Frédérique Garlaschi

Pendant les deux années qui suivirent, je n’eus pas une seconde pour écrire. Pas un instant pour aligner une ode, une stance ou un quatrain. La poésie fut remplacée par les formulaires de comptabilité, de déclarations ininterrompues aux différentes instances laitières, fromagères, sanitaires, fiscales.

Au métier d’ingénieur, je reprochais le manque absolu de visée poétique. Ce monde que je supposais froidement calculateur m’angoissait. Parallèlement, je reprochais au métier de poète son manque absolu d’avantages pécuniaires.

Seule l’écriture me permet de juguler le drame par des mots, de retrouver une chance nouvelle avec moi-même. Mots-baumes comme le simple plaisir d’écrire son nom, mots-caresses pour vénérer sa peau interdite. Les mots me consolent de ce paradis perdu, tracent une langue d’écume pour franger son reflux. Jouer des blancs, composer entre les vides, je mets mon ardeur à cicatriser par la danse des mots la plaie immobile de son silence.

Les diplômes ont au moins ça de bon qu’ils donnent une certaine assurance.

C’est devenu, un temps, un véritable cauchemar. Je passais dans mes rêves toutes les possibilités en revue, et seule celle qui consistait à l’embrasser telle que me semblait possible.

Nous cessons de nous rencontrer. Mes jours deviennent noirs et mes nuits blanches, inversés par son inquiétante absence.

Mieux faut fermer sa gueule et avoir l’air d’un con, que l’ouvrir et ne plus laisser aucun doute à ce sujet.

La civilisation me tend un verre en plastique rempli de whisky sans âge.

L’aptitude au langage est ce qui nous distingue des singes.

Chat échaudé craint l’eau froide !