Citations de Frédéric Lenormand (877)
Certains caractères réservent de grandes surprises quand d'autres sont hélas fidèles à l'image que l'on s'en fait.
Sant'Erasmo était le désert des Vénitiens, la terre abandonnée aux cultures vivrières, à la jachère, à l'inondation, à tout ce qu'aurait été leur pays s'ils ne s'étaient pas mis en tête d'y créer la plus belle cité du monde : un pré un peu triste, aux contours vagues, soumis aux caprices de la mer. C'était un néant d'île dans un néant de civilisation, le rien posé à côté du tut, l'indigence aux portes de la majesté, l'inexistence de ce qui n'a jamais commencé d'être, le contre-pied du rêve.
Pourquoi le lieutenant général vous appelle t-il Arouet ? Demanda Grandval.
- C'est un titre que les gueux de son pays donnent aux seigneurs qu'ils révèrent, répondit Voltaire. Un peu comme « O mon roi », si vous voulez.
C'était bien l'incohérence de ce monde moderne que de pourchasser les penseurs géniaux et de couver les exaltés.
- Bon, fit Hérault. J'espère qu'on n'y parle pas trop de raison, vous savez combien cela incommode le gouvernement.
L'auteur lui affirma qu'il pouvait être tranquille : il avait bien noté que le gouvernement était étranger à toute idée de raison.
- C'est quoi qu'il en pense, le nouveau ?
Après une brève hésitation, Voltaire se leva et, ayant trouvé la réplique adéquate, il déclara bien haut, en roulant les « r » :
-Bigre de madré !
On approuva fort cette opinion.
...Alors, vous avez réfléchi à ma proposition ?
- J'y pense tous les matins en me rasant.
-Tiens, vous vous rasez vous même ?
-Oui, je côtoie trop de raseurs dans la journée.
Le soir tombait. Les voitures se faisaient plus rares et les rats plus nombreux.
Les nonnes furent enchantées, le physique du physicien était aussi avantageux que sa physique.
-Méfiez-vous, il est un peu philosophe, les prévint Voltaire.
-Ça ne fait rien, dit une dame rougissante.
-Cela n'est pas grave, dit une autre.
-Nul n'est parfait renchérit une troisième.
Il y avait apparemment deux poids deux mesures au bénéfice des mécréants bien de leur personne.
Les gens vertueux étaient ceux qu'ils préférait, il en faisait grand usage. Il se rendit compte avec horreur qu'il était descendu au point de dire du bien d'un confrère. La détresse le guettait.
Tout le monde aime le sucre, il est à la cuisine ce qu'est à la religion la promesse d'une vie éternelle : un mensonge agréable qui dissimule l'amertume du reste.
— Dame Lin s’est montrée une compagne fidèle et attentionnée durant toutes ces années passées ici et là, affirma Ti. Je n’ai pas le moindre reproche à lui faire.
— Oh, je suis sûre qu’en cherchant bien… murmura la vieille dame. On trouve toujours, n’est-ce pas ? Même chez la meilleure des mères…
A la nuit tombée, vêtue d'un costume populaire tout simple, Leonora descendait l'escalier de Ca'Civran en compagnie de son courtisan vénitien quand elle rencontra son père sur le palier du premier étage.
-Puis-je savoir où tu te rends, à pareille heure, en compagnie d'un homme ?
-Nous allons rôder dans Venise à la recherche d'un malfrat, père.
-Ah, bien, fit le patricien. Bonne soirée, mon enfant.
Si son épouse avait eu des passe-temps aussi simples, elle lui aurait laissé moins de dettes de jeu à acquitter dans tous les ridotti de la ville.
Il saisit un paquet de plaques, en enfonça plusieurs en même temps dans l'appareil et les coinça toutes... La maladresse a ses coups de génie. Ils avisèrent le tableau que la lumière inscrivait à présent sur l’écran. Si la première plaque montrait un homme qui prenait le thé, si la deuxième montrait une femme qui prenait le thé, une fois réunies en une même image, ces personnes ne prenaient plus du tout le thé.
-Encore une chose que vous ne devriez pas voir ! dit Voltaire à sa compagne.
Il s'interposa entre le projecteur et le mur, si bien que ce fut sur son habit qu'apparut l'image indécente. On avait l'impression qu'il avait fait couper son pourpoint dans un lot de gravures licencieuses. On voyait une tête de Voltaire sur un corps doté d'une impressionnante virilité.
-Vous voilà bien accommodé ! dit la marquise. Poussez-vous c'est encore pire !
-Qui est cette dame ? demanda un paroissien qui n'avait guère eu l'occasion de rencontrer les châtelains lors des offices.
On lui répondit que c'était la veuve.
-Ah, bon ? Je pensais que c'était ce monsieur qui pousse des cris...
Nul ne regrettait d'être venu, hormis la famille, mais aucun spectacle n'est à l'abri des grincheux.
Qu'un peintre signe son tableau, c'était acceptable, il avait une cote. Mais une robe! Même Rose ne s'y serait pas risquée, l'idée ne lui était même jamais venue à l'esprit. [../..] Pourquoi pas signer aussi l'argenterie, les carrosses, les meubles? On ne vivrait plus que parmi les noms des fabricants, les labels, les... les marques! Quelle vulgarité!
Paris manquait de lanternes publiques, c’était le principal reproche que lui faisaient les voyageurs étrangers – cela, la saleté des rues pleines d’ordures, les tarifs des auberges, l’impolitesse des Français et l’insécurité.
-Le roi n'est pas fâché ? demanda d'Éon.
-Pensez-vous ! Mon mari adore les moutons ! Ce sont des animaux pacifiques et facile à tondre. Il regrette beaucoup que ses sujets ne soient pas comme eux.
La modestie est une vertu inventée par les médiocres pour ne pas entendre parler du talent des autres.
- Il n'y a que deux sortes de gens qui réussissent vraiment à me distraire, confia-t-elle à Mme de Lamballe : la comtesse de Polignac et les criminels du royaume.
- Ne sont-ce pas les mêmes sortes de gens ? répondit la princesse.