Pendant près d’un demi-siècle, je n’ai encore jamais rencontré une star qui ait connu non pas même un bonheur durable, mais un répit, si éphémère fût-il. Car il y a toujours un prix à payer, et il est très élevé, au point d’en être même fatal. Une star n’a prise que pour un temps sur la célébrité, la fortune et cette arrogante assurance qui l’a poussée au début à la conquête du cinéma, pour signer en définitive le bail doré (à court terme le plus souvent) qui lui vaudra voitures, domestiques, bijoux, fourrures, argent et, oui, j’allais l’oublier, amours.
Il y avait longtemps que je n’avais éprouvé pour une femme de sentiment aussi débarrassé d’appétit physique. Je sus moi aussi, je compris à cet instant ce qui la retenait. Elle cherchait, elle était en quête, elle voulait retrouver ce qu’elle avait connu et perdu. Oui, peut-être cette femme belle et exquise, intelligente et cultivée, pleine de tout ce qui pouvait combler un homme, était-elle prise au piège, tombée dans cette fosse de détresse, où rien, ni la beauté, ni la culture, ni même l’intelligence n’est plus d’aucun secours.
La vérité était, est et sera toujours que : tout jeune acteur, toute jeune actrice, même sous contrat avec un studio, avait, a et aura toujours besoin qu’on l’aide à apprendre son métier pour l’écran. Un sourire timide, une question chuchotée sont autant d’appels au secours dans la nuit ; car la peur est là, toujours présente, et le besoin de conseils, de confiance, d’affection, d’amour même, pour rassurer. Et c’est là qu’intervient le « répétiteur » d’art dramatique, armé de métier et prêt à tout.
Quand quelqu’un que vous aimez vraiment, qui est votre vie, votre monde, votre sécurité ... quand la mort qui était en lui vous prend cet être, vous ne pouvez vous contenter de dire : « Mort, tu n’es qu’une sinistre putain », et tirer le rideau. Vous restez sans voix, incapable de respirer. Votre cerveau cesse de fonctionner si brutalement que votre cœur en oublie de battre ou, s’il continue, il ne sera plus le même ; vous ne le sentez plus, n’en voulez plus, finissez par le haïr.
Il n’y a qu’une voie, qu’un caissier : vous payez, on vous rend dollar pour dollar, franc pour franc, et la chance appartient à celui qui, tenace, acharné, persévérant, sait ce qu’il veut. Mais cela suppose une vie solitaire et il arrive qu’on se retrouve à quatre pattes, en train de chercher partout dans le monde où on a bien pu perdre son âme, tel un bouton de manchette.
La Colère s’en allait, chassée par la Peur. Le Malheur se retirait, sa tâche achevée. Mais, en général, la Peur restait. Elle s’installait en propriétaire, en occupante à demeure. Elle prenait possession des lieux, s’infiltrait dans la couleur des murs, se perchait sur les sièges, s’enroulait amoureusement autour des robes et des costumes fabuleux dans les penderies tapissées de glaces, d’où elle retournait leur regard à celles et à ceux qui s’y miraient. Elle se glissait sournoisement sous les tapis et les épaisses moquettes, pour s’exhaler sournoisement sous les pieds qui les foulaient. Avec la même envahissante sensualité, elle titillait, flattait, tapotait et pinçotait affectueusement les chairs, tirait doucement dessus, joues, menton, seins, ventre – jusqu’au jour où, prise d’effroi, la créature nimbée d’or avait besoin, pour retrouver son éclat et sa force, de tripler, décupler la dose d’alcool, de fumer l’herbe d’oubli, de priser la fée blanche
C’est comme sur les paquebots de luxe : les passagers de première mangent, dansent, parlent, couchent avec les passagères de première et de même pour la seconde classe et la classe touriste. Loin de moi l’idée que les voyageurs de première classe vaillent mieux que les autres. Ils ont seulement davantage de points communs. La fille d’un banquier ne s’en ira pas courir après le fils du portier de la banque de papa, sauf peut-être s’il ressemble à Paul Newman ou à Robert Redford – auquel cas, il en aura vite assez de perdre son temps avec la fille du banquier, quand il peut devenir une star ou posséder sa banque ou un groupe de ces établissements, pour peu que son intelligence ne se limite pas à avoir une gueule d’ange.
Et rien que des stars, au masculin comme au féminin. En échange d’un bref et délicieux instant de gloire (si tant était qu’ils l’eussent vécu), un beau contrat pour l’éternité et même un peu plus. Ils auraient voulu tout, et davantage encore, sans se rendre compte que la peau, le corps dans lesquels ils vivaient n’étaient pas les bons. Ils avaient essaimé vers cette ville merveilleuse, ce creuset doré de Hollywood, sans se douter le moins du monde que le miel de lumière souriante qui les baignait portait la caresse de la mort, et que, dès que le ver se mettait dans la célébrité, une peur pire qu’un cancer leur rongerait le cœur, l’espoir, tout…
Hollywood n’est ni une ville, ni un village, ni même le rêve doré que l’on a décrit. Hollywood est comme une personne que l’on aimerait connaître mieux sans que l’on ait jamais une chance d’y parvenir. Les rues n’y sont pas pavées d’or ; elles sont recouvertes de velours ici, là de verre, le plus souvent de clous et de pièges laqués auxquels même les autochtones se blessent et se laissent prendre. Vivant à Hollywood, on se réveille le matin surpris d’y être encore. Car Hollywood n’existe pas. Hollywood n’est qu’un mirage d’architecture irréelle, habité par de soi-disant génies qui ne sont et ne seront jamais, en réalité, que des avortons.
Il aimait tant la vie qu’il semblait fait pour le bonheur, et Dieu sait aussi s’il méritait celui-ci, car c’était un homme bon et un homme de bien. Lorsqu’il tomba entre les griffes de ce qu’il appelait lui-même « le C majuscule », d’abord il ne put y croire. Et quand il engagea le combat, ce fut un duel de titans. Un moment, il pensa qu’il parviendrait à bloquer le mal et même vraiment à le vaincre. Aujourd’hui encore, après toutes ces années, je ne puis me faire à l’idée qu’il n’est plus de ce monde. Il reste pour moi aussi vivant que l’Amérique, dont il incarnait toute la vitalité.