Frédéric Roux vous présente son ouvrage "Alias Ali" aux éditions Fayard. Rentrée littéraire janvier 2013.
http://www.mollat.com/livres/frederic-roux-alias-ali-9782213672069.html
Notes de Musique : CAbP Chicago afrobeat project - 5 - fix and release
Ali avait été les années 60 à lui tout seul. Il était le Black Power à lui tout seul, l'opposition à la guerre du Vietnam à lui tout seul. Il avait plus de style que Dylan et il était plus marrant que les Beatles. La gloire avait tué Joplin, Hendrix et Jim Morrison et lui, il faisait du skate-board avec. Il avait été le progrès, le changement, la libération et maintenant, il n'était plus rien. Il avait battu Liston grâce à sa vitesse, Cleveland Williams grâce à sa puissance, Foreman grâce à son imagination, Frazier grâce à son courage et Spinks grâce à ses souvenirs, et maintenant, il se faisait massacrer sur un parking de casino pour que d'autres types se fassent du fric sur son dos. Il était la défaite de toute une génération. La jeunesse et l'idéalisme étaient bien morts.
Jack Newfield
(P612)
Pourquoi Marilyn avec son gros pif et sa poitrine minable est une légende ? Parce que c'est comme ça. Bardot, plus jolie et mieux foutue, c'est miss Languedoc. Pourquoi Elvis est une légende alors qu'à côté de Roy Orbison, il chante comme une casserole ? Parce que c'est comme ça. Roy ne sera jamais le King que pour les snobs et les happy few. Pourquoi Andy Warhol, qui n'était pas très malin, a produit une oeuvre aussi ""conceptuelle" que celle de Marcel Duchamp qui était l'intelligence même ? Parce que c'est comme ça, les historiens de l'art et les critiques n'y peuvent pas grand-chose.
Plus la boxe s'éloigne du K.-O., plus elle s'éloigne du sport. Un boxeur incapable de mettre à terre son adversaire ne l'a évidemment pas battu. Regardez deux hommes s'empoigner à un coin de rue ou dans un café. Sous quelle forme vous représentez-vous une victoire au points ? Les ennemis principaux du sport naturel, naïf et populaire qu'est la boxe sont des pédants qui, derrière les cordes, collectionnent les points dans leurs chapeaux. (Bertolt Brecht)
(P19)
"Tu veux apprendre à boxer ?"
- Ouais.
- Pourquoi?
- Devenir champion."
Des milliers de gens ont fait ça : entrer dans une salle de boxe après avoir pris une danse, pour faire danser le prochain type qui voudra leur piquer la fille avec laquelle ils sortent.
Des millions de jeunes gens entrent dans une salle de boxe.
Le lendemain, ils sont un peu moins nombreux.
La première fois qu'ils n'y arrivent pas, ils sont un peu moins nombreux.
La première fois qu'ils se luxent le pouce, ils sont un peu moins nombreux.
Lorsqu'ils prennent leur premier direct du gauche sur le pif, ils sont un peu moins nombreux.
La première fois qu'ils saignent, ils sont un peu moins nombreux.
La première fois qu'on leur dit que ce n'est pas la peine d'insister, qu'ils n'y arriveront jamais, ils sont un peu moins nombreux.
La première fois qu'ils vont sur le cul, ils sont un peu moins nombreux.
La première fois qu'ils se rendent compte que ce n'est pas la peine d'insister, qu'ils n'y arriveront jamais, ils sont un peu moins nombreux.
La première fois qu'on leur dit que leur premier combat est pour samedi prochain, ils sont un peu moins nombreux.
Après ? Ce n'est pas la peine d'en parler.
(P31)
Les odeurs de ce monde sont aigres et âcres, celles de la sueur et du liniment mêlées et tant et tant de corps qui se sont habillés et déshabillés dans des vestiaires qui sentent le renfermé. Les bruits de ce monde sont nombreux et variés, mais ils finissent par faire comme une musique dans votre tête. Le rythme du punching-ball comme une mitraillette qui s'enraye parfois et celui des autres qui font le contrepoint, le bruit sourd des coups dans le sac, le staccato des cordes à sauter sur le sol, la cloche, le raclement des chaussures de sport sur le tapis du ring, la respiration courte des boxers au travers de leur cloison nasale déviée, les conversations des uns et des autres, les coup de gueule de l'entraîneur, le bruit des gants, celui des coups, le brouhaha.
Seymour Wilson Schulberg Alias Budd Schulberg
(P28)
Il ne s'agissait pas, en première ligne, contrairement à ce que veulent nous faire croire les joueurs de viole de gambe ahuris, d'être héroïque, mais de tenir. Et, pour tenir, le meilleur moyen c'est encore de ne pas penser. C'est une vertu ouvrière, c'est une qualité du prolétariat.
Sa carrière sera parsemée d'embuches.
Être pauvre n'est pas la moindre.
Être pauvre, c'est penser comme un pauvre, serait-on riche.
Être dans le présent, ne rien pouvoir investir.
Croire au crédit et à la loterie.
N'avoir aucun avenir.
(P44)
Ali a toujours compris que, pour être grand, il vous faut croire à quelque chose de plus grand que soi. Beaucoup de boxeurs n'ont pas cette chance. Si vous vous battez pour vous-même, vous ne trouverez jamais en vous autant de ressources que si vous vous battez pour quelque chose qui vous dépasse. Muhammad avait cette chance, il se battait pour Dieu et à Manille, grâce à cela, il a pu triompher là où d'autres auraient renoncé.
(P544)
Les boxeurs ne gagnent jamais, ils perdent toujours à la fin. Ils n'ont de cesse de le faire, ils y mettent tout l'acharnement dont ils sont capables. [...] Chacun de ceux qui regardent, depuis la salle plongée dans l'obscurité, ce qui se passe sur un socle et en pleine lumière, est persuadé que les deux boxeurs sont là pour gagner. C'est une erreur, ils sont là pour perdre ou, tout au moins, pour apprendre à perdre.
(P16)
Ma mère adorait les enfants comme elle adorait les bêtes : elle n'aurait pas supporté de ne pas en posséder. Avant de m'avoir, elle a fait sept fausses couches, sans compter les avortements. [...] Plus elle s'obstinait dans ses tentatives, moins ils "tenaient" et, pire que tout, peut-être, au fur et à mesure de ses enfants morts, elle oubliait comment il fadrait aimer celui qui survivrait.