Frédéric Pommier, journaliste à France Inter interviewé par
Patricia Martin lors de la 22ème Fête du Livre à AUTUN en 2019. Il raconte dans son livre la vie de sa grand mère "
Suzanne" dans une EHPAD.
Suzanne ne veut pas mourir. Ça ne l'intéresse pas. Pas maintenant, c'est trop tôt. Il reste encore tant de livres à lire et de choses qu'elle ne sait pas. Depuis des années, elle s'est fixée une règle de vie : ne jamais se coucher le soir sans avoir appris quelque chose de nouveau.
" Vous partez déjà ? " La même scène , toujours . Ca ne dure jamais assez longtemps . Pourtant , il faut bien qu'on y aille . On a de la route à faire . Elle fait tout pour nous retenir . Au dernier moment, elle prétexte une ampoule à changer , un meuble à déplacer , son téléphone portable qu'elle ne sait pas faire fonctionner . Et qui va l'aider à classer ses albums de photos ? On reviendra bientôt . On l'embrasse . On promet . " Mais quand , mon chéri, quand ? "( p 191)
" Que vaut la vie quand on ne peut plus ni saler , ni sucrer , ni se griser avec un deuxième verre de vin? Certains soirs , Suzanne se sert , en cachette , un petit porto."( p 132 )
1938.
Son père a dit "non". C'est la première fois.
Suzanne ne partira pas en Autriche.
Dans un français exalté, sa correspondante raconte sa joie immense d'avoir vu entrer les troupes allemandes dans son pays.
Dans la grande demeure en brique rouge et jaune, on est aux petits soins pour Suzanne. La petite grandit bien. Elle n'est jamais malade et ressemble au bébé cadum des affiches de réclame pour le savon
La douche est terminée. Ça n’a pris que cinq minutes. Cinq minutes une fois par semaine. Elle veut bien se lever, maintenant ? La petite rousse a oublié de lui laver les pieds. Suzanne le signale, mais non, ce n’est pas un oubli. Il y a quinze résidents à doucher avant midi. Le shampoing aussi, ce sera pour une autre fois, pas le temps aujourd’hui. De toute façon, vu ce qui lui reste sur le crâne, tous les quinze jours, c’est suffisant. (p. 169)
Une autre, un jour, lui a même rapporté le montant de son salaire." C'est tout ? " s'est étouffée Suzanne après avoir converti les euros en francs. Des choses lui échappent. Pourquoi le personnel est-il si mal payé? Pourquoi la chambre est-elle si chère? Où va l'argent? Qui prend l'argent?
p 110)
C’est une femme captivante. Une ancienne élève d’Alain. Elle lui a appris que les livres, parfois, peuvent sauver la vie.
« C’est une femme captivante. Une ancienne élève d’Alain.
Elle lui a appris que les livres, parfois, peuvent sauver la vie » ...
Que vaut la vie quand on ne peut plus ni saler, ni sucrer, ni se griser avec un deuxième verre de vin ?