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Citation de tolstoievski


Nous abandonnons notre vieux floe, maintenant tout disloqué, pour aller ancrer un peu plus en arrière. Le soir, un assaut très violent s'étant produit autour des débris de ce glaçon, nous nous félicitons d'avoir quitté son voisinage.
Les pressions, affectant une étendue importante de la banquise, sont dans une étroite relation avec le phénomène des marées. Deux fois par jour la banquise subit une détente, puis une compression. La compression se produit de quatre à six heures du matin, et à pareille heure le soir ; dans l'intervalle la détente donne naissance à des plaques d'eau libre. L'attaque terrible qui vient de se produire a été probablement déterminée par la marée de syzygie. La lune a commencé le 9 et précisément ce jour-là, vers midi, a eu lieu la première convulsion. Depuis, chaque jour, l'agitation de la glace commence à une heure de plus en plus tardive ; aujourd'hui elle survient à huit heures.
Les pressions se produisent particulièrement aux époques de syzygie et se montrent plus violentes à la nouvelle lune qu'à la pleine lune. Durant les périodes intermédiaires, elles sont faibles ou nulles. Ce phénomène ne se manifesta pas pendant toute la durée de notre dérive ; il fut particulièrement terrible le premier automne, dans le voisinage de la nappe libre, située au nord de la côté sibérienne, et la dernière année aux approches de l'Atlantique. Pendant notre traversée du bassin polaire, il fut moins fréquent et plus irrégulier. Dans cette région, les pressions sont principalement dues à l'action du vent sur les banquises. Lorsque les énormes masses de glace de cette zone, entraînées par la dérive, rencontrent d'autres champs chassés par une brise ayant une direction différente de celle qui pousse les premières, les collisions, comme on le comprend, doivent être terribles.
Cette lutte des glaces les unes contre les autres est à coup sûr un spectacle extraordinaire. On se sent en présence de forces titanesques. Au début d'une grande pression, il semble que tout le globe doive être ébranlé par ces chocs. C'est d'abord comme un roulement de tremblement de terre très lointain, puis le bruit se rapproche et éclate en même temps sur différents points.
Les échos du grand désert neigeux, jusque-là silencieux, répètent ce mugissement en fracas de tonnerre… ; les géants de la nature se préparent au combat. Partout la glace craque, se brise et s'empile en toross, et soudain vous vous trouvez au milieu de cette lutte effroyable. Tout grince et mugit, la glace frémit sous vos pas…, de tous côtés d'effroyables convulsions.
À travers une demi-obscurité, vous voyez les blocs monter en hautes crêtes et approcher en vagues menaçantes. Dans les collisions, des quartiers épais de 4 à 5 mètres sont projetés en l'air, montent les uns au-dessus des autres ou tombent pulvérisés… Maintenant, de tous côtés vous êtes enveloppé par des masses de glace mouvante prêtes à débouler sur vous. Pour échapper à leur étreinte mortelle, vous vous disposez à fuir, mais juste devant vous le glace cède ; un trou noir s'ouvre béant et l'eau affluant par l'ouverture s'épanche à flots. Voulez-vous vous sauver dans une autre direction ? À travers l'obscurité, vous distinguez une nouvelles crête de blocs en marche sur vous. Vous cherchez un autre passage, toute issue est fermée. Un fracas de tonnerre roule sans discontinuer, pareil au grondement de quelque puissante cascade traversée par le fracas d'une canonnade. Ce mugissement formidable approche de plus en plus ; le floe sur lequel vous vous êtes réfugié, serré et heurté comme à coups de bélier, s'effrite, l'eau afflue de tous côtés. Pour vous sauver vous n'avez d'autres ressources que d'escalader une de ces arêtes de glaces mouvantes afin d'atteindre une autre région de la banquise… Maintenant, peu à peu, le calme se fait, le bruit diminue et lentement s'éteint dans un grand silence de mort.
Les mois succèdent aux mois, les années aux années, jamais cette lutte effroyable ne prend fin. Partout la banquise est découpée de crevasses et hérissée d'arêtes produites par ces bouleversements. Si, d'un seul coup d'œil, on pouvait embrasser l'immensité de ce désert blanc, il apparaîtrait quadrillé par un réseau de crêtes (toross). […] À première vue, ces crêtes semblaient affecter le plus complet désordre, un examen plus attentif de la banquise montrait cependant leur tendance à prendre certaines directions, notamment une orientation perpendiculaire à la ligne des pressions qui leur avaient donné naissance. Les explorateurs ont souvent évalué à 18 mètres la hauteur des toross et des hummocks. Ces chiffres sont exagérés. Pendant notre dérive et notre voyage à travers la banquise de l'extrême nord, l'hummock le plus élevé que j'aie vu ne dépassait pas, à vue d'œil, 10 mètres. — Je n'avais malheureusement pas les moyens de le mesurer. Les hummocks les plus saillants dont j'ai déterminé les dimensions atteignaient une hauteur de 6 m à 7,50 m ; ceux-là étaient nombreux. Les entassements de glace de mer ayant une hauteur de 8,50 m sont très rares.

Chapitre 2 : Le premier hivernage.
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