Auparavant, Peredonov avait tenu à exposer ses livres comme pour témoigner de ses idées libérales. En fait, il n'avait ni idées ni même envie de réfléchir. Il gardait ces livres pour la façade, mais ne les lisait jamais. D'ailleurs, il y avait longtemps qu'il n'avait lu le moindre livre; il prétendait n'avoir pas le temps; il n'était abonné à aucun journal et ne se tenait au courant des événements que par les conversations. Il n'avait pas grand-chose à apprendre, car rien ne l'intéressait dans la vie, à part sa propre personne. Il allait même jusqu'à se moquer des abonnés aux journaux, leur reprochant de gaspiller leur argent et leur temps. Il faut croire que son temps lui paraissait éminemment précieux.
- Toutes les Polonaises sont de bonnes maîtresses de maison, répliqua Martha.
- C'est à voir ! S'exclama Peredonov. Tout est propre à l'extérieur, mais les jupons sont sales. Je dois avouer, à votre avantage, que vous avez eu Mickiewicz. Il est au-dessus de notre Pouchkine. Son portrait est sur mon mur. Auparavant, c'était Pouchkine qui y figurait; je l'ai remisé dans les cabinets; en fait, ce n'était qu'un larbin.
- Vous êtes Russe, dit Vladia, alors que vous importe notre Mickiewicz ? Pouchkine est bon, et Mickiewicz est également bon !
- Il est au-dessus de Pouchkine, répéta Peredonov. Les Russes sont des crétins. Ils n'ont inventé que le samovar; rien d'autre.
Dans la rue, tout parut hostile et menaçant à Peredonov. Un mouton se tenait au carrefour et le fixait avec obstination. Ce mouton ressemblait à Volodine; cette ressemblance épouvanta Peredonov. Il se dit que peut-être Volodine avait pris l'apparence d'un mouton pour mieux l'épier. "Que savons-nous ? C'est peut-être possible, pensa t-il. La science n'en est pas encore arrivée là, mais qui sait s'il n'existe pas des gens qui ont ce pouvoir ? Prenons les Français; ce sont des gens cultivés; or, chez eux, à Paris, on signale des mages et des faiseurs de miracles !"
Il eut peur.
les romans et les nouvelles ne contiennent que des sottises. (...) J'ai déjà lu tous les bons livres, affirma Peredonov. Je ne vais tout de même pas me mettre à lire tout ce qu'on invente actuellement.
Un bouc dans un potager ne fait que des désastres
Des ombres toujours, des ombres partout, ombres aux arêtes vives, découpées par les flammes du foyer ou la lumière de la lampe, ombres vagues, ombres troubles des dernières lueurs du jour, toutes s’entremêlant, s’enchevêtrant, l’enveloppant de leur indestructible réseau. Il en est d’incompréhensibles, d’énigmatiques ; il en est d’évocatrices qui font surgir de vagues formes on ne sait où entrevues ; il en est d’autres encore, bien connues, celles-là : ombres amies, ombres familières, chères à l’enfant qui les cherche et les reconnaît dans le désordre des ombres étrangères.
Malheureusement, le chaton et moi nous tînmes bon, mais pas le vieillard.
" Vraiment? me dis-je. Vraiment? Eh bien, si c'est comme ça, ça n'a plus d'importance!"
Et je courus vite en face: violer, de-ci, de-là et brûler par-ci, par-là.
Il est probable que le chaton ne survécut pas à cette épreuve.
Car s'il avait vécu, c'est lui qu'on aurait pendu le lendemain, et non pas moi. Il aurait pris tout cela sur lui.
Pavel Vassilievitch Volodine entra en riant à gorge déployée; c'était un jeune homme dont le visage et le comportement évoquaient infailliblement l'image d'un mouton: des cheveux pareils à la toison d'un mouton, des yeux exorbités et stupides, semblables à ceux d'un mouton. Ce garçon manifestement imbécile était un ancien menuisier. Il avait fait des études dans une école professionnelle et enseignait actuellement à l'école municipale.
Peredonov prenait les cartes et avec son canif tranchait la tête aux personnages. Aux dames surtout. En exécutant les rois, il regardait craintivement autour de lui, pour qu'on ne l'accusat pas de crime politique. Mais même ces châtiments sommaires l'aidaient peu. Les amis arrivaient, on achetait d'autres jeux et de nouveau, les malins espions se nichaient entre les cartes neuves.
Après la messe dominicale, les fidèles se dispersaient, chacun rentrant chez soi. Certains s'attardaient dans l'enceinte de l'église; derrière les murs de pierre blanche, à l'ombre des vieux tilleuls et érables du jardin, ils bavardaient paisiblement. Vêtus de leurs habits du dimanche, ils se dévisageaient amicalement; à les voir ainsi, on aurait pu croire que les citoyens de la petite ville vivaient dans la concorde et l'affection, voire dans la félicité. or, ce n'était qu'une apparence.
Le professeur du collège, Peredonov, se tenait au milieu d'un groupe d'amis; de ses yeux petits, mornes, profondément enfoncés, dissimulés derrière des lunettes à monture d'or, il les examinait furtivement, tout en discourant.