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Citation de enzo92320


(p.123) La légitimité, ou « Dieu et mon droit »

Ce sont des différences que les sujets de ces institutions savent très bien faire. Tous les agents d’ailleurs n’ont pas la même possibilité sociale d’accéder aux domaines des agonistiques instituées, et certains d’entre eux, dépourvus des formes de capital social qui permettent d’en acquitter les « droits d’entrée », n’ont pas d’autre choix que de vivre la régulation de leur conatus pronateur sous le régime d’affects tristes des institutions de répression. Rien ne permet d’affirmer que ces institutions sont plus ou moins « légitimes ». La seule chose qu’on puisse en dire est qu’elles sont moins pourvoyeuses d’affects joyeux. « Légitime » ou « illégitime », c’est toujours une question d’affirmation singulière, de points de vue particuliers. Celui dont l’élan pronateur, voué aux institutions de répression, ne se voit offrir qu’un nombre restreint de possibilités d’effectuation de puissance, trouve « légitimes » les solutions d’accomplissement qu’il s’invente malgré tout, quand bien même elles sont déclarées illégales. Ainsi appelle-t-il légitimes ses rares sources d’affects joyeux. De fait, l’économie souterraine et la lutte des gangs ne sont pas moins porteuses d’enjeux de grandeur que les compétitions des artistes ou des cadres supérieurs… et celles-ci, réciproquement, pas moins violentes en leur fond : « En réalité la nature humaine est une, et commune à tous, mais nous sommes trompés par la puissance et par la culture : de là vient que lorsque deux hommes font une même chose, nous disons souvent qu’elle est acceptable de l’un mais pas de l’autre, non parce qu’elle diffère, mais parce qu’ils diffèrent » (TP, VII, 27). Comme toutes les effectuations de puissance sans exception, celles qui demeurent offertes aux conatus les plus empêchés, fût-ce au risque de l’illégalité, sont trouvées légitimes par eux et de la légitimité de leur droit naturel (ou de ce qu’il en reste), c’est-à-dire parce que ce sont les leurs. Par un argument implicite de droit naturel absolument identique, celui dont le conatus jouit de l’accès aux formes les plus hautes et les plus reconnues de la symbolisation sociale des mêmes pulsions trouve illégitimes tous les efforts qui ne respectent pas strictement la légalité de l’état civil qui lui garantit, à lui, des accomplissements existentiels aussi gratifiants et aussi reconnus. Chacun s’accorde donc à soi-même le privilège de la légitimité, et cela, en dernière analyse, selon la même ultime justification conative – « parce que c’est moi » –, ou à la rigueur consent à en faire profiter d’autres avec lesquels ils se sent une proximité d’une certaine nature ou, pour mieux dire, une sympathie, c’est-à-dire une manière ponctuellement semblable d’être affecté. Hors de cette forme faible, et pourtant maximale, de décentrement, chacun indexe la légitimité sur son conatus et ses propres affects joyeux, son activité est la forme supérieure de l’activité – mépris de l’entrepreneur pour l’artiste (improductif), de l’intellectuel pour l’entrepreneur (inculte), du scientifique pour le philosophe (ignorant des réalités) ; et ce ne sont partout que luttes pour une métacapture, celle de la légitimité, c’est-à-dire de la qualification comme légitime(s) de sa propre activité de capture et de ses propres objets à capturer.
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