Pourquoi lire Gabriel Garcia Marquez aujourd’hui ?
Romancier, nouvelliste, journaliste et militant politique, Gabriel Garcia Marquez a joué un rôle fondamental dans la littérature latino-américaine grâce à sa fertile imagination. Affectueusement surnommé Gabo, il a constitué une chronique à la fois réaliste et allégorique d’un continent dont il a su faire valoir la littérature, en vivant par et pour ses histoires. Respecté et médiatique, l’auteur de
Cent ans de Solitude a fourni l’une des oeuvres actuelles les plus pertinentes sur l’énigme humaine du pouvoir, sur la solitude et la misère, ce qui fait de lui, aujourd’hui encore, l’un des auteurs les plus significatifs et populaires du XXème siècle.
Né en 1927 en Colombie sur la côte caribéenne, Gabriel Garcia Marquez est élevé par ses grands-parents et baigne toute son enfance durant dans une culture tropicale chargée en contes et nouvelles aux parfums exotiques. Si la littérature joue un rôle indéniable dans l’imaginaire du jeune Marquez, ses grands-parents sont également à l’origine de plusieurs de ses fantasmes. En effet, alors que sa grand-mère le terrifiait chaque soir avec des histoires de revenants, son grand-père, ancien combattant de la dévastatrice guerre civile des Mille Jours, qui frappa la Colombie à la fin du XIXème siècle, lui ressassait ses dramatiques souvenirs. Cet épisode sanglant, Marquez le retrace d’ailleurs sous forme de fiction dans son célèbre roman Cent ans de solitude. Il affirme que cette demeure, magique à ses yeux, est à l’origine de sa vocation d’écrivain. Elle est aujourd’hui un musée qui lui est dédié. Ses parents sont plus ou moins des étrangers pour Marquez. On retrouve cependant une trace de leur histoire dans le roman
L`Amour aux temps du choléra, rédigé par Marquez en 1985, dans lequel il raconte leur difficile histoire d’amour, due à la pauvreté de son père, qu’il a du mal à faire accepter à la famille de celle qu’il aime et souhaite épouser.
En 1939, la famille Marquez part s’installer dans la ville de Sucre. Le jeune Gabriel obtient des résultats satisfaisants à l’école et rédige lors de son temps libre des fadaises, poèmes satiriques et humoristiques à propos de ses camarades d’école. Après avoir obtenu son baccalauréat, il s’inscrit à l’université afin de faire son droit, selon la volonté de son père, bien qu’il lui préfère déjà largement la littérature. La lecture de
La métamorphose de
Franz Kafka est une révélation pour l’étudiant qui rédige alors sa première nouvelle,
La Troisième Résignation, publiée en 1947 dans la presse. Agé de 21 ans, il est finalement engagé en tant que chroniqueur pour le jeune journal
El Universal ; le droit devient alors secondaire. Très vite, il manifeste un fort esprit critique face à la politique colombienne et sur la situation globale de l’Amérique du Sud. Il ne cache pas non plus ses sympathies pour les radicaux de gauche et les révolutionnaires, auxquels il apporte quelquefois une aide financière. En déplacement professionnel dans la ville de Barranquilla en Colombie, il fait la connaissance du groupe d’écrivains et journalistes connu sous le nom de Groupe de Barranquilla, qui fut l’une des communautés les plus productives de son époque tant au niveau intellectuel que littéraire. Ces intellectuels fournissent au jeune Marquez motivation et inspiration et jouent un rôle fondamental dans le lancement de sa carrière littéraire. Poussé par ses nouveaux amis, il se lance alors dans l’écriture d’un premier roman,
La Casa, sur lequel il travaille beaucoup mais qu’il ne parvient pas à terminer. En 1950, Marquez retourne passer quelques jours dans la petite bourgade où il a vu le jour. L’idée s’insinue alors en lui qu’il pourrait retrouver par l’intermédiaire de l’écriture, le temps perdu de l’enfance. C’est là que naît son deuxième roman,
Des feuilles dans la bourrasque, qu’il rédigera aidé par
Alvaro Mutis, rencontré quelques temps plus tard et qui va le soutenir jusqu’à publication en 1955.
Cette même année, Marquez publie une série d’articles à propos d’un drame survenu quelques mois plus tôt sur un navire de guerre colombien. Farouchement opposé au discours émis par le gouvernement en place, il est envoyé en Europe peu de temps après la publication de son reportage, où il poursuit son activité journalistique. Il participera d’ailleurs au Sommet de Genève en tant que correspondant étranger. En décembre, l’écrivain décide de découvrir Paris. Cette période est loin d’être facile pour cet homme qui attend de son départ une rencontre avec un public français qui ne semble pas encore prêt à le recevoir. Le séjour est d’autant plus difficile pour l’écrivain que, correspondant d’un journal sans ressource, il ne perçoit aucune aide financière ; d’autant que Marquez n’apprécie que très peu la compagnie des Français qu’il trouve trop enclins au pinaillage. Il commence cependant à rédiger son roman
La Mala Hora, publié en 1962 et découvre
François Rabelais, dont il dévore les oeuvres complètes et qui joue un rôle non négligeable sur sa création littéraire. Après un court séjour en Europe de l’Est, Marquez publie une série d’articles à propos de son voyage “90 jours derrière le rideau de fer”, dans un style toujours engagé auquel il tient particulièrement.
En 1958, Marquez épouse Mercedes Barcha, mère de ses deux fils, et part s’installer avec elle au Mexique où il rencontre l’écrivain
Carlos Fuentes, qui le pousse vers l’écriture. Grand amateur de
William Faulkner, Marquez profite de ce voyage pour visiter la région américaine à l’origine des écrits de l’écrivain, le Sud des Etats-Unis. Attaché à sa profession de journaliste, Marquez lance une édition mexicaine de son hebdomadaire colombien, nommée
Cambio. Très engagé politiquement, il travaille dans différents journaux, dont le
Prensa Latina, créé par le gouvernement cubain pour contrecarrer la propagande contre Cuba. Peu de temps après son arrivée au Mexique, il est embauché en tant que rédacteur en chef de deux magazines, alors qu’il commence à rêver de cinéma et rédige plusieurs scénarios de films d’avant garde. En 1962, il présente son roman
La Mala Hora pour le prix littéraire colombien et est déclaré vainqueur par l’Académie des Lettres. La même année, il publie
Les funérailles de la grande mémé, un recueil de huit contes qui associent pour la première fois réalisme et merveilleux, et préfigurent ainsi le réalisme magique, emblématique de sa littérature. De plus, ce recueil s’inscrit dans le grand discours de Marquez sur la mort et la solitude, qui trouve encore une fois son aboutissement dans le roman Cent ans de solitude. Ses oeuvres littéraires sont, depuis le départ, bien reçues par la critique ainsi que par les médias, mais il est seul et doit faire face au grand désarroi de la littérature colombienne de son temps.
Entre juillet 1965 et août de l’année suivante, Marquez s’attèle à la rédaction de
Cent ans de Solitude, qu’il a beaucoup de mal à faire démarrer. Pendant cette période, ce dernier abandonne son emploi pour se consacrer pleinement à l’écriture et doit faire face à de sévères difficultés financières. Le roman paraît en 1967 et traite d’une malédiction de solitude, transmise de génération en génération, au sein d’une famille. Par l’intermédiaire de ses personnages, Gabo comme il est désormais communément appelé suite à son succès, constitue une cosmogonie propre en s’inspirant de la réalité sociohistorique de la Colombie et de l’Amérique du sud. Il est communément admis que ce livre est le fruit d’une très longue gestation chez Marquez puisque le récit porte en lui tout ce qui constitue le monde de l’écrivain depuis son enfance : on y retrouve la maison de ses grands-parents, l’univers mêlant réalisme et merveilleux, né des récits dont lui faisait part sa grand-mèreLe village de Macondo dans lequel se déroule le roman, possède d’ailleurs de très nombreuses similitudes avec Aracataca, où Marquez a vécu son enfance et évoque également le comté mythique de
Le Bruit et la Fureur de William Faulkner, dont la découverte l’a marqué à vie. Le roman
La Casa, que l’écrivain n’était pas parvenu à terminer quelques années auparavant, n’était d’ailleurs rien d’autre que le prémice de
Cent ans de Solitude. Considéré comme son chef d’oeuvre, ce roman propulse Marquez au devant de la scène littéraire mondiale et participe dès lors à constituer le mythe de l’Amérique Latine, pour qui il s’agit du premier écrivain à connaître un tel succès. L’année de la publication de
Cent ans de solitude, Marquez et sa famille entreprennent un voyage en Espagne où il est érigé en icône d’un nouveau courant littéraire, le “boom latino-américain”. A Barcelone, l’écrivain rencontre
Mario Vargas Llosa, avec qui il devient ami et débute l’écriture de son roman
L`Automne du patriarche.Après la publication de ce roman, Marquez décide de mettre sa carrière d’écrivain au second plan afin de s’engager plus fermement en politique, farouchement opposé à la dictature d’Augusto Pinochet. La famille Marquez part alors s’installer au Mexique.
1982 est l’année de la consécration pour Marquez qui se voit couronné du prix Nobel de littérature. Lors de son discours de réception du prix, il livre avec beaucoup d’ironie un plaidoyer pour la nouvelle littérature latino-américaine et le réalisme magique, afin de s'émanciper définitivement de toute emprise culturelle européenne et marquer pour elle un nouveau départ. A 55 ans, il devient l’un des plus jeunes lauréat du prix. Cette récompense marque un nouveau tournant dans l’écriture de Marquez qui quitte définitivement Macondo et l’univers prodigieux de son enfance pour situer désormais sa production à mi chemin entre le journalisme et le roman populaire. En 1983, le couple Marquez décide de retourner en Colombie : le père de Gabriel est mourant et l’écrivain souhaite se réconcilier avec son père, leur relation ayant toujours été tendue. Il commence à rédiger
L`Amour aux temps du choléra, publié en 1985, qui devient son roman le plus populaire. Alors qu’il refuse de recevoir un prix depuis le Nobel, Marquez reçoit le titre Honoris Causa de l’université de Cadix et son documentaire Journal d’un enlèvement est publié en 1996,. Alors qu’il vient de racheter une nouvelle fois la direction d’un journal, Marquez se découvre un cancer lymphatique en 1999. Traité avec succès, l’écrivain prend conscience de sa fragilité et se lance dans la rédaction de ses mémoires. Installé entre Bogota et Los Angeles où il se soigne, il se consacre entièrement à sa tâche, s’imposant des horaires “d’employé de bureau” comme il les qualifie lui-même. Trois ans plus tard,
Vivre pour la raconter, le premier tome de ses immenses mémoires est publié. Affaibli par sa chimiothérapie, Marquez ne survit pas à sa pneumonie et meurt à Mexico le 17 avril 2014. A l’annonce de sa disparition, le président Juan Manuel Santos déclare trois jours de deuil national en Colombie et les hommages de nombreux chefs d’Etat du monde entier se multiplient pendant des jours.
Figure de proue d’un nouveau genre littéraire, Gabriel Garcia Marquez a toujours porté en lui le courage et la volonté d’écrire. Grâce à une inimitable alliance entre fantastique et réel au sein d’univers poétiques reflétant la vie d’un continent, l’écrivain a su mettre en accord la critique littéraire et le public international. Auteur d’oeuvres influençant l’imaginaire de générations de lecteurs, il a, par son action littéraire et politique, su élever son plus grand roman,
Cent ans de solitude, au rang de véritable intemporel.
Le saviez-vous ?
• L’écrivain était un excellent joueur de violon
•
Cent ans de solitude est paru le même jour que le Sergent Peppers des Beatles. Le roman a été écrit pendant 3 ans dans une pièce de 3 mètres carrés baptisée “la caverne de la mafia”
• Pour subvenir à ses besoins pendant les 18 mois que dura l’écriture du roman, Marquez dut vendre sa voiture et payer sa nourriture à crédit. Plus encore, afin de pouvoir envoyer son manuscrit à son éditeur à Buenos Aires, il vend encore son radiateur, son mixeur et le sèche-cheveux de sa femme
• L’écrivain est le premier à se présenter à la remise du Prix Nobel sans porter le tuxedo, costume de cocktail, porté par tous ses prédécesseurs, mais avec une tenue vénézuelienne
• Après avoir été récompensé par le Nobel, Marquez a gardé une grande influence sur les choix de l’Académie suédoise. Il aurait notamment fait pression pour que
Claude Simon soit récompensé en 1985
•
Cent ans de solitude a été traduit dans 35 langues et vendu à près de 30 000 000 exemplaires à travers le monde
• Gabriel García Márquez s’est vu pendant de nombreuses années refuser l’accès aux États-Unis. Cette interdiction a été levée par Bill Clinton, affirmant que Cent ans de solitude était son roman préféré
• En 1981, Gabriel García Márquez est décoré de la Légion d'Honneur par le président François François Mitterrand
Chronologie
3/03/1927 : Naissance de Gabriel Garcia Marquez à Aracataca en Colombie
1958 : Il épouse Mercedes Barcha avec qui il a deux fils : Gonzalo et Rodrigo
1960 : Marquez croise pour la première fois Fidel Castro
1961 : Il s’installe au Mexique
1962 : Publication de
Les funérailles de la grande mémé1967 : Publication du célèbre
Cent ans de Solitude1972 : Il obtient le Prix Rómulo Gallegos pour
Cent ans de solitude, la plus haute distinction littéraire d’Amérique latine
1973 : Garcia Marquez met de côté sa vie d’écrivain pour se consacrer à la politique<
1981 : Publication de
Chronique d`une mort annoncée1982 : Marquez reçoit le Prix Nobel de littérature
1985 : Publication de
L`Amour aux temps du choléra1993 : Avec un groupe d'amis, Marquez achète le journal
Cambio 2002 : Publication de son autobiographie,
Vivre pour la raconter17/04/2014 : Marquez meurt d’un cancer à Mexico
Inspirateurs et héritiers
Jeune, Gabriel Garcia Marquez a découvert la littérature par les classiques de la fin du XIXe siècle :
Franz Kafka, dont il aimait particulièrement
La métamorphose qui préfigure déjà le réalisme magique caractérisant sa littérature,
Virginia Woolf,
William Faulkner et
Ernest Hemingway entre autres. Ces lectures de jeunesse n’ont pourtant influencé Marquez que sur la forme. Le fond de son oeuvre, l’intangible, provient lui des nombreux récits qui circulaient au sein de sa famille et dont son enfance a été bercée.
Si Marquez semble n’avoir subi que très peu d’influence, il en est tout autrement pour l’héritage qu’il a laissé au monde littéraire. Fort de son succès, il est courant d’admettre que Garcia Marquez a oeuvré à redonner ses lettres de noblesse à la littérature latino américaine ; il est à l’origine de son fameux “boom”, qui prend naissance à la parution de
Cent ans de Solitude.
Mario Vargas Llosa,
Carlos Fuentes,
Ernesto Sabato,
Jorge luis borges et d’autres ont ainsi été mis en lumière grâce à l’ouvrage de l’écrivain colombien qui a permis au continent d’imposer sa littérature sur la scène mondiale. En effet, pendant les années 1960-1970, la littérature latino-américaine devient l’une des plus importantes du monde.
D’un point de vue purement théorique, Gabriel Garcia Marquez s’inscrit dans le courant du réalisme magique, ayant pris naissance dans les années 1920, pour rendre compte des ouvrages dans lesquels le surnaturel ou l’irrationnel surgit au sein d’un environnement définit comme réaliste. Plus précisément, cette littérature cherche à tisser des liens entre naturalisme et merveilleux afin de montrer une réalité transfigurée par l’imaginaire. Mais attention, l’apparition du surnaturel ne provoque pas de trouble, elle est perçue comme normale, entrelacée avec le réel dans un tissus qui ne permet que difficilement de saisir le commencement et la fin de chacune des deux réalités.
Carlos Fuentes,
Julio Cortázar ou encore
Juan Rulfo ont également été associés à ce genre littéraire, même si c’est le roman de Marquez,
Cent ans de Solitude, qui en reste l’exemple le plus criant. Si ce roman se présente comme la forme la plus aboutie du réalisme magique, il faut noter que les bases de ce genre littéraires étaient déjà posées par Marquez dans son tout premier roman,
Des feuilles dans la bourrasque. Ce genre littéraire s’est introduit dans plusieurs formes d’art : on le retrouve dans une grande variété de poèmes, de peintures et de films tout comme il a connu un rayonnement planétaire, de l’Asie à l’Europe, en passant par l’Amérique. En réalité, la tendance qui consiste à mêler réalisme et merveilleux n’est pas neuve à cette époque, elle existe déjà notamment en peinture avec des artistes comme Jérôme Bosch ou Francisco de Goya, ou chez des écrivains comme
François Rabelais ou encore
Laurence Sterne. A l’époque de Marquez, c’est grâce à la production narrative sud-américaine que le réalisme magique a pu parcourir le monde entier jusqu’à n’être associé qu’à elle.
Par-delà son rôle dans la légitimation du courant du réalisme magique, l’oeuvre de Marquez a traversé les frontières de la culture latino-américaine et a influencé les écrivains et cinéastes du monde entier, toutes langues confondues.
Ils ont dit de Gabriel Garcia Marquez
William Kennedy, à propos de Cent ans de solitude : “La première œuvre depuis la Genèse dont la lecture est indispensable à toute l'Humanité”
Et
Pablo Neruda comme “Le roman de langue espagnole le plus important depuis
Don Quichotte”
Lucien Guissard : “Son œuvre n’est pas d’un égal génie”
Juan Manuel Santos, le président colombien au moment de son décès : “Mille ans de solitude et de tristesse pour la mort du plus grand Colombien de tous les temps”
Gene H. Bell-Villada : “Grâce à ses expériences dans le domaine du journalisme, García Márquez est, de tous les grands auteurs vivants, celui qui est le plus proche de la réalité de tous les jours.”
Octavio Paz : « Gabriel Garcia Marquez est le contemporain de tous les hommes »