Les villes s’étendaient un peu plus chaque jour. Étrangement, plus les hommes étaient nombreux et rassemblés, plus l’humanité semblait disparaître.
Dans la bataille, elles avaient fait une erreur stratégique qui leur avait coûté. Elles avaient conquis la liberté avant l’égalité, avaient envahi un espace sans garde-fous et se retrouvaient nues devant l’abîme vertigineux de leur condition secondaire.
Rose aimait les mots. Les livres lui avaient appris à les déguster comme des bonbons. L’emballage collait parfois. Il fallait faire preuve de patience pour les découvrir sans les abîmer. Ils étaient versatiles et fuyants, têtus et volages. Elle les savourait avec la délicatesse qu’on accorde aux enfants. Ils permettaient de dire ce que l’on ne pouvait montrer. Dans l’intimité de l’esprit, doux, ils s’habillaient du voile léger de la nuance, et bruts, de l’étoffe de la conviction. Un simple accent pouvait les dévêtir, révélant la teneur de leur chair cachée. Même quand ils n’étaient pas là, ils se laissaient entendre par la charge de leurs poids dans la suspension de leurs points égrenés. Le premier désignait la source. Le dernier tarissait l’histoire. Les mots rapprochaient les êtres et unissaient leurs âmes. Rose comprenait aujourd’hui qu’ils pouvaient aussi blesser.
En s’incarnant dans de nouveaux corps, les âmes des hommes ne gardent jamais aucun souvenir de leurs existences passées. Sauf pour quelques êtres que l’on appelle les Réminiscents. Ceux-là, pour une raison que l’on ignore, se souviennent de leurs existences passées. Mais cette mémoire de toutes leurs vies antérieures n’est pas présente à la naissance.
Tom incrédule plongea ses yeux dans ceux d’Anna cherchant une réponse aux dizaines de questions qui envahissaient brutalement son esprit. Il vit alors des larmes mouiller son regard et son doux visage se défaire. L’homme dit alors.
- Cette femme est mienne depuis toujours. Ce qui a été uni par le mariage ne peut être défait que par Dieu.
D’un doigt, il baissa lentement les lunettes de son nez et fixa Tom intensément de ses yeux clairs, il chuchota.
- Ses yeux…
On entendit un cliquetis métallique puis l’homme leva lentement son bras en direction de Tom et lui tira une balle dans la tête.
Sa mère l'avait laissé partir, triste et fière. Ses copains l'avaient regardé s'en aller, heureux ou envieux. Personne ne l'avait retenu. On ne dissuade pas un ami de poursuivre ses rêves. On n'empêche pas un traitre de rejoindre son camp.
L'homme sortit lentement un révolver de sa poche