Cette souveraineté de la théologie dans tout le domaine de l'activité intellectuelle était en même temps la conséquence nécessaire de la situation de l’Église, synthèse de la plus générale et sanction de la domination féodale régnante.
Il est donc clair que toutes les attaques dirigées en général contre le féodalisme devaient être avant tout des attaques contre l’église, toutes les doctrines révolutionnaires, sociales et politiques devaient être en même temps et principalement des hérésies théologiques.
La bourgeoisie anéantit la puissance de l'aristocratie, de la noblesse, en supprimant les majorats, c'est-àdire l'inaliénabilité de la propriété foncière, ainsi que tous les privilèges féodaux. Elle détruisit la grande puissance des maîtres de jurande, en supprimant toutes les corporations et tous les privilèges corporatifs. Elle leur substitua la libre concurrence, c'est-à-dire un état de la société où chacun a le droit d'exercer la branche d'activité qui lui plaît et où rien ne peut l'arrêter dans cette activité que l'absence du capital nécessaire. L'introduction de la libre concurrence est, par conséquent, la proclamation publique que, désormais, les membres de la société ne sont inégaux que dans la mesure où leurs capitaux sont inégaux, que le capital est la puissance décisive et qu'ainsi les capitalistes, les bourgeois, sont devenus la première classe de la société.

Le militarisme domine et dévore l'Europe. Mais ce militarisme porte aussi en lui le germe de sa propre ruine. La concurrence des divers États entre eux les oblige d'une part à dépenser chaque année plus d'argent pour l'armée, la flotte, les canons, etc., donc à accélérer de plus en plus l'effondrement financier, d'autre part, à prendre de plus en plus au sérieux le service militaire obligatoire et, en fin de compte, à familiariser le peuple tout entier avec le maniement des armes, donc à le rendre capable de faire à un moment donné triompher sa volonté en face de la majesté du commandement militaire. Et ce moment vient dès que la masse du peuple, - ouvriers de la ville et des champs et paysans, - a une volonté. A ce point, l'armée dynastique se convertit en armée populaire; la machine refuse le service, le militarisme périt de la dialectique de son propre développement. Ce que la démocratie bourgeoise de 1848 n'a pu réaliser précisément parce qu'elle était bourgeoise et non prolétarienne, -l'acte de donner aux masses laborieuses une volonté dont le contenu correspondît à leur situation de classe, - le socialisme y parviendra infailliblement. Et cela signifie l'éclatement par l'intérieur du militarisme et avec lui, de toutes les armées permanentes.
810 - [p. 22]

Tels les hommes sortent primitivement du règne animal, - au sens étroit, - tels ils entrent dans l'histoire : encore à demi animaux, grossiers, impuissants encore en face des forces de la nature, ignorants encore de leurs propres forces ; par conséquent, pauvres comme les animaux et à peine productifs qu'eux. Il règne alors une certaine égalité des conditions d'existence et, pour les chefs de famille, aussi une sorte d'égalité dans la positon sociale, - tout au moins une absence de classes sociales, qui continue dans les communautés naturelles agraires des peuples civilisés ultérieurs. Dans chacune des ces communautés existent, dès le début, certains intérêts communs, dont la garde doit être commise à des individus, quoique sous le contrôle de l'ensemble : jugement de litiges ; répression des empiètements de certains individus au-delà de leurs droits ; surveillance des eaux, surtout dans les pays chauds ; enfin, étant donné le caractère primitif et sauvage des conditions, fonctions religieuses. De semblables attributions de fonctions se trouvent en tout temps dans les communautés primitives, ainsi dans les plus vieilles communautés la Mark germanique et aujourd'hui encore aux Indes.
1304 - [p. 32]
Le mode de lutte de 1848 est périmé aujourd’hui sous tous les rapports, et c’est un point qui mérite d’être examiné de plus près à cette occasion. Toutes les révolutions ont abouti jusqu’à présent à l’évincement de la domination d’une classe déterminée par celle d’une autre ; mais toutes les classes dominantes n’étaient jusqu’à présent que de petites minorités par rapport à la masse du peuple dominé. C’est ainsi qu’une minorité dominante était renversée, qu’une autre minorité se saisissait à sa place du gouvernail de l’Etat et transformait les institutions publiques selon ses intérêts. Et, chaque fois, cette minorité était le groupe rendu apte au pouvoir et qualifié par l’état du développement économique et c’est précisément pour cela, et pour cela seulement, que lors du bouleversement la majorité dominée ou bien y participait en faveur de la minorité ou du moins l’acceptait paisiblement.
Cet indifférence brutale, cet isolement insensible de chaque individu au sein de ses intérêts particuliers, sont d'autant plus répugnants et plus blessants que le nombre de ces individus confinés dans cet espace réduit est plus grand.
L'état moderne, quelle qu'en soit la forme, est une machine essentiellement capitaliste. Plus il fait passer de forces productives dans sa propriété et plus il devient réellement capitaliste collectif, plus il exploite de citoyens. Les travailleurs restent des salariés, des prolétaires. Loin d'être supprimé, le système capitaliste est au contraire porté à son paroxysme.
L'exploitation de la terre ou l'extension de la domination économique sur cette terre à une échelle qui dépasse les forces naturelle de l'individu n'est devenue jusqu'ici possible dans l'histoire que parce que, avant l'établissement de la domination sur le sol ou en même temps qu'elle, on a effectué l'asservissement correspondant de l'homme. Dans les périodes ultérieures de l'évolution, ce asservissement a été adouci.. Sa forme actuelle dans les Etats de haute civilisation est un salariat plus ou moins régenté par la domination policière.
1300 - [p. 27]

En général, la propriété privée n’apparaît en aucune façon dans l’histoire comme résultat du vol et de la violence. Au contraire. Elle existe déjà, limitée toutefois à certains objets, dans l’antique communauté naturelle de tous les peuples civilisés. A l’intérieur même de cette communauté, elle évolue d’abord dans l’échange de marchandise. Plus les produits de la communauté prennent forme de marchandise, c’est-à-dire moins il est produit pour l’usage propre du producteur et plus ils sont produits dans un but d’échange, plus l’échange, même à l’intérieur de la communauté, supplante la division naturelle primitive du travail, plus l’état de fortune des divers membres de la communauté de la propriété foncière est profondément de la communauté devient inégal, plus la vieille communauté de la propriété foncière est profondément minée, plus la communauté s’achemine rapidement à sa dissolution en un village de paysans parcellaires. […] Partout où la propriété privée se constitue, c’est la conséquence de rapports de production et d’échanges modifiés, et cela sert l’accroissement de la production et le développement du commerce – cela a donc des causes économiques. La violence ne joue en cela aucun rôle.
La liberté, c'est savoir reconnaître ce qui est nécessaire.