter! Et encore Riton et moi avions débité toutes les planches avant. Toutes les planches de devant, on ne les compte pas, la structure, les gros montants, parce qu'on y a tout chevillé ! Avec Riton, on a fait des trous dans la dalle, c'était prêt à rentrer avec de la tige filetée parce que c'est réglable. Dessous, on met un écrou, on met une plaque, puis on la règle à la hauteur qu'on veut. Et en plus, ça ne pourrit pas par le pied, ça fait un vide sanitaire. Si l'eau remonte, elle ne touche pas. Ça se monte normalement comme ça. Et c'est une nouvelle toiture. Ils appellent ça du bardeau canadien, ce sont des plaques de goudron qu'on colle, mais il faut qu'on mette dessous quand même des chevrons et c'est cloué par-dessus.
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Je ne sais plus comment elles s'appellent, mes jolies fleurs, elles sont très jolies et rares. Elles font de grandes hampes rouges, avec un beau feuillage très coloré rouge et brun. Toutes les petites branches, toutes les petites, elles prennent des fleurs. Et c'est beau parce que ça reste en fleurs tout le temps, très longtemps. Tout le temps jusqu'à la gelée. Jusqu'à ce que ça gèle, ça reste en fleurs. Et mon datura, il fait une fleur aussi, une très jolie, une grande, une grosse clochette blanche. Je le laisse en pot. C'est un poison le datura, il me semble. Je vais le transplanter quelque part, j'attends de savoir où je vais le mettre. Mais j'ai encore des patates, je ne les ai pas toutes ramassées, il y en a encore là-bas un petit peu. Ça a poussé!
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Moi, pourquoi je fais du feu, là ? Parce que je vais avoir une pleine casserole d'eau chaude, je vais prendre un arrosoir d'eau qui est à la température extérieure, c'est-à-dire qui est à 10°, puis je vais y vider la casserole, un peu d'eau chaude, presque bouillante. Et c'est meilleur pour la plante. Parce que dans les châssis, la terre est à 18° par-là, elle est tiède, il ne faut pas lui mettre de l'eau froide. Si on met de l'eau froide dessus, la plante, elle n’est pas bien. C'est comme si on prenait une douche froide. Donc, j’essaye de mettre l'eau à température du sol. D'ailleurs je vois pas mal de jardiniers qui me disent : tu me donneras des salades, tu me donneras ci, tu me donneras… Pourquoi ? Parce que j’ai toujours des jolis plants. Ça, c'est l'expérience. La combine m’est venue dans les jardineries, c'est ce qu'ils font. Dans les écoles, dans les machins comme ça, ils font passer leurs tuyaux dans des chauffages, pour éviter le choc thermique. Parce que c'est tropical sous les serres. Comme au parc botanique, ils ont des palmiers, s’ils les arrosaient d'eau froide au pied, ils n’apprécieraient pas. Ils ne résisteraient pas longtemps. Et là, dans les jardins alentours, je ne suis pas le seul à procéder comme ça, il y en a quelques-uns qui ont pris mon truc, parce que je leur ai dit : mettez un peu d'eau chaude dans votre eau froide, et vous verrez que ça ira mieux. Mais seulement, il faut la volonté de le faire aussi. C'est toujours pareil, il faut prendre le temps. Moi, je le fais surtout depuis que je suis à la retraite. Parce qu'avant, je faisais comme les autres, je venais en vitesse le soir. Quand je rentrais, il fallait qu’il fasse encore jour pour jardiner. Alors ce n'est pas pareil, ce n'est pas évident quand on travaille, bien sûr.

Antoine en avril
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Ça, ce sont mes petites échalotes que je vais replanter. Ah, elles sont petites, mais ça suffit pour février. C'est même bien assez gros. Et après, je ne les dédouble pas. Ça pousse tout seul pourvu que j’y tienne pioché, il ne faut même jamais les arroser. Parce qu’il y a des légumes qu'il ne faut jamais arroser, et puis d'autres où il faut bien tenir l'arrosage. Il y a des légumes qui vont tout seuls chercher l'eau dont ils ont besoin, d’autres qui en demandent très peu. L'oignon, l'échalote, tous ces trucs-là, il ne faut pas arroser. Au contraire si on les arrose, on les fait pourrir. Ce sont plutôt les haricots, les petits pois et les tomates, là, ce n'est pas la même chose. Même la tomate, il ne faut pas trop l'arroser. Et puis ici, ce sont des jardins argileux… Comme l'humidité reste en dessous, il faut beaucoup piocher, mais très peu arroser. Alors, c'est bien, ça ne dépense pas trop d'eau justement ! C'est le tort de beaucoup de jardiniers qui ne veulent pas m’écouter. Eh bien, ils ne récoltent rien, la plante ne se développe pas, le terrain se serre. Et pour que les racines se développent, il ne faut pas un terrain lourd. Et plus on l'arrose, plus il se tasse, plus il devient serré. Et quand la racine est serrée, elle ne va pas plus loin. Ce ne sont pas forcément les bestioles, c'est une question que le terrain est tellement serré que la racine ne peut plus se développer. C'est comme si on serre quelque chose, on serre le poignet, la main, elle ne va pas se développer, comme les pieds des Chinoises.

Antoine en février (incipit)
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Il n’y a rien ! Pour moi, il n’y a rien du tout. Ce n'est pas un jardin. Il y aurait eu de tout, j’aurais déjà repiqué. Là, j’ai fait quelques semis, je mets les semis, ils ne bougent pas ! Ça ne bouge pas, il n’y a rien qui pousse ! Des collègues m’ont montré à midi, les semis qu'ils ont fait, ça ne bouge pas non plus. Ça fait quinze jours, trois semaines, même là-dedans, sous châssis ! Alors que là, j’arrose, moi, mais ça ne fait rien. Mais ce qu'il y a, il faudrait y arroser, bien y fermer comme il faut. Et pourtant je viens tous les jours, mais ça ne fait rien, ça ne pousse pas quand même ! Il faut de l'eau de là-haut ! Parce qu'elle n’est pas bonne, l'eau du robinet, ça ne vaut rien du tout. Le froid, l'eau du robinet, la chaleur, c’est trop. Rien ne va plus.
Qu'est-ce que j’ai là encore ? J’ai mes choux. Ouais, des choux, j’avais fait des choux. Ça, ce sont mes tomates, elles viennent bien, il y en a un petit peu là-bas aussi. Ça, ce sont des œillets d'Inde. Là, du basilic, puis ici, mes immortelles. Au fond, il y a des choux maigres et des choux gras, et puis de la salade. Et c'est tout ce qu'il y a. Il n’y a rien du tout ! Il n’y a rien.

Fifi en avril
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 Je débite tout le bois dans mon garage. Je prépare tout, puis après je prends mon fourgon et tout et puis j’y emmène. Je descends le fourgon une demi-journée et puis j’emmène tout d'un seul coup, toutes les planches pour construire les nouvelles cabanes. Les jardiniers ont de la chance d'avoir un nouveau président comme moi ! De toute façon, je suis là pour aider. Il faut une entraide mutuelle, sinon on ne fait rien. La vie actuelle, les gens sont devenus égoïstes ! C'est très dur. Je vois même… même les anciens ! Les anciens qui ont participé au début, qui ont donné… à beaucoup de choses… et ils sont devenus égoïstes. Chacun dans son coin. Aux vieux jardiniers, je ne peux plus rien leur dire, même pas rien leur demander, mais rien leur dire ! Ah, c'est de l'égoïsme… tout en étant de la jalousie, tout en étant… Je les touche un petit peu dans leur petit train-train qu'ils avaient l'habitude de faire, il ne faut pas faire ci, pas faire là… Il ne faut rien changer, rien changer. Je dois appliquer le règlement à la lettre, je suis obligé.

Riton en février
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Dans sa chambre aux vieux rideaux toujours tirés, la mémé fait sa sieste, moulée dans son matelas anti-escarres. Elle dort dix-huit heures par jour, comme les chats.
Ses nuits semblent agitées. Le mois dernier, elle est souvent tombée de son lit. Le matin, l'auxiliaire de vie la retrouvait à même le parquet, entortillée dans sa couverture, à demi suffoquée, et couverte d'ecchymoses. Depuis, la mémé dort dans un lit médicalisé tout neuf, prêté par la Sécurité sociale, une cage aux barreaux chromés.
Cette fille énorme, la mémé ignore ce qu'elle peut bien trafiquer autour d'elle, tous les jours. Elle est là, c'est tout. La mémé ne sait plus où elle se trouve. Pourtant quelque chose de familier semble parfois résonner en elle à la vue d'un de ses bibelots, ou même d'une lumière particulière, comme celle du soleil au couchant lorsqu'il joue vers la fin de l'été, sur l'écran du vieux poste de télé. Une impression très vague. Alors, l'espace d'une fraction de seconde, ses yeux paraissent d'éclairer d'une lointaine lueur, et peut-être se souvient-elle de ce qu'elle fut ?
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Par la vitre défile la campagne verte et jaune. Une de ces campagnes toutes truffées de pylônes électriques, et qui regorge toujours autant de larves insidieuses, de libellules, de mantes au long cou, de sauterelles pigmentées, imprévisibles, et surtout de punaises boucliers et de tiques, petits vampires des chiens aboyeurs et des vaches laitières. Elle grouille de vies délicates et terrifiantes. De sa vie, Norbert Gauchon n'a jamais osé effleurer un insecte, pas une fois, ou alors, si... par hasard, un de ces contacts fugitifs, accidentels, vite réprimés, enfouis au plus profond, enterrés. Il a peur d'eux. Ceux qui les prennent dans leur main, les palpent doucement, les examinent, avec ce calme incompréhensible, ce naturel dégoûtant, ceux-là l'impressionnent toujours. En ce moment, il se sent faible et foireux. Mais il ne le dit pas. Il cache son jeu.
Il se sent comme ça, à cet instant, les pieds crispés sur les pédales de sa petite voiture, une main sur le volant, l'autre secouée par le levier de vitesses, les yeux fondus hors du pare-brise, sur une route de campagne, à la fin de l'hiver.

(incipit)
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Hier encore, chaque nouvelle journée s'enchaînait en douceur à la précédente, et Norbert Gauchon rôdait dans les linéaires climatisés des hypermarchés de banlieue. Il les connaissait tous dans leurs moindres recoins, et pouvait, de mémoire, tracer l'exacte topographie de chacun d'entre eux. Il savait si bien décrire, non sans poésie, leurs atmosphères véritables, faites de bains de foule aux heures de pointe, de riches odeurs de choucroute fraîche et d'après-rasage, du crissement des transpalettes furtifs, ou de l'explosion surprise d'un pot de confiture de fraise sur le carrelage beige. Il pouvait même s'étendre longuement sur le mystérieux sourire des caissières sous hypnose. Norbert Gauchon aimait bien son métier. Il ne demandait pas grand-chose. Il était bien. Il ne se retournait jamais sur le passé. Il laissait filer les choses. Le temps n'avait pas de prise. Il était linéaire.
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Vendredi 28 février, 10 heures. Après une semaine grise sous un ciel plombé, un peu de soleil enfin.

Gérard Bourdier, dit Nounours, un grand et gros costaud brun au ventre rebondi, nous attend en jogging à l'entrée de sa parcelle. Il a un petit air fier et coquin, un peu gitan. Il nous accueille à bras ouverts comme de vieux potes qui se retrouvent, et nous invite de suite à rentrer, à boire un coup à l'intérieur, dans sa cabane.
Cet hiver, Gérard est en arrêt-maladie et passe presque toutes ses journées ici, dans son antre de huit mètres carrés. Il y a posé des étagères pour sa vaisselle, les graines, ses outils et toutes sortes d'objets glanés par-ci par-là. Il y a casé une table de cuisine en formica, deux chaises et un banc, sans oublier son lit pliant, pour la sieste. Très organisé, il se chauffe au gaz et s'éclaire à l'aide d'une baladeuse sur batterie. Enfin, à la place de la petite fenêtre d'origine, il a posé une large baie vitrée en plexiglass, de la récupération. La pièce est très lumineuse, mais l'effet de serre est important, il y fait vite très chaud. Dans la cabane de Gérard, il y a tout ce qu'il faut, c'est son refuge, sans doute sa seconde maison.
Il nous sert une bière dans de vieux verres de cantine, allume sa cigarette...
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17 novembre. J'ai passé toute ma soirée dans la salle de bain, à faire des tirages. Cela faisait des années que je n'avais pas veillé si tard.
Et ce matin, vers dix heures, je suis descendu sonner chez Mathilde. À travers sa porte, j'ai entendu le léger frottement de ses pantoufles, son pas traînant sur le lino de l'entrée, et je l'ai suivie, comme toujours, dans sa petite cuisine.
Sur la toile cirée, elle avait laissé le programme télé ouvert à la page des mots croisés et sa vieille paire de lunettes, celle pour voir de près, avec la branche rafistolée au sparadrap. La pièce sentait encore le café au lait.
Je lui ai tendu la photo. Elle a mis ses lunettes et l'a regardée longtemps.

(incipit)
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... une femme-objet grandeur nature, et avec des lèvres d'un rouge, mais alors d'un rouge gras, brillant, onctueux, et surtout si profond, un abime où se perdre. Sa féminité, l'épicière s'en submergeait si bien l'épiderme, à lui en donner l'envie subite de souder sa bouche à la sienne, jusqu'à l'engloutissement furieux.
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On a eu quand même des problèmes ce mois-ci, parce qu'ils sont revenus la nuit, ils nous ont encore cassés la serrure du portail. Il faut que j’en remette une. C'est toujours la même chose, les portails, on ne trouve plus les serrures. On ne peut pas changer le portail, c'est cher un portail ! Alors il faut que je retrouve une serrure, il faut que je recherche tout ça, je vais aller au Brico où je l'avais achetée, il faut que je la rachète là-bas ! Pour bien faire, il faut démonter et puis leur demander qu'ils me retrouvent la même pièce, le même machin. Avant il n’y avait pas d'entrée, c'est moi qui leur ai fait l'entrée. Je l’ai fait carrément, je leur ai fait l'entrée. Il y avait un portail avant, il ne fermait plus, il était tout cassé tout pourri, je l'ai changé. Donc, on a notre entrée. On est bien, là. Allée des tulipes, c'est celle-là. Je ne me rappelle pas de tous les noms des allées. J’ai mon plan. Moi, quand quelqu'un me demande un renseignement, j’ai le plan dans ma cabane, je leur dis : il est dans telle allée, allée des dahlias, ou allée des roses ou des rosiers, comme les grands cimetières.
Ici, ça remonte à vieux, j’ai regardé, j’ai retrouvé des papiers, des machins d'un vieux jardinier qui m’a remis tout un tas de trucs, des photos, des machins et puis tout. Je vais essayer d'en faire faire par ma fille, mais c'est bien abîmé, alors elle va essayer de les retirer au photocopieur, je vais essayer de refaire une photo.
Comme le temps passe. Ça fait combien de temps qu’il ne bosse plus, Jojo, vingt ans au moins. Enfin il bosse dans son jardin. Le jardin, c'est tous les jours. Si on lui enlève, c'est fini. Tous les jours, des fois deux fois par jour. Maintenant Jojo vient plutôt le matin. Si, l'après-midi, il revient, parce qu’il ne peut pas faire autre chose, mais il a sa petite-fille à emmener à la peinture à cinq heures et demie, alors il ne peut pas aller jouer aux boules. Il y a joué hier, il va jouer un peu les autres après-midis, il s'occupe. Quand il y a des champignons, il va aux champignons. Jojo a plein de choses à faire ! Plein de choses.

Riton en juillet
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Par ici, rares sont ceux qui se souviennent d'avant le lotissement. Qu'y avait-il? Certains penchent pour un pré. Il y aurait même eu, supposent-ils, quelques moutons, quatre ou cinq, parfois moins... ou bien étaient-ce plutôt de belles vaches blanches avec leurs petits veaux, peut-être confondent-ils. A bien y réfléchir, du bétail mené paître au bord du canal, ils n'en sont plus très sûrs.
D'autres se rappellent plutôt d'un pâté de maisons, de vieilles bâtisses sans grâce, dont on n'aurait su dire au juste la couleur. La boulangère elle-même aurait des doutes sur cette question. Peut-être y avait-il une boucherie, suggère une cliente. Une boucherie, allons donc, se moque la buraliste, et pourquoi pas un garage? On ne sait plus, on a oublié. Cela n'a pas grande importance.
Certains s'étonnent encore aujourd'hui, un détail, de la si rapide construction du lotissement, comme les champignons. Il avait poussé en quelques mois, trois ou quatre, à peine. Le paysage changeait, de nouveaux habitants venaient rajeunir la population et, comme l'avait fort bien exprimé à l'époque le maire-adjoint à l'urbanisme, contribuer à revivifier l'économie locale.

(incipit)
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Frédéric Chagnard
Immobilisation, le chauffeur s'extirpe très sobre de l'habitacle, vient tenir la portière à une vieille dame tremblante, l'aide à gravir les quelques marches du perron, et retourne chercher le panier d'osier où repose, sur son coussin favori, le cadavre tétanisé de Toutou Chienchien. Monsieur Ors, les yeux mi-clos, s'incline, en retrait sous l'auvent, et serre une main froide, ridée, tachetée, osseuse, veineuse, empesée d'or, dans la sienne, chaude, potelée et graisseuse. Rituel sans cesse réentamé, admirablement peaufiné au fil des clientes ... Yusuf Ors est moite et obséquieux.
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Chaque matin, monsieur Fuchs et son voisin se causent une bonne dizaine de minutes dans le couloir du premier étage. Vers neuf heures trente, au retour de la salle d'eau, ils ne manquent jamais de se tenir un petit peu la jambe. Jamais rien d'importun, juste de l'inoffensif, du minuscule. Un aimable bavardage au rythme des pudiques grincements du parquet et, plus bas, dans l'escalier, au travail de la grande serpillière ruisselante de la logeuse, sans cesse engloutie dans l'eau savonneuse et jetée, si lourde, sur les marches.
Certains matins, ils se laissent aller à parler du passé. Il leur arrive même parfois d'exhumer quelques précieuses miettes de leur jeunesse, des petits bouts de leur vie d'avant, avant la retraite, avant la pension de famille. S'ils avaient su dans le temps qu'il faudrait vieillir.
Ils ne se racontent pas tout. Leurs histoires, ils les économisent soigneusement pour les lendemains et les surlendemains. Ils ne se connaissent pas encore assez, quelques années à peine à se fréquenter dans ce couloir du premier étage, à n'échanger, au fond, que des politesses. Non, finalement, ils ne se connaissent presque pas. Aussi, les quelques minutes de conversation quotidienne écoulées, chacun se retire-t-il dans sa chambre, non sans avoir convenu au préalable d'en reparler tout bientôt.
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"J’ai encore été cambriolé cette nuit. On m’a cambriolé mes arums ! On est trois, nom de dieu ! Donc, il y a Bébert aussi chez lui, et puis il y a Jo, à côté, avec moi, ça fait trois. Et pourquoi ? Pour piquer des fleurs. Et je n’y avais même pas vu ce matin, moi, je n’y ai vu qu'en partant. J’arrive, j’arrose un petit peu mes pieds, mes gourmands, puis je vois ces feuilles par terre, là… tiens, tiens ! Je dis : tiens, qu'est-ce que c'est que ces feuilles ? Puis je regarde, je dis : ça y est, j’y ai eu droit ! Et ce n'est pas la première fois qu'on me fait ça. Il y avait longtemps, hein ! Parce qu'ils sont beaux, mes arums ! Et justement, j’en ai parlé à ma femme à midi, il faut les arroser, parce que ça demande beaucoup d'eau et il y en avait deux ou trois justement qui étaient bons à prendre. Ça y est, c'est parti ! Je me demande si ce ne sont pas des fleuristes qui viendraient piquer des fleurs. J’ai vu Jo, là-bas, il m’a dit pareil. Ils lui ont fait pareil à lui, et à Bébert, pareil. J’en avait deux ou trois, prêtes à cueillir, ça y est, elles n’y sont plus. Ah, c'est mesquin. Mais là, ils vont avoir des surprises ! Je ne dis rien, je n’en parle pas. Là, ils vont avoir des surprises !"

Fifi en avril
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Monsieur Ors, petit homme bedonnant, a un petit tic pathétique. Il n'arrête pas de recouvrir son crâne lisse de son ultime mèche de cheveux noire, longue et grasse, une lanière de cuir trempée dans l'huile. Il ne s'en rend pas compte. Sans prévenir, sa main gauche s'élève au-dessus de son épaule, frôle son oreille, attrape au passage la mèche, la lisse au sommet du crâne, la replaque, et revient s'essuyer dans la blouse.
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AH : Et Belle-Etoile, c’était comment ?
Gérard: L'ancien jardin, quand ils l'ont démoli, vous auriez pleuré, vous auriez pleuré, vous auriez pleuré, je vous jure vous auriez pleuré. Je vous jure que c'est vrai, quand on a été vers le bulldozer, que le bulldozer il poussait, il poussait, il fermait le trou, il poussait la terre dans l'étang. Les grenouilles, tout, les machins, j'ai mal au ventre, moi. J'ai vu des poissons comme ça, des poissons rouges et blancs, des variétés de poissons… on a essayé de récupérer un maximum de poissons, on pouvait pas tout récupérer… les grenouilles… j'ai récupéré des hérissons... J'ai pleuré. J'avais un hérisson, tous les jours j'allais le voir. Je quittais le boulot, je vais voir à midi mon hérisson. Le lendemain, j'arrive, il était mort. Voilà. Il avait du lait et tout...
FC: Et ça, c'était un terrain qui appartenait à Rhône-Poulenc?
Gérard: Ca appartient toujours à Rhône-Poulenc actuellement là. Bon là, ils ont foutu, ils ont écroulé les cabanes des jardins en face, là. Mais pour l'Air Liquide, ils auraient pu quand même laisser encore des jardiniers, hein. Du moment que c'étaient des taudis, c'est vrai que c'est eux, bon.
AH: Ils ont nettoyé, quoi!
Gérard: Non, mais c'était dégueulasse, y’avait de tout. Y’avait des poules et des cochons. C'était vraiment dégueulasse, ils avaient des fours, les Portugais où ils faisaient cuire trois cochons, des cochons comme ça, ils avaient de ces fours, ils avaient de ces trucs... Ah, c'était la fête, eux! Ils avaient des poules, des canards, des lapins. Mais moi, quand j'ai pris le jardin là, on avait encore la possibilité de passer par les passages à niveaux, mais souvent, je venais faire mes courses en dessus, là, chercher des sous à la Poste, et je prenais la route, là, c'était magnifique, les jardins, c'était magnifique! Bon, on disait toujours: "La caserne, la caserne..." parce que les petites cabanes, ça ressemble à une caserne, de loin... C'était super! C'était super propre, super beau. Mais maintenant, tu dirais un bidonville: t'as des fûts verts, t'as des fûts bleus, t'as des...
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